Terre-Neuve L Le retour inespéré de la morue du Nord

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Les Terre-Neuviens ne l’espéraient plus, mais voilà que la morue du Nord fait un retour en force après une quasi-disparition.

Au village de Lumsden, au nord de Saint-Jean, Paul Goodyear détient un petit quota de Pêches et Océans Canada pour la recherche. Il est en quelque sorte les yeux des scientifiques. Il suit l’état du stock de la morue du Nord depuis 25 ans.

«Je capture régulièrement 2000 livres de morues en quelques heures. Je n’ai jamais vu autant morues de toute ma vie!» – Paul Goodyear, pêcheur sentinelle

Un bond prodigieux

Mais s’agit-il seulement d’une bonne histoire de pêche? L’océanographe Dominique Robert de l’Université Memorial de Terre-Neuve est catégorique : les relevés acoustiques autant que les coups de chaluts des scientifiques concordent. La morue du Nord effectue une remontée fulgurante.

Portrait de Dominique Robert, océanographe, Université Memorial de Terre-Neuve
Dominique Robert, océanographe, Université Memorial de Terre-Neuve. Photo : Radio-Canada / Gilbert Bégin

«On la voit revenir depuis le milieu des années 2000. Mais depuis 5 ans, tout s’accélère. Ce stock augmente année après année.» – Dominique Robert, océanographe, Université Memorial de Terre-Neuve

Ce ne sont pas tous les stocks de morues de Terre-Neuve qui sont de retour, mais la remontée de la morue du Nord est importante. Ce stock était jadis le plus imposant stock de morue de tout l’Atlantique nord-ouest et il a fait la réputation de Terre-Neuve sur les marchés internationaux.

L’Atlantique se réchauffe

C’est au milieu des années 90 que la morue du Nord atteint un plancher historique. On pense alors que jamais la morue ne se rétablira de la surpêche. Vingt ans plus tard, l’inimaginable est en train de se produire.

«On voit des changements dans l’écosystème de l’Atlantique Nord. La température de l’eau se réchauffe et ça favorise toute la chaîne alimentaire. Les morues profitent d’une plus grande abondance de nourriture.» – Dominique Robert, océanographe, Université Memorial de Terre-Neuve

Ce réchauffement des eaux a profité au capelan, la proie favorite de la morue. Sur les tables de découpe, les pêcheurs voient maintenant de plus en plus de capelans dans l’estomac des morues.

Le capelan est une proie riche en lipides. La morue survit mieux à l’hiver et grossit plus rapidement. Un garde-manger bien garni combiné à l’arrêt de la pêche commerciale depuis 1992 explique le retour de cette morue.

La fin du moratoire sur la pêche

Sur les quais, pêcheurs et industriels sont maintenant convaincus que ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils ne retournent pêcher la morue.

Pour lever le moratoire, Pêches et Océans Canada soutient qu’il faut un minimum de 600 000 tonnes de morues. C’est ce que les chercheurs appellent le seuil de conservation.

Or, le stock de la morue du Nord a atteint la moitié de cet objectif : la biomasse est présentement évaluée à 300 000 tonnes.

« On s’en va vers une réouverture de la pêche commerciale, avance Dominique Robert. Peut-être pas à court terme, mais à moyen terme, sûrement. »

Rebâtir une industrie

La nouvelle suscite l’espoir. Mais curieusement, elle pose aussi d’importants défis. Tom Best est président de la coopérative des pêcheurs de Petty Harbour, près de Saint-Jean.

Portrait de Tom Best, président de la coopérative des pêcheurs de Petty Harbour
Tom Best, président de la coopérative des pêcheurs de Petty Harbour. Photo : Radio-Canada / Bernard Laroche

«Terre-Neuve n’est pas prête à faire face au retour de la morue. Ni les pêcheurs ni les usines de transformation ne peuvent pour l’instant accepter des quotas du fédéral.» – Tom Best, président de la coopérative des pêcheurs de Petty Harbour

Après l’annonce du moratoire, les pêcheurs se sont tournés vers le crabe et la crevette pour survivre. Ils ont modernisé leurs bateaux et démantelé les usines de transformation de morues. Résultat : la capacité de pêche et de transformation de la morue est réduite à zéro.

L’industrie de la pêche aura besoin de l’aide gouvernementale pour se reconvertir à la morue.

Mais à terme, un autre défi attend Terre-Neuve : regagner les marchés perdus. Des décennies de moratoire ont laissé le champ libre à la Norvège et à la Russie. Ces pays inondent les marchés de morues à bas prix.

« On devra pêcher autrement si l’on veut refaire notre place. Il faudra miser sur la qualité plutôt que sur quantité de morues. On n’a plus le choix », explique Tom Best.

Le retour de la morue est une deuxième chance pour les Terre-Neuviens. Pêcheurs et biologistes sont conscients qu’ils n’auront pas le droit à l’erreur. Les yeux du monde seront désormais tournés vers eux.

L’état des stocks dans le golfe du Saint-Laurent

Les nouvelles sont bonnes pour la morue située au nord du golfe du Saint-Laurent. Ce stock s’étend de Sept-Îles jusqu’à la Basse-Côte-Nord. Les chercheurs confirment qu’il y a bel et bien une amélioration, mais on refuse de parler d’un retour comme c’est le cas à Terre-Neuve. Cette remontée est trop récente; les biologistes ne la mesurent que depuis 3 ans.

Carte qui décrit l'état des stocks de morue dans le golfe du Saint-Laurent
État des stocks de morue dans le golfe du Saint-Laurent. Photo : Radio-Canada

Dans le sud du golfe du Saint-Laurent, la situation de la morue reste catastrophique. La moitié des morues adultes meurent chaque année.

Le phoque gris est le grand responsable de ces mortalités. Sa population est passée de 6000 bêtes dans les années 60, à 500 000 aujourd’hui. Un seul de ces phoques mange jusqu’à 2 tonnes de poissons par année.

Si rien n’est fait, les biologistes des pêches estiment que le stock de la morue du sud du golfe disparaîtra d’ici quelques décennies.

Les pêcheurs du nord de Terre-Neuve n’ont jamais capturé autant de morues dans leurs filets.


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Un texte de Gilbert Bégin
LA UNE :Pêcheur sentinelle sur le quai de Lumsden. Photo : Radio-Canada / Gilbert Bégin