Chasse au phoque: entre mauvaise presse et espoir de relance

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40 ans après les accusations de Brigitte Bardot, les chasseurs rêvent de jours meilleurs pour cette ressource abondante.

Les espèces de phoques chassées au Québec sont plus abondantes que jamais dans les eaux du golfe du Saint-Laurent, au point de représenter un frein au rétablissement de certains stocks de poissons. Les chasseurs peinent pourtant à relancer leur industrie, victime d’une mauvaise presse alimentée par les groupes animalistes, mais aussi du manque de soutien de la part des gouvernements. La province se prive du même coup d’un outil de développement économique régional.

Cela se passait il y a 40 ans, en mars 1977. La vedette française Brigitte Bardot se rend sur la banquise, dans le golfe du Saint-Laurent, pour poser aux côtés de blanchons, ces jeunes phoques du Groenland âgés d’à peine quelques jours. Elle profite alors de sa notoriété pour lancer une campagne internationale d’opposition à la chasse, accusant les Canadiens d’être des « assassins » responsables d’un « génocide animalier ». Rien de moins.

Cette sortie publique sera suivie de plusieurs autres campagnes menées par les groupes animalistes, campagnes qui misent toutes sur l’image du blanchon pour dénoncer la chasse au phoque. Et même si la chasse à ces jeunes pinnipèdes est interdite depuis 1987, les groupes opposés à toute chasse continuent aujourd’hui d’exploiter leur bouille attendrissante pour faire passer leur message. En 2006, par exemple, l’ex-Beatle Paul McCartney avait évoqué la défense des « bébés phoques » pour réclamer la fin de cette chasse « cruelle et inutile ».

Pour les citoyens des îles de la Madeleine, qui ont toujours vécu en appuyant leur développement sur les ressources du golfe, de la pêche au homard à la chasse au phoque, le ressentiment est toujours très vif. « On nous a traités de sauvages, de barbares et d’assassins, déplore Gil Thériault, directeur de l’Association des chasseurs de phoques intra-Québec. Ce sont des insultes qui nous visaient directement et qui nous ont fait beaucoup de tort sur la place publique. C’était une attaque dirigée contre notre mode de vie. »

Il s’explique d’ailleurs mal la virulence des attaques dirigées contre les chasseurs depuis des décennies, attaques alimentées à grand renfort d’images présentant la blancheur de la banquise maculée du sang des phoques. « Si notre chasse est cruelle, pourquoi est-ce que ce n’est pas cruel de tuer un veau, un agneau ou un porcelet ? » demande-t-il.

Embargo nuisible

Directrice du développement du milieu pour la municipalité des îles de la Madeleine, Gabrielle Landry juge elle aussi que les insulaires ont été traités injustement. « C’est difficile pour les Madelinots. La chasse est une tradition aux Îles, souligne-t-elle. Historiquement, la chasse a toujours eu une grande importance dans l’activité des Îles, parce que c’était l’activité qui permettait de faire le pont entre deux saisons de pêche. »

En plus de l’image trompeuse véhiculée par les groupes animalistes, les campagnes de ceux-ci ont effectivement eu des conséquences économiques bien concrètes, constate Gil Thériault. « Ça nous a fait un tort énorme, laisse-t-il tomber. Dans les années 1970, un bateau pouvait ramener 10 000 phoques, et il vendait chaque peau 100 $. C’est énorme. Si on avait continué de faire cette chasse, on aurait une industrie moderne qui serait équivalente à une deuxième saison de pêche au homard. On aurait une industrie qui vaudrait plusieurs millions de dollars. »

Or la réalité est aujourd’hui bien différente. Le dernier coup particulièrement dur remonte à 2010, au moment où l’Union européenne a imposé un embargo sur les produits dérivés du phoque. Une décision qui se basait sur les méthodes de chasse, jugées trop « cruelles ». Ce motif n’avait encore jamais été utilisé pour bloquer l’importation de produits dérivés d’une espèce sauvage, espèce dont la survie n’est pas menacée. C’était une première pour le droit international. Et malgré une contestation du Canada et de la Norvège devant l’Organisation mondiale du commerce, la validité de l’embargo a été confirmée à deux reprises.

Les chasseurs d’ici ont donc perdu l’accès à leur principal marché d’exportation. M. Thériault aurait d’ailleurs aimé qu’Ottawa remette le dossier sur la table dans le cadre des négociations en vue de l’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne, mais ce ne fut pas le cas. « Nous nous sommes sentis très peu appuyés par nos gouvernements », dit-il. L’Europe, où la surpêche constitue toujours un problème et où l’importation d’ivoire est permise, reste donc fermée aux produits de la chasse au phoque.

Incohérence à Québec

Le directeur du regroupement de chasseurs québécois estime malgré tout qu’il existe bel et bien un marché pour les produits du phoque, probablement la ressource faunique sauvage la plus abondante pour une chasse commerciale au Québec. « Si on parle de la fourrure, de la viande et des oméga-3, les trois produits sont en forte demande. Mais le problème, c’est qu’on a concentré nos efforts sur les marchés étrangers au lieu de développer les marchés locaux. »

Tant M. Thériault que Mme Landry déplorent le manque d’appui de la part des gouvernements pour ce développement. « L’industrie a besoin d’un coup de pouce des deux paliers de gouvernement pour avancer. Et dans le cas de la chasse, il faut pouvoir avoir accès à la ressource. Et pour ça, il faudra peut-être revoir certaines réglementations », estime la directrice du développement du milieu pour les municipalités des îles de la Madeleine.

Pour le moment, les chasseurs jugent que le gouvernement du Québec leur met des bâtons dans les roues. Le ministère de l’Environnement leur a ainsi refusé récemment un projet de chasse « scientifique » sur l’île Brion, une « réserve écologique » située au nord-est des îles de la Madeleine. Les chasseurs souhaitaient y abattre un millier de phoques gris, pour un troupeau qui avoisine les 10 000 bêtes sur cette île. Le gouvernement a toutefois autorisé un autre projet, beaucoup plus modeste, dans un autre secteur.

Surpopulation

Il faut savoir que le phoque gris, un animal qui peut dépasser les 700 livres à l’âge adulte, est actuellement très abondant. La population de l’est du Canada, qui a déjà fait l’objet d’une chasse intensive, dépasse maintenant les 425 000 têtes, selon les plus récentes données de Pêches et Océans Canada.

Sa présence est telle que « le phoque gris limite ou ralentit le rétablissement de certaines espèces de poissons », conclut le chercheur Mike Hammill, spécialiste du phoque à Pêches et Océans. Selon les études des scientifiques, cette seule espèce serait responsable de 50 % de la mortalité naturelle de la morue dans certaines régions du golfe du Saint-Laurent. Et même si les quotas fixés pour la chasse permettent d’abattre chaque année 60 000 phoques gris, moins de 1500 ont été tués l’an dernier.

La situation serait encore plus problématique pour le phoque du Groenland, l’espèce qui vient notamment mettre bas, en hiver, sur la banquise qui se forme au large des îles de la Madeleine. Son cheptel, en constante augmentation, dépasserait aujourd’hui les 7,4 millions de têtes. Une situation de surpopulation qui militerait pour une hausse significative des prises, selon Gil Thériault, qui insiste sur l’importance de réduire la population de ce « superprédateur ».

Gabrielle Landry, elle, y voit surtout une façon d’améliorer la situation financière des Madelinots, mais aussi d’autres communautés côtières. « C’est un créneau de diversification économique important pour notre communauté. Ce serait important de préserver cette chasse, qui est liée à une matière première très près de nous. »

PAR Alexandre Shields
LA UNE : Photo: GREMMLe phoque gris est suffisamment abondant dans le Saint-Laurent pour ralentir le rétablissement de certaines espèces de poissons.