Jeannot Painchaud, l’horizon à perte de vue

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De son enfance aux Îles, Jeannot Painchaud se souvient de l’horizon à perte de vue et de l’immensité des ciels. D’un lieu qui renaît plus grand chaque jour.

«Grandir aux Îles, c’est une vie de cascadeurs, raconte-t-il. C’est à celui qui montera tout en haut du mât du bateau pour plonger. Qui ira de cap en cap pour se jeter dans l’océan. L’hiver, c’est sauter dans la neige et se retrouver complètement enseveli. On ne mesurait pas les risques. Et moi, je voulais toujours aller encore plus haut.»

Des années plus tard, c’est toujours ce même goût du risque qui mène sa vie. Ce besoin d’aller voir ailleurs aussi. Comme lorsqu’adolescent, sur son voilier, il se demandait ce qu’il y avait de l’autre côté de l’océan. Cette soif de voyager, de s’évader, qui l’a poussé à quitter ses Îles un jour de 1984. Il avait 18 ans.

Cette année-là, trente-six grands voiliers venus d’un peu partout dans le monde avaient jeté l’ancre dans la baie de Gaspé avant de gagner Québec. Une grande parade organisée à l’occasion du 450e anniversaire de l’arrivée de Jacques Cartier au Canada. Un spectacle grandiose, resté à jamais gravé dans le cœur de Jeannot Painchaud, et qui a modifié pour toujours le cours de sa vie.

UNE LUMIÈRE UNIQUE

1À Gaspé, il ne découvre pas seulement ces immenses voiliers dans lesquels il rêve secrètement d’embarquer pour partir vers des terres inconnues, il entre aussi en contact avec le cirque. Dans les rues, il y a des parades d’acrobates, des clowns, des échassiers… et sous un chapiteau, il assiste au premier spectacle du Cirque du Soleil. Nous sommes en juin. En septembre suivant, il est à Montréal et découvre l’École nationale de cirque. Un monde mystérieux s’ouvre à lui, unique, exotique. Parallèlement, il se lance dans le spectacle de rue : jonglerie, monocycle, vélo acrobatique… une vie de saltimbanque qui lui permet de vivre son rêve de voyage à travers le Québec et l’Europe.

« Mon vaisseau, c’est le cirque, raconte-t-il. Et puis dans mon sillage, d’autres Madelinots sont venus faire l’École du cirque à Montréal, notamment Daniel Cyr, qui créera par la suite la Roue Cyr, un appareil acrobatique utilisé aujourd’hui par les cirques du monde entier et devenu aussi incontournable que le trapèze ou le mât chinois. »

3Ensemble, ils montent un premier spectacle qu’ils vont jouer sur leur terre natale en novembre 1991. Sur scène, ils sont sept Madelinots. Le show s’appelle Cirque Éloize, un éclair de chaleur en patois acadien, titre que les deux jeunes acrobates reprendront deux ans plus tard lorsqu’il sera temps de fonder leur troupe. En attendant, sept ans après avoir quitté les Îles pour vivre la grande aventure, Jeannot Painchaud reconnecte avec ses racines. Depuis, il n’a pas passé une année sans y retourner.

« C’est tellement inspirant, affirme-t-il. On est entre ciel et mer. Il y a une lumière unique, des ciels étoilés que je ne retrouve nulle part ailleurs. Les grands vents. On est connecté aux éléments. Et puis, il y a les Madelinots et leur sens de la solidarité. Cet esprit de partage et de fraternité. Face à l’adversité, tout le monde se tient. »

AUTOUR DU FEU DE CAMP

Autant de valeurs qui ne le quittent jamais et qui imprègnent tout ce qu’il touche. Cette solidarité, cette confiance que les artistes se doivent d’avoir lorsqu’ils voltigent à plusieurs pieds du sol. Cette camaraderie qui règne au sein des troupes qui tournent tout autour de la planète. Certes, Jeannot Painchaud recherche les meilleurs acrobates pour ses spectacles. Mais parmi eux, il choisit ceux qui sont prêts à embarquer dans l’aventure ; qui ont l’esprit de clan, le sens de l’hospitalité ; qui sauront donner sur scène, mais aussi recevoir, ce que le public a à partager, pour devenir de meilleurs artistes, de meilleurs humains.

Ces valeurs, il les retrouve aujourd’hui chez son cousin, Éloi Painchaud, qui signe la musique de deux de ses récentes créations. Jusque-là, chacun avait mené sa barque de son côté, mais par le hasard d’une réunion familiale, ils ont échangé sur leur démarche artistique et se sont trouvé des points communs.

2« C’est un retour aux sources. Il y a une complicité, on se comprend tout de suite, souligne-t-il. Avec Éloi, c’est comme si on créait autour du feu de camp sur le terrain de la maison ancestrale à Havre Aubert. La maison où notre grand-père a élevé ses quinze enfants. Elle est toujours là, c’est maintenant l’Auberge chez Denis à François. Beaucoup de Painchaud y sont passés. Il y a un peu de tout ça autour de nous quand on travaille ensemble. »

Le Cirque Éloize fête cette année ses vingt-cinq ans. À l’époque, Jeannot Painchaud ne le sait pas encore, mais il est en train de signer le renouveau du cirque. Un cirque contemporain qui quitte le chapiteau traditionnel pour se produire en salle. Un cirque qui n’hésite pas à aller puiser dans d’autres formes d’art comme la danse, la musique, le théâtre, le cinéma. Un cirque qui est aussi poésie et humour, tout en énergie et en sensibilité.

TRANSMISSION

Depuis, douze spectacles ont vu le jour et ils ont tourné sur tous les continents ou presque. Plus de 550 villes visitées et 3,5 millions de spectateurs. Et trois générations de passionnés qui s’activent chaque jour dans les studios de Montréal pour réinventer le cirque. Trois cents personnes qui, chaque année, repoussent les frontières de la création contemporaine. Et on ne compte plus les distinctions ici, comme ailleurs. En juin dernier, c’est la consécration : le président et chef de la création du Cirque Éloize est fait Chevalier de l’Ordre national du Québec.

« La surprise passée, on réalise qu’il y en a eu du chemin parcouru depuis le jour où j’ai quitté les Îles sac au dos, commente-t-il. C’est vrai que c’est un beau parcours. Mais j’ai plutôt tendance à regarder ce qu’il reste à faire que de me pencher sur ce qui a été accompli. Ça doit être le propre des entrepreneurs. »

Cet été, un treizième spectacle de tournée verra le jour avec des premières dates aux États-Unis avant une première montréalaise en novembre à la Place des Arts. Le Cirque Éloize signe également Nezha, l’enfant pirate, le prochain spectacle nocturne de la Cité de l’Énergie à Shawinigan et une première expérience de spectacle semi-permanent. Le chapitre iD s’est refermé en décembre après huit années de tournée. Mais Cirkopolis est encore sur les routes et Saloon revient au Québec ce printemps. Ces spectacles qui tournent dans toutes ces villes du monde ne constituent pourtant qu’un volet de ce que crée le Cirque Éloize, aussi reconnu pour les événements sur-mesure qu’il produit.

Un agenda qui n’empêche pas Jeannot Painchaud de trouver du temps pour les Îles de la Madeleine. Depuis cette année, il fait partie du conseil d’administration de l’École de cirque des Îles, qui a tout autant une vocation artistique que sociale et que la Fondation Éloize soutient. Cette dernière verse également de l’argent à l’association Madeli-Aide, qui promeut la persévérance et la réussite scolaires des jeunes des Îles. Et il a toujours l’ambition de faire revivre un jour la Semaine des arts du cirque des Îles qu’il avait lancé en 2003. C’était alors le premier festival de cirque en Amérique du Nord.

En attendant, il continue à y retourner le plus souvent possible et à y emmener sa famille.

« C’est fondamental pour moi de transmettre mon attachement aux Îles, confie-t-il. J’ai deux jeunes enfants, mais aussi deux grands garçons, de jeunes adultes. Ils y viennent maintenant par eux-mêmes. Même s’ils n’ont pas grandi ici, ils sentent que c’est chez eux ici. »

Par Hélène Roulot-Ganzmann
Photos : Courtoisie di Cirque Éloize

Source : Magazine LES ÎLES