Le phoque menace la morue d’extinction

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Le constat scientifique est sans appel : pour éviter la disparition de la morue dans le sud du golfe du Saint-Laurent, il faudra réduire considérablement la population de phoques gris qui s’y trouve. Les chasseurs madelinots réclament d’ailleurs depuis plusieurs années un accès à une importante colonie de pinnipèdes qui fréquente l’île Brion, une réserve écologique protégée. Québec dit étudier le dossier, mais refuse de s’avancer.
 
Le phoque gris est une bête imposante qui, à l’âge adulte, peut dépasser les deux mètres de longueur et atteindre un poids de plus de 650 livres. S’il a longtemps été chassé, sa population a connu une croissance marquée au cours des dernières décennies. Elle se situe aujourd’hui à plus de 425 000 bêtes, dont environ 45 000 uniquement dans le golfe du Saint-Laurent.

Selon une étude publiée récemment dans NRC Research Press, son abondance est telle que le phoque gris risque d’éradiquer complètement les morues du sud du golfe d’ici trente ans. La disparition de la morue, déjà portée au seuil de l’extinction par la surpêche, « semple probable à moins d’une importante diminution de l’abondance des phoques gris », peut-on lire dans cette étude menée notamment par des chercheurs de Pêches et Océans Canada.


POPULATIONS DES ESPÈCES DE PHOQUES OBSERVÉES DANS LE SAINT-LAURENT

– Phoques gris dans l’est du Canada, 425 000
– Phoques communs dans l’est du Canada, 20 000 à 30 000
– Phoques du Groenland  dans l’Atlantique Nord-Ouest, 7,5 millions
– Phoques à capuchon au Canada, plus de 500 000


Cela signifie que pour sauver cette espèce de poisson, mais aussi éventuellement protéger les stocks d’autres espèces marines, y compris le homard, il faudra augmenter substantiellement la pression de chasse dans le golfe, souligne le maire des Îles-de-la-Madeleine,Jonathan Lapierre.

« Il faut absolument contrôler le troupeau, qui augmente d’année en année », insiste-t-il.

« Le problème, c’est que la chasse au phoque gris est très difficile », souligne Gil Thériault, de l’Association des chasseurs de phoques intra-Québec.

Contrairement au phoque du Groenland, qui est abattu sur les glaces qui se forment au large des îles, le phoque gris est essentiellement chassé sur la terre ferme. Mais pour atteindre les animaux, qui se regroupent en petites colonies, les chasseurs madelinots doivent actuellement se rendre jusqu’en Nouvelle-Écosse, en bravant les conditions météorologiques parfois très difficiles du golfe.

« On ne peut pas atteindre nos quotas, tellement la chasse est difficile », précise M. Thériault. Alors que les quotas annuels fixés par le fédéral pour l’est du pays avoisinent les 60 000 bêtes, les débarquements de la dernière décennie n’ont jamais dépassé les 2000 bêtes au Québec, selon les données de Pêches et Océans.

L’île Brion

Pour tenter d’augmenter les prises, mais aussi de réduire la population de phoques gris, la communauté des Îles-de-la-Madeleine demande depuis plusieurs années à avoir accès à l’île Brion, une « réserve écologique » située à seize kilomètres au nord de l’archipel.

Il faut dire que chaque année, près de 5000 phoques y reviennent au moment de la mise bas et de l’accouplement. Mais puisqu’il s’agit d’un territoire protégé depuis plus de trente ans, toute chasse y est interdite. Des chasseurs ont néanmoins déjà défié l’interdiction, ce qui leur a valu d’être mis à l’amende.

Afin de voir si une chasse serait possible sur les plages de ce territoire isolé, le gouvernement a mandaté l’an dernier le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) pour qu’il étudie l’idée de modifier les limites de la réserve écologique, afin de permettre la chasse.

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Le rapport, rendu public le 21 décembre, conclut que l’abattage de phoques « pourrait » être envisagé, mais seulement à la suite d’études qui démontreraient que l’espèce constitue « une menace à l’intégrité écologique » de l’île et que la chasse « permettrait de contrôler la colonie » sans être préjudiciable pour la protection du milieu naturel.

Est-ce que le ministre de l’Environnement Benoit Charette compte autoriser la chasse ? « Le ministre prend connaissance de nombreux dossiers, dont celui-là. Pour le moment, il n’a pas l’intention de se prononcer », répond son directeur des communications, Jean-Bernard Villemaire.

Au cabinet du ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, André Lamontagne, on précise que Québec a bien l’intention d’appuyer le « développement » du secteur.

« L’industrie du phoque est un secteur d’activité important pour les communautés côtières et autochtones des régions maritimes du Québec et sa relance est importante pour le secteur maritime du Québec. Il faut exploiter cette ressource abondante, afin de gérer de façon durable la croissance de ce cheptel et d’appuyer l’économie des régions maritimes », explique son attachée de presse, Laurence Voyzelle.

« Nous sommes conscients des inquiétudes concernant l’impact des phoques gris sur les stocks de poissons, comme la morue dans le sud du golfe du Saint-Laurent », soutient pour sa part le ministre de Pêches et Océans, Jonathan Wilkinson. « Un groupe de travail gouvernemental et industriel a été créé pour promouvoir et faire progresser le développement durable et humain de la chasse au phoque gris. »

Mode de vie insulaire

Pour le maire des Îles, Jonathan Lapierre, il importe de redorer l’image de cette chasse pratiquée par les Madelinots, mais aussi des produits du phoque, après des décennies de campagnes virulentes des groupes animalistes.

« Les gens connaissent les Îles pour ce qu’elles représentent d’un point de vue touristique. Mais il y a visiblement une méconnaissance des impacts de notre insularité, combinée à un certain isolement. C’est une réalité qui amène un mode de vie différent. La pêche et le tourisme jouent un rôle très important, mais il faut aussi se diversifier en se basant sur les ressources disponibles ici. Et pour cela, le phoque peut jouer un rôle économique important. »

PAR Alexandre Shields

LA UNE : iStock  / Les chasseurs madelinots réclament d’ailleurs depuis plusieurs années un accès à une importante colonie de pinnipèdes qui fréquente l’île Brion, une réserve écologique protégée.