Crabe: pour un début de saison hâtif

Publicité

Articles similaires

Un crabier de Chandler, en Gaspésie, Luc Gionest, croit qu’il y aurait moyen d’atténuer considérablement les interactions potentielles entre les pêcheurs semi-hauturiers de crabe des neiges et les baleines noires, en débutant la saison plus tôt, en éliminant la zone statique d’interdiction de capture et en modifiant légèrement le taux d’exploitation du crustacé.

M. Gionest croit qu’avec davantage d’équipements, la Garde côtière canadienne et le ministère fédéral des Pêches et des Océans auraient été capables d’assurer une ouverture de la saison de pêche au crabe à la mi-avril, au lieu du 2 mai, et que cette saison aurait conséquemment terminé plus tôt.

«Pêches et Océans Canada a failli à la tâche, à sa responsabilité d’assurer un début de saison hâtif. Le ministère n’a pas réussi à ouvrir les ports de la Péninsule acadienne à temps pour assurer que la saison ne s’étire pas. Il manque d’équipement pour déglacer ces ports», précise M. Gionest.

Il pêche dans le sud du golfe Saint-Laurent, une zone que les Gaspésiens et les Madelinots partagent avec une majorité de Néo-Brunswickois et un nombre assez limité de crabiers de l’Île-du-Prince-Édouard et de la Nouvelle-Écosse.

«La Garde côtière a manqué son coup»

Pêches et Océans Canada attend toujours que les ports de la Péninsule acadienne soient dégagés des glaces avant d’ouvrir la capture. Pourtant, la répartition du contingent global est réalisée en fonction de quotas individuels, ce qui garantit à chaque pêcheur de capturer la quantité qui lui est dévolue.

«L’aéroglisseur de la Garde côtière n’a pas réussi à dégager les ports néo-brunswickois. Il est arrivé tard. Les ports gaspésiens étaient dégagés et les crabiers étaient prêts à sortir en mer. Il y a maintenant de plus en plus de gars [crabiers] du Nouveau-Brunswick qui veulent apporter leur bateau ici l’automne pour être prêts au printemps. Ils voient l’urgence de commencer la saison plus tôt, à cause de la baleine noire», note Luc Gionest.

Comme d’autres, il a vu la Garde côtière tenter avec un seul aéroglisseur, le Sipu Muin, de prévenir une inondation au village de Matapédia et d’ouvrir le port de Shippagan pour les crabiers. «La Garde côtière a manqué son coup aux deux endroits. Matapédia a été inondé et la pêche a commencé trop tard», résume-t-il.

Zone statique «inutile»

Depuis la mort de 12 baleines noires en eaux canadiennes en 2017, Pêches et Océans Canada instaure une zone statique de fermeture de la pêche au crabe le 28 avril. C’est arrivé en 2018 et cette année. L’aire statique couvrait 6490 kilomètres carrés l’an passé et 2300 en 2019. Elle est assortie de «zones dynamiques», des secteurs qui ferment pour deux semaines quand des baleines noires y sont observées.

Les deux années, le ministère s’est engagé à tout faire pour que la pêche au crabe ouvre avant le 28 avril dans le sud du golfe.

«Il a manqué son coup les deux années. Elle est inutile, cette zone statique. Les zones dynamiques font le travail. Le ministère serait mieux de surveiller les déplacements de baleines noires beaucoup plus tôt. Le suivi aérien devrait se faire à l’entrée du détroit de Cabot, au nord du Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse, avec la même attention que celle qu’on voit dans le golfe. On pourrait pêcher jusqu’au moment où les baleines arrivent dans nos secteurs de pêche», souligne Luc Gionest.

En 2017 comme en 2019, les deux pires années pour les baleines noires dans le golfe, ces mammifères n’ont été vus qu’à partir de la mi-mai.

«On aurait donc pu pêcher dans la zone statique pendant deux semaines. Je suis certain que si on avait eu accès à tout le golfe à partir de la mi-avril, tout le monde aurait terminé la pêche après la première semaine de juin. Cette année, on a terminé le 30 juin», note le crabier.

Cinq des six baleines mortes jusqu’à maintenant en 2019 dans le golfe du Saint-Laurent ont été localisées après la première semaine de juin.

Même si des collisions avec des bateaux ou des navires constituent la cause à peu près certaine de trois de ces six mortalités, il est loin d’être assuré que des crabiers soient à l’origine de ces collisions, tout comme pour les empêtrements dans les engins de pêche, précise Luc Gionest.

«En mer, il y a toujours un certain risque […] C’est pourquoi le but, c’est de ne pas être là quand les baleines arrivent, ou d’être là le moins possible», insiste-t-il.

À la nécessité d’entamer la saison plus tôt et d’abolir la zone statique, Luc Gionest ajoute une autre suggestion, «moduler les taux de capture pour diminuer les pics et les creux de quotas. Je suis certain qu’on pourrait diminuer les taux d’exploitation de la biomasse légèrement, quand on a des stocks très forts, comme en 2017 et cette année. On pourrait faire des essais. Toute l’industrie, les pêcheurs comme les travailleurs d’usines, bénéficieraient de saisons plus égales», assure-t-il.

Le contingent de 2017 représentait une hausse de 102 % par rapport à celui de 2016. Cette année, le contingent de 32 480 tonnes marquait un bond assez important de 35 % comparativement à 2018.

Luc Gionest entrevoit de longues discussions avec le ministère des Pêches et des Océans (MPO) pour faire valoir son point de vue, qui est partagé par bien des crabiers gaspésiens.

«Le MPO est plus vite pour imposer des choses aux pêcheurs, et moins vite pour revoir ses façons de faire», conclut-il.

LA MINISTRE EST D’ACCORD QUANT AU SOUS-ÉQUIPEMENT

La députée de Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine et ministre du Revenu national Diane Lebouthillier admet que les gens affirmant que la Garde côtière manque d’équipement pour assurer le déglaçage des ports de pêche et des rivières «ont entièrement raison». Elle ne veut pas divulguer pour le moment les moyens qui seront en vigueur en 2020, mais elle parle de «solutions qui vont être permanentes».

Les débarquements de crabe des neiges venant du sud du golfe ont dépassé une valeur de 100 millions $ en Gaspésie et aux Îles-de-la-Madeleine en 2019, et près de 400 millions en incluant les provinces maritimes.

PAR : Gilles Gagné (collaboration spéciale)
LA UNE : Luc Gionest, à l’avant-plan, assure qu’il y aurait moyen de diminuer grandement les interactions potentielles entre bateaux de pêche et baleines noires.