Aide médicale à mourir : l’histoire de Jacky Poirier bouleverse les Madelinots

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Jacky Poirier avait 42 ans, une épouse et deux filles de 9 et 11 ans. Il avait aussi un cancer ravageur qui l’a incité à prendre une ultime décision : demander l’aide médicale à mourir. Le 10 octobre, à 14 h, le Madelinot qui avait bâti une communauté virtuelle rassemblant plus de 6700 personnes a poussé son dernier souffle. De Havre-Aubert à Grande-Entrée, le parcours de Jacky a remué l’archipel en entier.

Il parlait de sa mort comme s’il s’en allait en voilier, lance la soeur de Jacky, Christina Poirier. Bien qu’elle traverse des moments difficiles, Mme Poirier se remémore presque en riant l’optimisme inébranlable de son frère.

Il est parti en paix, il est parti joyeux, affirme-t-elle. Je pense que c’est comme ça qu’il voulait que ce soit, il ne voulait pas souffrir, il ne voulait pas être un fardeau pour la famille.

Avant de mourir, Jacky ne pouvait ni manger ni se tenir debout. Mais, raconte sa sœur, il est parti avec toute sa tête et il était fier de ce qu’il a accompli. Il a été fier jusqu’au bout.

Jusqu’au bout, les Madelinots l’auront aussi accompagné dans son parcours vers la mort.

Le jour prévu, une centaine de personnes se sont donné rendez-vous au pied de la fenêtre d’hôpital de Cap-aux-Meules où Jacky Poirier allait recevoir l’injection qu’il avait demandée. Pendant ce temps, sur Facebook, les témoignages fusaient de toute part.

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« Le lit de Jacky avait été approché près de la fenêtre et Jacky est venu nous saluer, donc tous et toutes ont applaudi. Une minute plus tard, le rideau se fermait…», raconte Léonard Chevrier qui administrait la page Info Madelinot avec Jacky Poirier. PHOTO : LÉONARD CHEVRIER

« Le lit de Jacky avait été approché près de la fenêtre et Jacky est venu nous saluer, donc tous et toutes ont applaudi. Une minute plus tard, le rideau se fermait…», raconte Léonard Chevrier qui administrait la page Info Madelinot avec Jacky Poirier.

Parce qu’aux Îles-de-la-Madeleine, presque tout le monde connaissait Jacky Poirier, du moins, virtuellement.

En juillet 2017, le résident de la Dune du Sud, à Havre-aux-Maisons, a mis sur pied le groupe Facebook Info Madelinot. Il a parti ça parce qu’il était malade et qu’il ne pouvait plus travailler, explique Léonard Chevrier qui administrait la page avec M. Poirier. C’était un passe-temps, mais en même temps, c’était un service pour les Madelinots.

Info Madelinot est rapidement devenu un lieu d’échange d’informations, de discussions et de partage d’opinions en lien avec l’actualité madelinienne. Jacky Poirier y jouait le rôle de modérateur afin que les échanges demeurent respectueux. L’ex-employé de la mine Seleine n’était pas attaché à un groupe en particulier: les Madelinots ont rejoint le groupe par milliers.


  Écoutez les explications d’Isabelle Larose à l’émission Au coeur du monde


Le député des Îles-de-la-Madeleine considère qu’il a contribué à libérer la parole des insulaires.

Jacky avait une ouverture à tous les points de vue, explique Joël Arseneau, en exigeant que chacun respecte le point de vue de l’autre. La place au dialogue était fondamentale, la place à la liberté d’expression, et il y avait une espèce de quête de justice sociale à travers ça pour en arriver à trouver des solutions communes à nos problèmes et à nos enjeux collectifs. C’est une œuvre qui est importante. 

«Info Madelinot est devenu un maillon important dans la chaîne d’information, de communication et de dialogue qu’on doit maintenir.» – Joël Arseneau, député des Îles-de-la-Madeleine

Une mort annoncée sur Facebook

Jacky Poirier avait lui-même annoncé l’heure et la date de sa mort sur Facebook.

Malgré la douleur de plus en plus présente, M. Poirier continuait d’être actif sur les réseaux sociaux et de modérer les échanges virtuels.

Trois jours avant sa mort, il avait même lancé la question : « Pour ou contre l’aide médicale à mourir? ». Le débat a suscité plus de 400 commentaires.

Alors qu’il lui restait moins de 48 heures à vivre, Jacky Poirier a partagé sa dernière publication sur Info Madelinot, une nouvelle de la radio locale portant sur l’accessibilité à Internet haute vitesse.

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La dernière publication de Jacky Poirier sur le site Info Madelinot. PHOTO : TIRÉ DE LA PAGE INFO MADELINOT

Même si ses heures étaient comptées, l’enjeu lui tenait à cœur. C’est que Jacky Poirier avait lancé une pétition demandant au gouvernement d’accélérer le déploiement d’un service Internet à très haute vitesse aux Îles-de-la-Madeleine à des tarifs équitables. La pétition, déposée à l’Assemblée nationale par le député des Îles-de-la-Madeleine Joël Arseneau, a récolté plus de 2000 signatures.

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Le député des Îles-de-la-Madeleine, Joël Arseneau, et l’instigateur de la pétition, Jacky Poirier PHOTO : RADIO-CANADA / PHILIPPE GRENIER

Témoignage de Jacky Poirier

Dans les heures précédant sa mort, Jacky Poirier a accepté de répondre aux questions de Radio-Canada. Trop faible pour un entretien téléphonique, il a accepté d’écrire, via Facebook, pour expliquer les raisons qui l’ont motivé à demander l’aide médicale à mourir. Voici son témoignage intégral :

« Je ne meurs pas, je ne fais que revivre à travers ceux que j’aime.

J’ai 42 ans, j’ai deux filles 9 et 11 ans. J’habite à La Dune du Sud, à Havre-aux-Maisons aux Îles-de-la-Madeleine.

J’ai un cancer colorectal de stade 4 depuis trois ans qui s’est répandu sur mon foie et mon muscle ventral. Je n’ai presque pas eu de douleur les deux premières années… J’avais de l’inconfort et des effets secondaires liés aux traitements de chimio, mais je gardais toujours espoir positif que les traitements soient efficaces un jour.

Mais la douleur s’est installée tranquillement.

J’ai aussi subi un AVC qui a compliqué beaucoup les choses. Je suis chanceux malgré tout d’être resté lucide et pas trop paralysé.

C’est comme avoir gagné 60 millions au Lotto-Max!!! Jackpot : j’ai encore mon laissez-passer pour l’aide à mourir!

Entre les lignes, je fais part tranquillement à ma conjointe du fait que je ne veux pas être une épave à soigner à maison. No way!

Et là, par une journée banale, un pic de douleur atroce se fait sentir. Et c’est de plus en plus fort chaque jour.

Je ne dors presque plus et ma qualité de vie est attaquée de plein fouet! Jusqu’à cette soirée où il se produit l’inévitable, une occlusion au niveau des intestins!

En d’autres mots, c’est rendu au point que les excréments sortiront par la bouche, arkkkkk!

Ambulance pis ça presse!!

La décision de fin de vie prend tout son sens, je l’annonce à un docteur, par la suite à ma conjointe, ma famille et mes amis!!!

Le plus important à ce moment précis, c’est d’avoir leur acceptation, pour enlever un terrible poids de sur mes épaules!

Je dois partir la tête haute!

Je dois éviter de chier par la bouche et la douleur s’y rattachant (je n’aurais jamais cru atteindre 12/10 sur l’échelle de la douleur, c’est au-delà du seuil acceptable!).

Par chance tout le monde m’appuie.

On me comprend.

On ne veut plus me voir souffrir et tous sont au courant de mon histoire, de par ma grande ouverture à faire suivre mon histoire sur ma page Facebook personnelle et le groupe j’ai moi-même décollé, Info Madelinot, une page web dédiée aux citoyens madelinots qui compte plus de 6700 membres.

Cette opportunité est incroyable et me donne le droit de décision sur tout mon processus de mourir.

Certaines améliorations doivent par contre être faites, comme les délais trop longs!

Si tu as les qualifications requises et que tu es prêt, personne ne devrait avoir le pouvoir de ralentir le processus! Ça serait criminel et inhumain!! »

(Radio-Canada a apporté de légères modifications pour faciliter la lecture.)

Une immense vague de sympathie

Avant et après la mort de Jacky Poirier, des centaines de Madelinots lui ont transmis des messages sur Facebook pour souligner son apport à la communauté. La plupart des missives virtuelles, dont plusieurs provenaient de membres de la diaspora madelinienne, commençaient par « Je ne te connais pas personnellement, mais… ».

Une dame qui n’a jamais rencontré Jacky en personne a peint, en pensant à lui et sa famille, une toile représentant un bateau.

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Des centaines de messages rendant hommage à Jacky Poirier ont déferlé sur la page Facebook Info Madelinot. PHOTO : TIRÉ DE LA PAGE FACEBOOK INFO MADELINOT

Un autre membre du groupe virtuel Info Madelinot a écrit : Peu importe sur quel barreau de l’échelle que tu te trouves, Jacky a su te rejoindre afin de jaser avec toi. [Il] a mené la barre avec cette passion qui anime plusieurs d’entre nous. Celle de protéger nos îles, de s’assurer qu’on est tous corrects et qu’on soit bien informés de ce qui se passe. Ensemble, en pensées, les Madelinots allons t’accompagner jusqu’au large de l’île d’Entrée pour te souhaiter bon voyage. 

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Plusieurs Madelinots d’origine qui ne résident plus aux Îles consultaient régulièrement Info Madelinot pour suivre l’actualité madelinienne. PHOTO : TIRÉ DE LA PAGE INFO MADELINOT

La liberté de presse et le droit des Madelinots à une information équilibrée et aux débats respectueux des idées perdent un ardent défenseur aujourd’hui, a écrit la journaliste Hélène Fauteux qui couvre le territoire madelinot depuis plus de 30 ans.

Ces témoignages représentent un baume pour la famille du défunt. Il y a tellement eu une belle vague d’amour aux Îles-de-la-Madeleine, explique sa sœur, Christina Poirier. Il a pu changer la façon de percevoir les choses, c’est tellement du positif qu’il a envoyé ici. C’est capotant!

Et l’héritage que lègue Jacky Poirier ne sombrera pas dans l’oubli. Le coadministrateur d’Info Madelinot, Léonard Chevrier, est clair : la page Facebook survivra à la mort de Jacky Poirier.

Il a laissé l’espoir aux gens des Îles que, ensemble, les choses pouvaient changer, croit Léonard Chevrier.

La veille de sa mort, se remémore-t-il, j’ai fait rire Jacky en l’appelant Greta Poirier. Des gens qui, avec peu, soulèvent espoir. 

Les funérailles de Jacky Poirier seront célébrées le vendredi 18 octobre à 16 h, à l’église Sainte-Madeleine de Havre-aux-Maisons.

LA UNE : Des centaines de Madelinots ont été touchés par l’histoire de Jacky Poirier. PHOTO : AVEC L’AUTORISATION DE JACKY POIRIER