Fouilles archéologiques à Saint-Pierre et Miquelon : les îles vues autrement

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Des fouilles archéologiques à Saint-Pierre et Miquelon, le sujet n’est pas nouveau. Pourtant l’intérêt des chercheurs s’accroît chaque année et nous laisse entrevoir une histoire et une préhistoire surprenantes pour nos petites îles. Nous vous avons déjà parlé des fouilles menées annuellement par Catherine Losier de l’Université Mémorial de Saint-Jean de Terre-Neuve, elles abordent une époque relativement récente puisqu’on y déterre des artefacts du 18ème siècle. Voici qu’un nouveau volet de recherches, sur trois ans, est entrepris cette fois par une équipe franco-québecoise. En toile de fond, l’éventuel dépôt d’un dossier pour le classement de Saint-Pierre et Miquelon au patrimoine mondial de l’Unesco.

Une (déjà) longue histoire de fouilles archéologiques à Saint-Pierre et Miquelon

Fouilles archéologiques à Saint-PIerre et Miquelon
Réginald Auger, dans la salle d’étude du musée de l’Arche, Saint-Pierre, crédit photo HDE

 

Réginald Auger de l’Université Laval du Québec, Grégor Marchand du prestigieux Centre National de la Recherche Scientifique français, le CNRS, et leurs équipes de scientifiques ont passé un mois, en août/septembre à l’Anse à Henry, au nord de l’Île de Saint-Pierre.

Des fouilles archéologiques à l’Anse à Henry, il y en a déjà eu. Entre 1999 et 2004, l’archéologue canadienne Sylvie Leblanc a mené un travail fondamental. L’archéologue a posé des bases et révélé à la population de l’archipel ce qu’elle était à mille lieux d’imaginer à l’époque : Saint-Pierre est habité depuis des millénaires !

Avant Sylvie Leblanc, dans les années 80, l’archéologue français de renom, Jean Chapelot avait été précurseur sur le sujet. Peut-être était-il venu trop tôt puisqu’aucune opération de recherche archéologique n’avait suivi sa visite.

Quoi qu’il en soit, ça fait plus de 40 ans que les scientifiques s’intéressent au sous-sol de l’Anse à Henry, un lieu de promenade très fréquenté par les Saint-Pierrais. La sortie digestive du dimanche par excellence.

L’Anse à Henry

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Pour les gens d’ici l’Anse à Henry c’est :

  • 45 minutes de balade sur un sentier très bien tracé.
  • Un petit coucou à la Vierge, posée sur le rocher de l’Anse, qui fait face au Grand Colombier.
  • Un pique-nique et on rentre.

Voir les paysages sous un autre jour

Récemment, nous vous emmenions à Terre-Neuve-et-Labrador, à Mistaken Point, découvrir des fossiles vieux de 548 millions d’années. Aujourd’hui, on nous annonce que Saint-Pierre est un site archéologique « extraordinaire », le site le plus sud ayant été habité par des peuples considérés comme « nordiques ». Nos sols cachent bien des surprises !

Pour les chercheurs, : « C’est un site d’une richesse exceptionnelle. On est devant un très gros site préhistorique. Unique en France, pour ce qui est des peuples qui l’ont fréquenté. » analyse Grégor Marchand.

fouilles archéologiques CNRS Université Laval

Les groupes nomades établis à partir du printemps, repartaient à Terre-Neuve ou sur le continent quand l’hiver s’approchait.

Chasseurs-cueilleurs, ils suivaient le gibier. En été, leurs proies principales étaient sur littoral. C’est à l’intérieur des terres, en revanche, que se trouvaient les caribous qui constituaient leur principale nourriture hivernale.

À Saint-Pierre et Miquelon il n’y avait à l’époque aucun « gros gibier » de ce type. Si aujourd’hui on y chasse le cerf de Virginie c’est parce qu’ils ont été introduits très récemment, en 1953.

Donc, que l’on parle des amérindiens :

  • de l’archaïque maritime, de -3000 à -1200 avant J-C
  • de paléo-esquimau ancien (Groswater) de -800 à -100 avant J-C
  • de paléo-esquimau récent (Dorsétiens) de 100 à 900 de notre ère
  • ou d‘indiens « récents » entre le début de notre ère et 1500 et Béothuks

On peut s’imaginer des modes de vie très similaires.

frise fouilles archéologiques à Saint-PIerre et Miquelon
Crédit : Le Doaré 2018

 

 

 

 

Et là vous vous dites, « ce n’est pas une spécialiste de la préhistoire de l’Amérique du Nord qui écrit ces lignes ». C’est un fait. Mais il n’empêche que tous étaient nomades et vivaient de pêche, de chasse et de cueillettes et ils utilisaient les mêmes matières premières, donc on peut imaginer des habitudes de vie assez identiques (pour les néophytes en tout cas).

Grâce à ce que j’ai appris lors de cette conférence, puis en m’entretenant longuement avec Réginald Auger et Grégor Marchand, ce site tellement familier de l’Anse à Henry apparaît sous un jour complètement nouveau. Au delà des aspects archéologiques et scientifiques, grâce aux éléments présentés à l’issue de cette première étape, nous pouvons « repeupler le paysage de l’Anse à Henry« .

Nous pouvons nous figurer des hommes et des femmes archaïques maritimes vêtus de peaux de caribou ou de phoque dans le paysage de toundra arctique du nord-est de Saint-Pierre que l’on connait si bien, c’est saisissant.

fouilles archéologiques à Saint-Pierre et Miquelon
L’Anse à Henry vue depuis le Grand Colombier. Crédit Photo Valérie Jackman

Des scènes de pêche

On imagine, par exemple, des scènes de pêche dans des eaux très poissonneuses, telles que les ont décrites les premiers explorateurs européens qui fréquentaient nos eaux :

« […] une mer couverte de poissons que l’on prend non seulement au filet mais avec des paniers dans lesquels on met une pierre pour qu’ils puissent plonger dans l’eau. » – C’est une description faite par des marins revenus de l’expédition de John Cabot en 1497. Contemporains des peuples que les chercheurs appellent « Indiens Récents ».

Des eaux où il est facile de pêcher depuis une pirogue en écorce de bouleau.

En plus des poissons, le littoral, encore aujourd’hui, regorge d’oursins, de bigorneaux et plus loin, de moules sauvages, de homards et de crabes. Et eux, ils avaient surement plus de capelans que nous en 2019 !

De la chasse aux phoques

Des phoques par contre, il y en avait certainement autant que maintenant. Étaient-ils chassés au harpon ? Les chercheurs ont mis à jour de grandes quantités de pointes de harpons et de pointes de flèches qui pouvaient servir à ces chasseurs aguerris à capturer des proies aussi grosses que ces phoques qui abondent autour de nos îles. Ils se prélassent une partie de la journée sur les rochers : des proies faciles !

Des recherches canadiennes ont établi que les peuples préhistoriques savaient conserver la viande et le poisson, grâce au séchage et au fumage. Ces grosses bêtes devaient leur fournir des dizaines de kilos de viande rouge et de graisse.

À votre prochaine visite à l’Anse à Henry vous sentirez cette odeur de fumoir.

Sur fond de Grand Colombier, l’îlot en face de l’Anse à Henry, vous imaginerez les femmes agenouillées, occupées à gratter méticuleusement les peaux de loup-marins avec ces grattoirs très acérés, à peine plus gros que l’ongle d’un pouce, qui ont été trouvés dans les fouilles de cet été. Vous verrez leurs cheveux longs tressés et les plumes au bout des lanières de cuir qui servaient à les attacher.

analyse des artefacts
Grégor Marchand analyse un des bifaces retrouvés dans le sol de l’Anse à Henry, crédit photo : HDE

Les oiseaux marins et des œufs

Des oiseaux ! Il y a beaucoup d’oiseaux, sur le Grand Colombier. Aujourd’hui encore ils y nichent au printemps et y restent jusqu’au début de l’automne.

Est-ce que ces oiseaux-là, macareux, pétrels, mouettes tridactyles, sont les descendants des oiseaux qui passaient la belle saison sur le Grand Colombier il y a 2000 ans ?

Réginald Auger, l’appelle « le Grand Poulailler » tant il est certain qu’il a servi de garde-manger de premier ordre aux habitants de l’Anse à Henry. Imaginez des milliers de couples d’oiseaux, autant de nids garnis d’œufs et les festins qui pouvaient être préparés pendants plusieurs semaines. Le festival de l’omelette !  Peut-être le Grand Colombier a-t-il été lui même un lieu de campement ? On sait en tout cas qu’en plus des œufs et des oiseaux, les dorsetiens y ont procédés à des extractions de roches utilisées pour les outils et les armes.

Qui dit flèches, dit arc. Seules les pointes ont été retrouvées, en très grande quantité. Je peux quand même imaginer les chasses aux oiseaux marins. Avec une telle profusion de volatiles, les falaises du Grand Colombier devaient être un terrain d’apprentissage idéal pour les jeunes qui commençaient à manier l’arc !

fouilles archéologiques à Saint-Pierre et Miquelon
Un joli petit couple de macareux du Grand Colombier. Crédit photo : Valérie Jackman

Et les enfants ?

Peut-être avons-nous joué sur les mêmes rochers?

Le paysage de toundra arctique de Saint-Pierre est parsemé de blocs erratiques posés là depuis le quaternaire. Des rochers, plus ou moins imposants qui peuvent se transformer en terrain de jeux variés pour les plus jeunes. On ne sait rien de leurs passe-temps. Mais les enfants sont les enfants, n’est-ce pas ? Les petits paléoesquimaux ont couru autour, ils ont sauté depuis ces rochers-là et ils y ont joué à cache-cache.  Eux aussi, ils se sont fait des cachettes sous les sapins baumiers. Ça ne peut pas être autrement.

Contrairement à Terre-Neuve, Saint-Pierre bénéficie d’une absence totale d’animaux dangereux. Est-ce que les mamans Groswater laissaient leurs petits jouer, rassurées, comme nous maintenant parce qu’ »Ici, c’est sûr, il ne peut rien leur arriver » ?

La fameuse qualité de vie Saint-Pierraise, déjà ! Grâce à ces nouvelles fouilles archéologiques à Saint-Pierre et Miquelon, les chercheurs visualisent désormais une occupation régulière sur 8,5 hectares. Preuve de « succès » pour ce site ?! Peut-être occupé par plusieurs familles ? Trop tôt pour dire combien. Peut-être le saura-t-on un jour. Toutefois, vue la durée des séjours, il est logique d’imaginer des groupes constitués de personnes de tous âges avec des occupations propres à chaque période de la vie.

Saint-Pierre fouilles archéologiques

Des points communs, déjà…

Sans les connaitre plus, il est facile de trouver dès maintenant des points communs avec ces différents peuples amérindiens :

Nous avons admiré les mêmes aubes enflammées derrière Terre-Neuve et les fabuleux couchers de soleil derrière la pointe Sud de Langlade,

Nous avons  attendu que la même brume se lève,

Nous avons glissé sur le même goémon,

Nous avons mangé les mêmes quatre-temps, les mêmes canneberges, les mêmes bleuets,

Nous nous sommes piqués aux mêmes oursins, et sur les mêmes genévriers,

Nous avons frissonné aux mêmes coups de vent d’automne et trouvé que vraiment les jours raccourcissent trop vite !

Les recherches scientifiques autour de ce premier volet de quatre semaines de fouilles archéologiques à Saint-Pierre et Miquelon vont se poursuivre en laboratoire. Les examens au carbone 14 des artefacts retrouvés vont permettre de les dater avec plus de précisions. Il y a urgence, le site de l’Anse à Henry se dégrade à la vitesse grand V et on sait qu’à chaque tempête de précieux témoignages de la présence des peuples préhistoriques disparaissent dans l’océan.

L’anse à Henry, avril 2018. Devant : le Grand Colombier. Au fond, l’Île Verte puis Terre-Neuve. Les traces blanches au long de la côte du Grand Colombier sont les premiers oiseaux migrateurs de la saison, certainement des macareux. Crédit photo : HDE

 

Si les fouilles archéologiques à Saint-Pierre et Miquelon vous intéressent je vous conseille :

  • par Andrée Lebailly, « Saint-Pierre et Miquelon, histoire de l’archipel et de sa population », Ed. Atelier JJO
  • l’excellent site web Heritage Newfoundland et Labrador, la plupart des articles consacrés aux populations aborigènes sont disponibles en français (allez tout au bas de chaque article pour trouver le lien vers la version française)
  • par E. Aubert de la Rüe, « Recherches géologiques et minières aux îles Saint-Pierre et Miquelon« 
  • l’exposition permanente consacrée aux fouilles archéologiques au Musée de l’Arche, à Saint-Pierre

Merci à Réginald Auger, Grégor Marchand, Maureen Le Doaré et Lolita Rousseau.

Merci à Valérie Jackman pour ses magnifiques photos

Photo de couverture de l’article : vue de l’Anse à Henry, crédit photo DTAM 201