Les jours de l’aréna Wendell-Chiasson de Cap-aux-Meules sont comptés

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Bien que la Municipalité des Îles-de-la-Madeleine ait reconnu en 2017 le « patrimoine d’exception » de l’aréna Wendell-Chiasson, le bâtiment construit en 1952 par des Madelinots, en plein cœur de Cap-aux-Meules, sera démoli dans les prochains jours.

Félix Gaudet avait 10 ans lorsque son père, Raymond Gaudet, a été recruté par la famille Leslie comme contremaître principal pour élaborer les plans du premier aréna des Îles-de-la-Madeleine.

Avec une énergie impressionnante pour ses 78 ans, Félix Gaudet explique que c’est Roland Chalmers Leslie – surnommé Bunny ou Banney selon les prononciation anglophones ou francophones – qui a réquisitionné les services de son père.

Roland Chalmers Leslie était le fils de Frank Willoughby Leslie et le petit-fils de William Gasper Leslie II, l’un des premiers et des plus grands entrepreneurs des Îles au début du 20e siècle, affirme Hélène Chevarie, l’archiviste responsable du Centre d’archives régional des Îles.

Originaire de la Nouvelle-Écosse, William Gasper Leslie exploitait de nombreux magasins d’alimentation et d’équipement de pêche en plus de posséder des usines de pêche aux quatre coins de l’archipel et de s’occuper des contrats postaux pour le gouvernement. Lors de sa mort en 1924, sa compagnie est cédée à son fils Frank.

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Félix Gaudet, le fils de Raymond Gaudet qui était le contremaître principal du chantier de construction de l’aréna Wendell-Chiasson. PHOTO : RADIO-CANADA / ISABELLE LAROSE

Frank Leslie avait de l’argent à l’époque, raconte Félix Gaudet. : il fallait que ce soit un Madelinot qui le construise. Il ne pensait pas que son fils allait être capable de trouver quelqu’un aux Îles.","text":"Son fils Bunny voulait faire un aréna, mais son père ne voulait pas payer. Finalement il a convaincu son père de faire l’aréna, mais Frank a mis une condition: il fallait que ce soit un Madelinot qui le construise. Il ne pensait pas que son fils allait être capable de trouver quelqu’un aux Îles."}}">Son fils Bunny voulait faire un aréna, mais son père ne voulait pas payer. Finalement il a convaincu son père de faire l’aréna, mais Frank a mis une condition : il fallait que ce soit un Madelinot qui le construise. Il ne pensait pas que son fils allait être capable de trouver quelqu’un aux Îles.

«Bunny Leslie est venu voir mon père et il lui a demandé de construire l’aréna et il a dit oui.» – Félix Gaudet

Raymond Gaudet, qui avait déjà fait ses preuves en construction aux Îles et en Nouvelle-Écosse, est donc parti à Halifax pour s’inspirer de l’architectures d’autres arénas construits en bois.

Il est revenu et il a fait les plans du premier aréna de Cap-aux-Meules, raconte Félix Gaudet qui se remémore que son père s’affairait sur de grandes feuilles étendues sur la table de la cuisine, armé de simples crayons et de règles, et ce, malgré une éducation ne dépassant pas la cinquième année.

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Raymond Gaudet, contremaître principal du chantier, est l’homme assis sur un barillet au centre de la photo datant de 1953. Autour de lui, les charpentiers madelinots ayant participé à la construction de l’aréna. PHOTO : CENTRE D’ARCHIVES RÉGIONAL DES ÎLES, COLLECTION AC1-S39

C’est également Raymond Gaudet qui a supervisé la construction de l’aréna qui prendra près de deux ans.

La construction presque entièrement faite de planches a dû être érigée en l’absence de toute machinerie de levée, rapporte l’archiviste Hélène Chevarie. Raymond Gaudet a lui-même effectué les calculs de niveau de sol, des dimensions des socles de béton sans l’aide d’arpenteur ou d’outils modernes de calcul. Les arches sont directement bâties à terre, des planches sciées manuellement avant d’être montées les unes à la suite de l’autre pour constituer le toit.

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Les constructeurs disposaient d’équipement rudimentaire comme le démontre cette photo datant de 1953.PHOTO : CENTRE D’ARCHIVES RÉGIONAL DES ÎLES, COLLECTION AC1-S52

Mon père s’est fait remarquer à l’extérieur des Îles, indique Félix Gaudet. Il a construit des bâtiments aux États-Unis. Les Américains ont donné le titre d’ingénieur à mon père. Moi, je dirais plus qu’il était ingénieux. Il a appris beaucoup de choses par lui-même en observant. Il n’est pas allé à l’université!

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La structure en arches de bois est bien visible à l’intérieur de l’aréna Wendell-Chiasson. PHOTO : RÉ-UTÎLES

Le premier à patiner

Quelques jours avant l’ouverture officielle de l’aréna en janvier 1954, c’est Félix Gaudet qui aura la chance s’élancer sur la glace en premier.

On était en train de souper et ils avaient commencé à faire la glace à l’aréna, se remémore-t-il. Mon père est arrivé et il m’a dit d’aller chercher mes patins pour aller patiner dans l’aréna.

«Je suis le premier qui a patiné dans le premier aréna des Îles. Mon père n’était pas orgueilleux, mais, cette fois-là, il l’a été un petit peu vu que c’était lui qui l’avait construit.» – Félix Gaudet

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L’aréna fut l’hôte du Bicentenaire acadien réunissant des milliers de personnes pour la reconstitution historique présentée en 1955. PHOTO : CENTRE D’ARCHIVES RÉGIONAL DES ÎLES, COLLECTION AC1-S26 – SIMON ET ARTHUR BOURQUE

Une démolition empreinte de tristesse

Plus de 66 ans après ses coups de patins mémorables, Félix Gaudet se désole que le bâtiment construit par son père soit sur le point d’être démoli. Il déplore que la municipalité, qui a fermé l’aréna au public en 2006, n’a pas cru bon l’entretenir adéquatement au fil des ans.

Ça me fait de la peine, dit-il. Ça m’affecte beaucoup le cœur.

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La toiture de l’aréna, photographiée ici en septembre 2020, a été endommagée par le passage de la tempête Dorian en 2019. PHOTO : RADIO-CANADA / ISABELLE LAROSE

Je crois que l’aréna aurait pu être préservé, affirme M. Gaudet. Quand on connaît son histoire, c’est certain que c’est un monument qui aurait dû être conservé. Peut-être que les gens vont dire que c’est [mon opinion] parce que c’est mon père qui l’a construit, mais quand on remarque la manière que c’est construit, avec les moyens qu’ils avaient à l’époque, c’est un chef-d’œuvre.

Le président de la Corporation de la sauvegarde du patrimoine des Îles partage son avis.

C’est triste parce que c’est un aréna construit par la famille Leslie en 1952, par des Madelinots, pour le monde des Îles, affirme James Gray.

«C’est une construction unique, c’est une structure ronde qui a demandé énormément de talent. Côté architectural, c’était avant-gardiste.» – James Gray, président de la Corporation pour la sauvegarde du patrimoine des Îles-de-la-Madeleine

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James Gray, président de la Corporation pour la sauvegarde du patrimoine des Îles. PHOTO : RADIO-CANADA / ISABELLE LAROSE

James Gray juge illogique que la Municipalité ait décidé d’investir 460 000 $ pour démolir l’infrastruture, alors que 1,2 millions de dollars aurait pu permettre de la remettre en état.

Ce n’est pas un bâtiment qui est laid, la devanture manquait un peu d’amour, mais c’était quelque chose d’intéressant. En plus, les constructions en bois reviennent à la mode. On a une réflexion à faire pour sauver le patrimoine, croit James Gray, résigné face à une démolition imminente.

Les démarches municipales demeurées vaines

Le maire des Îles-de-la-Madeleine explique que l’aréna Wendell-Chiasson est considéré comme un bâtiment excédentaire par le conseil municipal depuis 2006.

Selon Jonathan Lapierre, la Municipalité a multiplié les efforts depuis près de 15 ans pour tenter de confier l’infrastructure à un nouveau propriétaire.

Le conseil de l’époque a lancé un processus pour tenter de valoriser le bâtiment, indique Jonathan Lapierre. On a fait tous les efforts, on a dépensé des centaines de milliers de dollars pour faire des analyses, des études. On a même souhaité le donner à des promoteurs qui n’ont rien voulu proposer comme projet structurant pour le milieu hormis d’en faire un stationnement. Il était hors de question que cet espace-là devienne un simple stationnement. Le terrain à beaucoup trop de valeur à nos yeux et représente un fort potentiel.

Malgré les démarches pour céder l’aréna, aucun investissement notable n’a été fait pour assurer sa préservation à long terme. Durant quelques années, la Municipalité a utilisé l’aréna comme entrepôt, mais l’inventaire a dû être déplacé en 2018, car le bâtiment n’était plus étanche.

C’est un choix délibéré de ne pas investir dans un bâtiment qui a été jugé excédentaire, précise le maire Lapierre.

«L’objectif de la municipalité n’était pas était de maintenir un bâtiment en état, notre objectif était de s’en départir. On a tout fait ce qui était en notre pouvoir pour ne pas arriver à cette fin-là.» – Jonathan Lapierre, maire des Îles-de-la-Madeleine

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« La Municipalité a réalisé elle-même des études d’opportunités et, à chaque fois, on se retrouvait avec des projets de valorisation de trois ou quatre millions de dollars », indique Jonathan Lapierre. « La fonction ou l’usage ne justifiait pas l’investissement.» PHOTO : RADIO-CANADA / ISABELLE LAROSE

Dans un ultime effort de sauvetage, la Municipalité a procédé à la citation de l’ancien aréna Wendell-Chiasson au titre de monument d’intérêt patrimonial en 2017, dans l’espoir qu’un éventuel repreneur ait accès à davantage de subventions.

Dans la résolution municipale, les élus reconnaissent que ce type d’aréna de bois constitue un patrimoine d’exception au Québec, que l’édifice est le fruit d’un savoir-faire local, porté par des charpentiers d’ici  et qu’un audit technique réalisé en 2008 et mis à jour en 2017 conclut qu’il est toujours possible de rénover ce bâtiment et de lui donner une nouvelle vie .

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Un périmètre de sécurité a été mis en place autour de l’aréna à la fin septembre pour protéger le chantier de déconstruction (archives). PHOTO : RADIO-CANADA / ISABELLE LAROSE

La démarche de sauvegarde est demeurée vaine. À la fin de l’été 2020, la Municipalité a octroyé un contrat de 459 336 $ à l’entreprise madelinienne Lapierre Ancestrale pour procéder à la démolition de l’aréna Wendell-Chiasson.

On aurait bien souhaité lui trouver une vocation et qu’un promoteur s’y intéresse, admet Jonathan Lapierre. Ceci dit, c’est une page riche en histoire qui se tourne qui a donné beaucoup d’émotions aux Madelinots au cours des décennies avec les activités de hockey et la rivalité entre les différents villages. Mais aujourd’hui, on se tourne vers l’avenir.

Le maire précise que l’espace laissé vacant par l’aréna servira à construire de nouvelles installations dans le cadre du projet d’écoquartier. Jonathan Lapierre décrit le futur écoquartier comme un milieu de vie offrant une multitude de services dans un petit rayon alliant résidences et commerces, espaces verts et aménagements pour favoriser les déplacements actifs.

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L’écoquartier sera mis en place au centre-ville de Cap-aux-Meules, entre le site de l’aréna Wendell-Chiasson et l’ancienne école Marguerite-D’Youville (archives). PHOTO : RADIO-CANADA / ISABELLE LAROSE

L’écoquartier sera également doté d’un micro réseau électrique grâce à la participation d’Hydro-Québec, un projet similaire à celui réalisé à Lac-Mégantic.

Je suis convaincu que les Madelinots seront extrêmement fiers de ce qui s’en vient dans cette zone, soutient Jonathan Lapierre.

Une deuxième vie pour les matériaux

Lapierre Ancestrale, l’entreprise madelinienne qui a décroché le contrat de démolition, assure que 70 % des matériaux composant l’aréna Wendell-Chiasson seront recyclés directement dans l’archipel. Même le béton formant la dalle sera revalorisé.

Pour recycler le bois de l’aréna ainsi que les objets et le mobilier qui s’y trouvaient toujours, Lapierre Ancestrale s’est alliée avec le Centre de récupération Ré-Utîles, une entreprise d’économie sociale madelinienne œuvrant à la réduction, au réemploi, au recyclage et à la valorisation des matières résiduelles.

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Des matériaux de construction provenant de l’aréna Wendell-Chiasson sont déjà disponibles à la matériauthèque de Ré-Utîles. PHOTO : RÉ-UTÎLES

La cour de la matériauthèque va bientôt être pleine de bois, lance la chargée de projet chez Ré-Utîles, Alexandra Pelletier, qui précise que les arches de la structure de l’aréna seront démantelées en section avant d’être transporté au centre de l’Étang-du-Nord. Elle croit que ces planches pourraient servir à une multitude de projets, de la construction de meubles à celle d’un chalet.

Déjà, les Madelinots peuvent se procurer des objets et des matériaux de construction provenant de l’aréna à la matériauthèque ainsi qu’à la ressourcerie de Ré-Utîles.

Il y a beaucoup de nostalgie, note Mme Pelletier. L’aréna a touché beaucoup de générations. Les gens nous en parlent beaucoup.

PAR Isabelle Larose

LA UNE : Héritage de la famille Leslie, l’aréna Wendell-Chiasson occupe une place de choix au centre-ville de Cap-aux-Meules depuis près 70 ans (archives). PHOTO : RADIO-CANADA / ISABELLE LAROSE