Jacau de Fiedmont, l’homme qui aurait pu sauver Beauséjour

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«Nous avons plus manqué d’habileté dans cette occasion que de courage. Le courage seul ne suffit pas dans les actions de défensive; elles demandent de l’intelligence, des peines, des soins et des fatigues continuelles. On doit toujours se trouver extrêmement malheureux d’être obligé de céder à son ennemi après avoir fait tout ce qu’on peut pour lui résister.» – Jacau de Fiedmont; Journal de l’attaque de Beauséjour

Louis-Thomas Jacau de Fiedmont était aux premières loges de la prise du fort Beauséjour par le lieutenant-colonel Monckton en juin 1755. Même s’il avait une mère acadienne, il se voyait d’abord et avant tout comme Français.

Certains le font naître à l’île Royale (Cap-Breton); d’autres à Plaisance (Placentia), à Terre-Neuve. Il était fils d’un Français, Thomas Jacau, maître canonnier au fort de Louisbourg, et d’une Acadienne, Anne Melanson, donc petit-fils de Pierre Melanson dit Laverdure, personnage important à Grand-Pré.

C’est à l’île Royale que Fiedmont fait son entrée dans l’armée, au sein des canonniers-bombardiers. Après un court séjour en France, il revient à l’île Royale puis à Québec. En 1754, maintenant lieutenant et officier de l’artillerie, on l’envoie au fort Beauséjour pour faire fonction d’ingénieur et de responsable des fortifications.

Le fort Beauséjour avait été construit en 1751 comme un avant-poste frontalier à l’est du Canada, aux portes de la Nouvelle-Écosse, dans un territoire revendiqué par la France mais contesté par la Grande-Bretagne, alors qu’une commission internationale s’affairait à déterminer la frontière entre les deux empires.

Cette frontière, la France l’avait unilatéralement fixée comme étant la rivière Mésagouèche (ou rivière Sainte-Marguerite, maintenant Missaguash), actuelle frontière entre la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick.

Le fort est en piètre état et Fiedmont tente d’apporter des améliorations, avec peu de succès. Il blâmera l’abbé Le Loutre d’accaparer la main-d’œuvre acadienne à la construction d’un méga-aboiteau non loin de Beauséjour, destinée à assécher suffisamment de marais pour permettre aux réfugiés acadiens de Beaubassin de s’installer en permanence dans la région.

Fiedmont n’aura pas beaucoup d’aide non plus du commandant du fort, Louis Du Pont Duchambon Vergor, qui était son deuxième cousin, fils lui aussi d’une Acadienne, Jeanne Mius d’Entremont. Vergor ne croit pas qu’une attaque ennemie surviendra en 1755 et refuse les demandes de Fiedmont pour effectuer des travaux.

Lorsque Monckton et ses 2000 hommes recrutés en Nouvelle-Angleterre débarquent, le 2 juin 1755, c’est la surprise totale dans le fort Beauséjour. Les Français ont cependant un petit avantage: le seul endroit où la traversée de la rivière Mésagouèche est possible, en raison des marais, est à Pont-à-Buot. L’ennemi devra traverser à découvert alors qu’un promontoire du côté français peut servir de base de tirs.

Fiedmont estime que la bataille pour le fort se gagnera ou se perdra à Pont-à-Buot. Il n’a pas tort. Il fait détruire le pont, et propose à Vergor de placer à cet endroit un grand nombre de soldats pour barrer la route à Monckton.

Mais, encore une fois, Vergor dit non à Fiedmont: il ne veut pas affaiblir le fort. L’ingénieur ne peut qu’y envoyer qu’une vingtaine de soldats, accompagnés de 200 à 250 Acadiens et de Mi’kmaqs. Cela ne suffira pas. Au matin du 4 juin, les troupes ennemies – au moins cinq fois supérieures – réussissent à installer un nouveau pont de fortune et à traverser la Mésagouèche en échangeant beaucoup de tirs, mais avec seulement trois ou quatre morts dans les deux camps réunis. La bataille a duré 45 minutes, tout au plus une heure.

Douze jours et quelques bombardements plus tard, Vergor décide de se rendre. On rapporte que Fiedmont a insisté pour que l’acte de reddition accorde une protection aux Acadiens qui avaient été menacés d’être pendus pour trahison par les dirigeants britanniques s’ils avaient pris les armes contre eux.

Sur les 10 articles que Vergor propose à Monckton, quatre portent sur les Acadiens: on ne leur fera aucun dommage pour avoir pris les armes «parce qu’ils y ont été forcés sous peine de la vie»; ils seront libres de vivre dans leur religion et d’avoir des prêtres; on leur permettra dans une période d’un an de se retirer sur les terres du roi de France; les Français pourront leur fournir de l’aide.

Mais Monckton réplique avec un acte de capitulation plus court – cinq articles. Le quatrième prévoit que «pour les Acadiens, comme ils ont été forcés de prendre les armes sous peine de la vie, ils seront pardonnés pour le parti qu’ils viennent de prendre.» Ce pardon sera interprété plus tard voulant dire qu’ils auront la vie sauve. Les Acadiens de l’endroit seront les premiers à être capturés et déportés quelques mois plus tard.

Après la chute de Beauséjour, Jacau de Fiedmont est ramené à Québec où il participe à un autre affrontement avec les Britanniques. Il prend part à la bataille des Plaines d’Abraham. Membre du conseil de guerre, il sera le seul à s’opposer à la capitulation de la ville en proposant de «réduire la ration et de pousser la défense de la place jusqu’à la dernière extrémité».

Parti en France après la Conquête, il est envoyé en Guyane en tant que commandant de l’artillerie. En 1763, il est commandant en second de la colonie et en 1766, il est nommé gouverneur par intérim. Il aura à administrer plusieurs Acadiens venus participer à cette aventure de colonisation qui allait s’avérer désastreuse.

Il mourra célibataire à Belleville (maintenant dans Paris) en 1788. Pendant toute sa carrière, il a reçu l’estime de ses proches et de ses supérieurs.

 

LA UNE : CARTE DU FORT BEAUSÉJOUR ET DE L’ISTHME DE CHIGNECTOU DANS LES ANNÉES 1750. – ARCHIVES