La transplantation du corème de Conrad : Une première au Québec

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Le corème de Conrad est un petit arbuste typique des dunes fixées des Îles-de-la-Madeleine. Appartenant à la famille des empétracées, il est l’unique représentant du genre Corema en Amérique. Au Québec, seulement sept occurrences de corème de Conrad sont répertoriées, toutes aux Îles-de-la-Madeleine, couvrant au total moins de trois kilomètres carrés. Sans surprise, le corème de Conrad figure parmi les plantes menacées au Québec et des habitats floristiques ont été créés sur le territoire afin d’aider à sa conservation, soit l’habitat floristique des Sillons et celui de la Dune du Nord. Ces aires de conservation sont d’autant plus importantes puisque seul 1,4 % de l’ensemble du territoire madelinot présente des habitats favorables à la croissance de l’espèce.

Un rôle écologique de premier plan

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Transplantation d’un plant de corème de Conrad.

À première vue, ce petit arbuste bas qui excède très rarement 30 cm de hauteur peut sembler ne pas jouer un rôle écologique particulièrement important. Pourtant, il est d’une grande importance pour le maintien de la dune fixée. En effet, en développant son ample réseau racinaire, il participe à consolider le sol en plus de retenir la litière de matière organique (débris, feuilles, fruits, etc.) entre ses petites branches très denses, ce qui assure un renouvèlement des nutriments dans le sol pauvre de la dune fixée. C’est aussi l’une des premières plantes à coloniser les espaces fraîchement perturbés dans ce type de milieu, permettant ainsi de retenir rapidement le sable et de revégétaliser la zone à nu avant qu’elle ne s’agrandisse par l’érosion éolienne. Curieusement, la santé des populations de corème de Conrad semble liée au régime des perturbations du milieu; la germination des plantules est optimale sur un sol mis à nu. Cependant, le sol ne doit pas être perturbé pendant que les plantules s’y installent. Le corème de Conrad colonise ces nouveaux habitats d’une façon toute particulière. En effet, ce sont de petites fourmis qui font tout le travail pour lui! Attirées par une structure attachée au fruit du corème de Conrad, appelée un élaïosome, elles ramassent les fruits et les emmènent avec elles dans le garde-manger de la fourmilière, souvent érigée sur des zones à nu, parfait pour la germination de petits plants. Ceci est un exemple remarquable de coévolution entre une plante et un insecte; chacun y trouve son compte et a besoin de l’autre pour prospérer!

Des mesures de précautions exceptionnelles

On comprend donc que cet arbuste discret est indispensable à la stabilisation du milieu qu’il habite. C’est pourquoi, lors du développement du parc éolien de la Dune-du-Nord, de nombreuses mesures et précautions ont été mises en place pour réduire au maximum l’impact négatif potentiel de cette construction sur la population de corème de Conrad présente sur le site. Tout d’abord, un vaste inventaire floristique a été réalisé dans le secteur afin de s’assurer que la zone visée par le parc éolien comprendrait un minimum de plants. De plus, il a été également décidé de transplanter en périphérie du site les plants localisés à l’intérieur de la zone de construction. Une première au Québec! Ainsi, avec l’accord des gestionnaires de l’habitat floristique, les plants ont été prélevés avec soin le 19 août 2019, puis replantés dans des secteurs adjacents similaires avec l’ajout d’un mélange de poudre d’os et de compost lors de leur mise en terre. Pour déterminer les conditions optimales de survie et de croissance des plants et ainsi augmenter les chances de succès de cette opération, quatre scénarios ont été tentés pour les transplantations. Les plants transplantés ont été disposés à l’intérieur de quatre parcelles combinant des conditions de pentes différentes et en absence ou en présence de corème de Conrad : deux parcelles avec présence de corème de Conrad, l’une en pente et l’autre sans dénivellation et deux autres parcelles sans corème de Conrad, toujours l’une en pente et l’autre sans dénivellation.

Un suivi serré sur plusieurs années

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Transplantation d’un plant de corème de Conrad.

Comme il s’agit d’une première et qu’il est difficile d’estimer les résultats à long terme, Attention FragÎles assurera le suivi des 41 parcelles transplantées sur plusieurs années afin de documenter le succès des transplantations et de déterminer les conditions optimales de transplantations. En date du 5 août 2020, 28 des

41 plants ont survécu à leur première année, soit 68 % des plants. Un résultat satisfaisant considérant l’énorme stress lié à une transplantation de ce genre. Les individus transplantés dans la parcelle en pente où l’espèce était déjà présente ont démontré le meilleur taux de survie, soit de 75%.

Il est important de souligner que lors de leur premier été, plusieurs des plants de cette parcelle furent complètement submergés pendant plusieurs jours en raison d’une problématique d’écoulement d’eau sur le chantier de construction. Cette situation s’est tout d’abord avérée inquiétante puisque cette espèce vit normalement dans un sol sec et bien drainé, mais il a été rassurant de constater ensuite que cette submersion passagère n’a pas affecté significativement la survie des plants. Curieusement, ils semblaient même en meilleure santé que leurs voisins, tout de suite après leur immersion. L’une des hypothèses soulevées pour tenter d’expliquer ce résultat est que, étant donné que la masse racinaire fut abîmée lors de la transplantation, la submersion des plants a compensé la perte d’efficacité du réseau racinaire, leur permettant ainsi d’avoir accès à suffisamment d’eau et de nutriments pour reconstruire leurs structures endommagées. Contrairement aux plants non submergés, ces individus ont donc pu bénéficier de racines en meilleur état lors de la venue de périodes sèches subséquentes à leur transplantation.

Bien que ces résultats obtenus après une année soient encourageants, le corème de Conrad est une plante à croissance lente, pouvant vivre jusqu’à 60 ans. Il importe donc de suivre l’évolution de ces plants dans les prochaines années. Ces suivis permettront de mieux identifier les variables pouvant affecter la survie d’individus transplantés.