Les abeilles en péril

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Le déclin des abeilles préoccupe scientifiques et apiculteurs, qui voient les colonies diminuer depuis des années. C’est également un problème de taille pour l’agriculture, puisqu’on estime qu’un tiers de ce que nous consommons dépend de la pollinisation. Plusieurs facteurs seraient à l’origine de ce déclin.

«Pendant longtemps, les pertes étaient négligeables, mais depuis cinq ans, 40 % des colonies d’abeilles meurent chaque hiver au Canada, et c’est monté jusqu’à 90 % une année en Ontario», rapporte Nicolas Derome, chercheur au département de biologie de l’Université Laval. À l’Î.-P.-É., Mickael Jauneau, propriétaire de 280 ruches à Canoe Cove, s’estime lui chanceux. En moyenne, ses taux de perte hivernale avoisinent seulement les 10 à 12 %.

Abeilles3Et il continue à produire du miel toutes fleurs en grande quantité. «Environ 20 à 40 kilos par ruche, chaque année», détaille-t-il. Mais l’apiculteur reste inquiet. «On éloigne le plus possible nos ruches des champs de pommes de terre qui sont traités aux pesticides parfois en pleine journée, c’est dangereux pour nos butineuses, témoigne-t-il. On préfère les installer près des champs de foin et des pâturages non traités».
L’abeille mellifère, dite domestique, n’est pas seulement une excellente productrice de miel, elle joue aussi un rôle essentiel dans la pollinisation des plantes à fleurs. Si elle décline, c’est donc aussi l’agriculture qui en pâtit. Sans elle, notre alimentation serait fortement modifiée. Les productions de pommes et de citrouilles chuteraient de 90 %. Pour les bleuets, on parle d’une diminution de 80 %. Pas moins de 40 % des produits alimentaires contenus dans notre assiette proviennent indirectement ou directement du travail des butineuses par la pollinisation des fruits, légumes et autres plantes.

Empoisonnementà petites doses
Plusieurs facteurs peuvent expliquer le déclin. Le premier : les néonicotinoïdes. Il s’agit d’une classe d’insecticides principalement utilisée de manière préventive, en enrobage des semences : lorsque les plantes traitées poussent, tous leurs tissus (feuilles, tiges, pollen, nectar, etc.) s’imprègnent du toxique. Santé Canada reconnaît aujourd’hui l’implication des néonicotinoïdes dans la disparition des abeilles, qui s’empoisonneraient ainsi à petites doses.
«Des doses sous-létales de néonicotinoïdes peuvent causer des problèmes importants au niveau du système nerveux, de l’apprentissage, de l’orientation et du niveau de ponte de la reine, précise Virginie Michaud, coordonnatrice de l’éducation à l’environnement chez Heritage Laurentien, biologiste en conservation et apicultrice. C’est la survie de la colonie tout entière qui est alors menacée.» Une étude canadienne, publiée en 2017, a montré une survie réduite des butineuses, une fertilité diminuée et une mortalité hivernale augmentée des colonies exposées en conditions réelles à deux types de néoni-cotinoïdes.

Perte d’habitat
Abeilles2Si les effets des néonicotinoïdes sont de plus en plus documentés, il existerait d’autres facteurs. Pour Mickael Jauneau, la monoculture est également un «gros problème». «C’est de pire en pire, on a de plus en plus de champs de pommes de terre, de soja et de maïs sans aucune valeur nutritive, les abeilles n’ont plus rien à manger et meurent», raconte l’apiculteur.

La même source de nectar et de pollen sur des kilomètres à la ronde empêche en effet les butineuses de diversifier leur alimentation. «L’agriculture intensive entraîne une perte d’habitat,
les abeilles doivent travailler plus fort pour trouver de la nourriture, les colonies se retrouvent en compétition entre elles pour l’accès aux ressources», poursuit Virginie Michaud.
Nicolas Derome explique que les abeilles affaiblies deviennent plus vulnérables aux maladies et aux parasites comme le varroa destructor. «Elles souffrent de malnutrition en raison de la montée des monocultures. Quand vous baissez leurs défenses immunitaires avec les néonicotinoïdes, vous avez tout ce qu’il faut pour décimer des colonies entières», analyse-t-il.

Changer de modèle agricole
Virginie Michaud évoque également l’impact du changement climatique qui désynchroniserait le cycle biologique des pollinisateurs. «Si l’automne est trop chaud, ils restent actifs trop longtemps et dépensent trop d’énergie au risque de mourir, ou s’il y a beaucoup de verglas l’hiver qui brise les bourgeons, ils n’ont pas assez de nourriture au printemps», observe-t-elle. Ce serait donc une accumulation de facteurs qui affaiblirait les abeilles, au risque de les tuer.

Aux yeux des experts interrogés, la survie de l’espèce passera par un changement des pratiques agricoles. «Il faut penser à un moyen de modifier nos habitudes alimentaires et nos méthodes de production», plaide Virginie Michaud.

LA UNE : Mickael Jauneau est apiculteur à Canoe Cove depuis 2018. Il possède 280 ruches. (Photo : Gracieuseté)

PAR Marine Ernoult | Initiative de journalisme local –La Voix acadienne