Lourde attente pour les pêcheurs d’appât des Îles

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Après avoir promis une décision cet automne, le ministère des Pêches et des Océans (MPO) n’a toujours pas publié son plan de rétablissement de la limande à queue jaune et de la plie rouge.

Les pêcheurs, de ces deux poissons qui servent de boëtte pour le homard, comptaient obtenir une réponse en septembre, puis en octobre, mais n’ont pas eu aucune nouvelle du ministère.

Pour l’instant, on est encore en analyse , indique Cédric Arseneau, le directeur régional du MPO aux Îles-de-la-Madeleine, Cédric Arseneau.

Le moral est donc au plus bas parmi les pêcheurs d’appâts madelinots qui craignent toujours l’imposition d’un moratoire. Pêcheur d’appâts depuis 13 ans, Réjean Turbide juge cette attente intolérable. On vit un châtiment. Une pêche, ça ne se prépare pas dans le printemps, mais à l’automne. 

Tout est donc à l’arrêt pour le groupe de pêcheur. J’ai monté le bateau, je n’ai rien touché, pas de peinture, aucune rénovation, j’attends des réponses du ministère. Son aide-pêcheur a promis d’attendre jusqu’à Noël avant de chercher un autre emploi.

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heures sur24 ","text":"Je pense régulièrement à ça, 23heures sur24 "}}">Je pense régulièrement à ça, 23 heures sur 24 , avoue M. Turbide. J’en rêve la nuit. On vit une situation invivable, à l’intérieur des couples, à l’intérieur des maisons, des familles, il y a des répercussions. (…) Vu qu’on est juste huit pêcheurs on est considéré comme de la m…

Un gagne-pain

Réjean Turbide s’inquiète aussi pour les jeunes qui viennent tout juste d’investir dans la pêche.

C’est le cas de Paul-André Arseneau qui est devenu pêcheur d’appâts à la fin août 2020. Pour payer le bateau, les permis, les agrès de pêche et le personnel nécessaire, Paul-André Arseneau a obtenu un prêt de 400 000 $ du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ).

Trois mois plus tard, en novembre 2020, il apprenait qu’un moratoire était parmi les hypothèses étudiées par Pêches et Océans afin de rétablir la ressource. Il se demande encore pourquoi le MPO a accepté sa demande de permis et le MAPAQ celle du financement alors que la fermeture de la pêche était envisagée.

Il a finalement pu pêcher durant les saisons 2021 et 2022, mais c’est à nouveau l’incertitude. ans","text":"J’ai un prêt à rembourser sur 25ans"}}">J’ai un prêt à rembourser sur 25 ans, explique le jeune pêcheur. Il faut que je fasse vivre ma famille aussi. J’ai trois enfants et j’ai ma femme et j’ai moi. On ne parle pas juste d’un prêt à payer. On parle de vivre. C’est mon revenu annuel. S’il n’y a pas de pêche, je fais quoi? Ça ne dort pas bien.

Incapable de promettre une saison, le pêcheur a perdu son homme de pont et voit de plus le temps filer en cas de reprise de la pêche.

Comme Réjean Turbide, il rappelle qu’une pêche, ça se prépare à partir de l’automne. 2023, est-ce qu’on va être capable de se virer de bord pour pêcher? Ça me stresse beaucoup, puis en même temps, si ça ferme, c'est quoi leur plan?","text":"On a des chaluts à faire, dit-il, on a de l'argent à investir, des câbles à acheter, ça prend du temps à avoir aux îles avec le transport et tout ça. Si on nous donne des quotas pour2023, est-ce qu’on va être capable de se virer de bord pour pêcher? Ça me stresse beaucoup, puis en même temps, si ça ferme, c'est quoi leur plan?"}}">On a des chaluts à faire, dit-il, on a de l’argent à investir, des câbles à acheter, ça prend du temps à avoir aux îles avec le transport et tout ça. Si on nous donne des quotas pour 2023, est-ce qu’on va être capable de se virer de bord pour pêcher? Ça me stresse beaucoup, puis en même temps, si ça ferme, c’est quoi leur plan?

Deux espèces et deux visions

Le directeur régional du MPO se dit bien conscient du fait que des pêcheurs relativement jeunes sont arrivés dans la pêche tout récemment. On a pris soin d’expliquer la situation des stocks pour chaque nouvel entrant, assure Cédric Arseneau qui rappelle les nombreuses discussions tenues avec les pêcheurs sur l’avenir de la pêche.

Pêches et Océans Canada estime que la population des deux espèces est à un seuil sous lequel elle risque de subir de graves dommages ce qui compromet son rétablissement. C’est le cas, selon Pêches et Océans Canada, depuis 2006 pour la plie rouge et 2009 pour la limande à queue jaune.

C’est sûr que dans ce contexte, on va essayer de réduire la mortalité à son plus bas tôt possible, confirme Cédric Arseneau.

Les pêcheurs sont en désaccord avec les évaluations du ministère qu’ils estiment responsable de la situation.

Réjean Turbide raconte que pendant cinq ans, jusqu’en 2012, le ministère a autorisé les 325 homardiers des îles à pêcher leurs propres appâts, sans véritable surveillance.

Le Madelinot considère cette période comme dévastatrice pour le stock. Le pêcheur, qui blâme la gestion du ministère et non les homardiers, va même jusqu’à parler de destruction massive.

Il estime que lui et son groupe de pêcheurs servent maintenant de bouc émissaire. Pour les erreurs du passé, dit-il, on va porter le chapeau jusqu’à la dernière minute, mais on va se défendre. On est juste huit pêcheurs, mais on est déterminés.

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Le ministère des Pêches et des Océans admet que 10 ans plus tard, avec une pêche très limitée, le prélèvement demeure marginal et que la pêche ne constitue pas la cause du déclin. Toutefois, la population ne se rétablit pas, principalement en raison de la prédation du phoque.

Réjean Turbide juge que la situation de la limande et de la plie est plus complexe. Les pêcheurs soutiennent que la ressource est en reconstitution. Selon eux, les gros poissons étaient de retour lors des trois dernières saisons, malgré la prédation par les phoques.

Après 2012, dit-il, la limande et la plie ont eu besoin de temps pour grandir. 2022, ça fait à peu près trois ans qu'on peut dire qu'on revoit du beau poisson à maturité.","text":"C’est sept ans pour la limande. On est en2022, ça fait à peu près trois ans qu'on peut dire qu'on revoit du beau poisson à maturité."}}">C’est sept ans pour la limande. On est en 2022, ça fait à peu près trois ans qu’on peut dire qu’on revoit du beau poisson à maturité. Pour lui, les débarquements en hausse de plus de 15 % confirment cette hypothèse.

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Par ailleurs, Réjean Turbide s’interroge aussi sur les sites de prélèvements qui servent de base à l’analyse des biologistes qu’il croit trop profonds et hors de l’habitat des deux espèces.

Il avance que la limande à queue jaune, une espèce particulière aux Îles, ne fréquente pas les profondeurs où passe le chalut du MPO, mais des fonds peu profonds et sablonneux. Difficile d’en trouver si les recherches se font aux mauvais endroits, relève le pêcheur.

Pour le pêcheur, plusieurs mesures pour préserver l’espèce de la surpêche ont été mises en place par les pêcheurs, comme l’interdiction de pêcher la nuit ou la remise à l’eau des petits poissons. Avec un taux de survie de 75 %, relève M. Turbide. Les quotas ont aussi diminué de moitié.

Ce qui est malheureux là-dedans, c’est qu’on constate que les résultats ne sont pas au rendez-vous, commente le directeur régional du MPO aux Îles-de-la-Madeleine.

« Notre objectif premier, c’est de continuer à avoir des échanges avec l’industrie pour rétablir des stocks rapidement. » — Une citation de  Cédric Arseneau, directeur régional du MPO aux Îles-de-la-Madeleine

Réjean Turbide souligne qu’au cours des trois dernières saisons, chamboulées par la pandémie, les observateurs en mer, qui vérifient les prises pour le compte du ministère, ont été plus souvent absents que présents. Là, le ministère va fermer cette pêcherie avec aucune donnée vraiment à bord de nos bateaux pour les trois dernières années, imaginez-vous qu’ils sont pressés de la fermer.

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Réjean Turbide ajoute que les biologistes ont besoin de ces données pour justement évaluer un éventuel rétablissement des deux espèces. Des données, ils n’en auront plus si la pêche est complètement fermée, fait-il valoir.

La course aux appâts

Si un éventuel moratoire vise directement les membres du Regroupement des pêcheurs d’appâts des Îles, la question touche aussi les homardiers.

L’approvisionnement en appât devient une question de plus en plus délicate aux Îles, notamment avec la fermeture de la pêche printanière au hareng et au maquereau. On reconnaît, observe Cédric Arseneau, que c’est [la limande et la plie rouge] un apport important en appât frais, mais en même temps, on sait aussi que les pêcheurs de homard auront probablement d’autres alternatives pour se trouver d’autres appâts.

La pêche à l’appât est une pêche à engins mobiles qui pourrait être convertie pour la pêche au sébaste. Il y a toutefois loin de la coupe aux lèvres, observe le pêcheur Paul-André Arseneau.

Ils [les fonctionnaires du MPO] ont parlé de sébaste, rapporte le pêcheur. Nous autres, ce qu’on entend, c’est que le sébaste, c’est [l’autorisation de la pêche] dans trois ans. Je ne suis pas sûr qu’on puisse survivre trois ans sans pécher. On voudrait un statu quo de trois ans, au moins dans la limande pour ensuite se préparer à pêcher le poisson rouge, le sébaste.

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Tant le Rassemblement des pêcheurs et pêcheuses de la côte des Îles (RPPCI) que l’Association des pêcheurs des Îles-de-la-Madeleine (APIM) ont écrit à la ministre des Pêches, Joyce Murray, pour lui demander de maintenir la pêche.

Pour le RPPCI, la pêche à la limande devrait être maintenue pour au moins les trois prochaines années. Advenant une détérioration accrue de la ressource, le regroupement de 200 homardiers demande que le ministère puisse financer les pêcheurs d’appâts pour qu’ils s’adaptent à la pêche au sébaste.

On essaie de prendre une décision sur l’avenir de la pêche, le plus rapidement possible, justement par transparence, pour essayer de diminuer le stress de l’industrie, assure le directeur de la région Îles-de-la-Madeleine, Cédric Arseneau.

Il promet une décision au cours des prochaines semaines. Il va y avoir un plan de rétablissement qui va être déposé pour la plie rouge, probablement au cours de la prochaine année en 2023 et il y aura aussi éventuellement un plan de rétablissement qui sera établi pour la limande à queue jaune, précise le directeur régional de Pêches et Océans.

La question du moratoire reste une possibilité, admet le porte-parole du MPO. Quant à des compensations financières advenant un éventuel moratoire, M. Arseneau rappelle que ce n’est pas un outil utilisé par Pêches et Océans au cours des dernières années.

LA UNE : Les pêcheurs, de ces deux poissons qui servent de boëtte pour le homard, comptaient obtenir une réponse en septembre, puis en octobre, mais n’ont pas eu aucune nouvelle du ministère (photo d’archives). PHOTO : RADIO-CANADA / ISABELLE LAROSE
PAR Joane Bérubé