Réchauffement climatique : disparition anticipée du crabe des neiges dans le golfe

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La pêche au crabe des neiges, une des plus lucratives du golfe du Saint-Laurent, pourrait bien disparaître d’ici quelques dizaines d’années en raison des changements climatiques.

 
Les projections actuelles sur le réchauffement de l’eau pour le sud du golfe indiquent que sur un horizon de 50 à 100 ans, l’habitat du crabe des neiges sera réduit à néant.

Bernard Sainte-Marie, chercheur spécialiste des invertébrés benthiques à l’Institut Maurice-Lamontagne, se penche depuis deux ans sur l’impact d’un réchauffement soutenu sur la population de crabe des neiges dans le golfe du Saint-Laurent.

Selon lui, le crabe des neiges, qui est une espèce très sensible aux variations de température, ne pourra pas survivre dans des eaux plus chaudes. « À mesure que le réchauffement va s’accentuer, l’habitat préféré du crabe des neiges, qui est un fond de mer baigné par des eaux plus froides que 4 à 5 degrés, va aller en diminuant et éventuellement si le réchauffement est soutenu, il n’y aura plus d’habitat pour le crabe des neiges dans le golfe du Saint-Laurent. »

Hivers plus doux et sans glace

Le crabe des neiges vit dans ce qu’on appelle la couche intermédiaire froide du Saint-Laurent. Cette zone est très influencée par la température hivernale, explique Peter Galbraith, chercheur en océanographie physique à l’Institut Maurice-Lamontagne.

« C’est une couche qui est formée l’hiver lorsque toute la surface du golfe est ramenée près du point de congélation et où la moitié des eaux du golfe est sous le point de congélation pour former la glace. C’est vraiment un noyau qui est présent dans tout le Saint-Laurent dont la variabilité est liée aux températures d’hiver. »— Peter Galbraith, chercheur en océanographie physique à l’Institut Maurice-Lamontagne.

Selon Peter Galbraith, la tendance lourde au cours des 10 dernières années est un réchauffement des eaux de surface et des eaux profondes pour l’ensemble du golfe de 1 degré. Le problème, selon le chercheur, c’est que nos hivers se réchauffent plus vite que nos étés.

Selon les observations, les hivers sont de moins en moins longs et les températures extrêmes moins fréquentes. « Une année super chaude maintenant va correspondre à une année super froide dans 50 ans. », commente Peter Galbraith.

La variabilité interannuelle permet difficilement, selon les chercheurs, de faire des projections à court terme, mais la tendance est là et quasi irréversible. Il y a 100 ans, il n’y avait pas d’hiver sans glace, rappelle Peter Galbraith.

D’ailleurs, les modèles de projection de la température de l’eau des chercheurs de l’Institut Maurice-Lamontagne prévoient que la couverture de glace aura complètement disparu du sud du golfe d’ici 2065.

Crabes plus gros, mais moins nombreux

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Photo :  Radio-Canada

Des conditions qui, selon Peter Galbraith, ressembleront à celles qui prévalent présentement dans la région d’Halifax et qui se traduiront par une augmentation de 1e celcius de la couche intermédiaire froide d’ici 2065.  « Ça parait petit mais pour les espèces sténothermes qui ont une faible tolérance à la variation de température comme le crabe des neiges, c’est énorme », relève Bernard Sainte-Marie.

Paradoxalement la productivité du crabe des neiges pourrait être plus importante durant la phase de transition, soit entre maintenant et les 50 prochaines années.

Les recherches de Bernard Sainte-Marie révèlent que le crabe, dans des eaux légèrement plus chaudes, sera d’une taille plus importante et les femelles accroîtront leur rythme de reproduction.

« Plus l’eau est chaude, explique Bernard Sainte-Marie, plus il va faire sa mue terminale à de grandes tailles. Sous réchauffement soutenu, d’une part la production du stock peut diminuer parce qu’il y a moins d’individus parce qu’il y a moins d’habitat, mais par contre ceux qui sont dans la population vont individuellement être plus productifs parce qu’ils auront plus de chances d’atteindre la taille commerciale. »

Espèce cannibale, le crabe sera plus compétitif dans un habitat réduit ce qui entraînera une hausse des mortalités.

« Comment ça va se jouer en terme de pêche, ça va dépendre de l’importance du réchauffement et d’autres facteurs comme la disponibilité des ressources alimentaires. Si l’eau devait se réchauffer au-delà de 4 à 5 degrés, c’est le déclin et l’extirpation inévitable du crabe des neiges. »— Bernard Sainte-Marie

 

Migration et adaptation

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Pétoncle géant  Photo :  Radio-Canada

En fait, le crabe des neiges ne disparaîtra pas. Il migrera vers le nord où présentement les conditions sont trop froides pour qu’il puisse compléter son cycle de vie complet. « C’est en train de se passer dans la mer de Béring, dans le Pacifique nord, le crabe des neiges est en train de s’étendre dans la mer de Beaufort, au nord de l’Alaska », explique Bernard Sainte-Marie.

« C’est sûr que c’est un défi pour l’industrie si la tendance au réchauffement se maintient. »— Bernard Sainte-Marie, chercheur spécialiste des invertébrés benthiques à l’Institut Maurice-Lamontagne

 

Si des espèces actuellement économiquement importantes pour la pêche comme la crevette nordique et le crabe des neiges pourraient amorcer un déclin de leur population dans le golfe au cours des prochaines années, d’autres espèces comme le homard, la mactre Atlantique ou le pétoncle géant sortiront gagnants de la nouvelle loterie climatique.

D’après les chercheurs, ces espèces pourraient donc être plus abondantes dans le golfe en cas de réchauffement soutenu.

 

 

 LA UNE : Photo :  iStockPhoto