Déversement : Quand le passé noir refait surface

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Des milliers de sacs de sable imbibé de mazout et de BPC ressurgissent des dunes des îles de la Madeleine

Il y a plus de quarante ans, les autorités ont enfoui quelque 200 000 sacs remplis de sable contaminé au mazout et aux BPC dans les dunes des plages des îles de la Madeleine à la suite d’un déversement dans le Saint-Laurent. Les Madelinots croyaient l’histoire morte et enterrée, mais depuis quelques années, ces sacs remontent à la surface en raison de l’érosion qui gruge les côtes. Et ils craignent le pire en raison des changements climatiques qui amplifient le phénomène, d’autant plus que les autorités ne savent toujours pas où ont été ensablés les sacs à l’époque.

C’est presque devenu un rituel. Au printemps et à l’automne, à la suite des tempêtes, les Madelinots découvrent des sacs de plastique éventrés remplis de nodules de mazout contaminés aux BPC sur les plages des îles de la Madeleine, principalement à la Dune de l’Ouest et la Dune du Nord. « Ce sont souvent des découvertes anodines par des marcheurs ou des amateurs de VTT dans des secteurs assez éloignés qui ne sont pas beaucoup fréquentés », explique Yves Martinet, du comité ZIP (zone d’intervention prioritaire) des îles de la Madeleine.

La pointe de l’iceberg

Depuis 2010, ce sont 1096 sacs qui ont ainsi été découverts sur les dunes, selon les données les plus récentes de la Garde côtière canadienne, qui est chargée de récupérer les sacs une fois qu’ils sont désensablés.

En 2008, on avait atteint un sommet, avec près de 2000 sacs découverts en une seule année, dont plus de 700 à une centaine de mètres de résidences du village de Pointe-aux-Loups. Si ces chiffres sont importants, ils ne constituent toutefois que la pointe de l’iceberg, craint Danielle Giroux, présidente d’Attention FragÎles, un organisme qui travaille à la protection des dunes des îles de la Madeleine.

« On sait qu’avec les changements climatiques, l’érosion va aller en s’accélérant. On voit déjà l’érosion qui se fait sur nos falaises, nos côtes et la dune. Il est clair qu’avec une augmentation du niveau de la mer, plus de vent, des tempêtes plus fréquentes et plus d’érosion, logiquement, nous en arrivons tous à la conclusion que l’on devrait voir ressurgir de plus en plus de sacs dans le futur. »

Cette crainte est partagée par le maire des îles de la Madeleine, Jonathan Lapierre. « C’est un fait que si l’érosion continue d’arriver avec un rythme aussi effréné d’année en année, il m’apparaît évident qu’on risque de retrouver des sacs de façon de plus en plus fréquente. Maintenant, ce sera notre devoir de s’assurer que la Garde côtière agisse rapidement chaque fois et prenne les moyens à sa disposition pour remédier à la situation. »

Marée noire

Toute cette histoire, qui prend aujourd’hui de nouvelles proportions, remonte à un jour de tempête de septembre 1970, où la barge Irving Whale, contenant 4300 tonnes de mazout, a coulé à pic à une centaine de kilomètres au large des îles de la Madeleine. « La barge transportait du mazout de type Bunker C, un produit tellement visqueux qu’il faut le chauffer pour qu’il reste liquide, explique Émilien Pelletier, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en écologie marine et professeur en océanographie chimique à l’Université du Québec à Rimouski. Ce qu’on ne savait pas à l’époque, c’est que le système de chauffage fonctionnait à l’huile de BPC. Et dans l’accident, les BPC se sont mélangés au mazout. Tout cela a remonté à la surface et a dérivé dans le Saint-Laurent. »

Dans les jours qui ont suivi, des résidus de mazout ont été retrouvés sur plus de 80 kilomètres de plage aux îles de la Madeleine. Les normes environnementales n’étant pas ce qu’elles sont aujourd’hui, Transports Canada, qui gérait le dossier à l’époque, a engagé des Madelinots pour ramasser à la pelle le sable souillé et le mettre dans des sacs de plastique servant à l’entreposage d’engrais chimiques qu’ils ont enterrés sous les dunes derrière les plages. Et on les a oubliés.

Au total, ce sont entre 150 000 et 200 000 sacs qui ont été enfouis sous les dunes, estime la Garde côtière canadienne. Mais personne ne peut l’affirmer avec certitude puisque le gouvernement fédéral n’avait pas jugé bon, au moment des opérations, de noter le nombre de sacs et, surtout, l’endroit où ces derniers avaient été enterrés.

Cette situation complique largement le travail des autorités. « C’est le nerf de la guerre, affirme Martin Blouin, surintendant aux interventions environnementales de la Garde côtière. Ne sachant pas combien de sacs ont été enfouis, où ils ont été enfouis ni comment, on est constamment à surveiller la situation. Si on avait un registre et qu’on connaissait la méthodologie avec laquelle les sacs ont été enfouis, on serait capables de faire des probabilités et d’aller chercher les sacs au fur et à mesure que l’érosion des dunes s’approche. »

La Garde côtière procède donc à l’élimination des sacs au gré des découvertes fortuites des résidants et touristes qui se promènent sur les plages. En creusant près de l’endroit où les sacs désensablés ont été aperçus, l’on trouve souvent un grand nombre de sacs enfouis plus profondément dans les dunes. « On y va à tâtons, concède Martin Blouin. Parfois, on ramasse une rangée de sacs, on pense que c’est terminé et on découvre qu’il y a une autre rangée de sacs quelques pieds plus loin. »

Bien qu’elles aient été nombreuses, rien, dans ces découvertes, ne permet d’identifier la méthodologie utilisée par les travailleurs de l’époque, déplore Martin Blouin. « On a répertorié les interventions depuis que la Garde côtière a pris le dossier en main en 1996. Des fois, on ramasse 1000 sacs — ça, c’est le plus gros site qu’on a jamais vu —, mais autrement, ça peut être 200, 50, 3 sacs. C’est vraiment aléatoire. Des fois, ça pouvait être deux jeunes qui se promenaient qui mettaient deux sacs entre deux dunes et s’en allaient, d’autres fois, c’était un groupe de travailleurs qui creusait une tranchée pour y mettre 500 sacs. C’est vraiment difficile à déterminer. »

Par Jessica Nadeau

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Photo : Source Attention Fragiles Environ 200000 sacs remplis de sable contaminé gisent sous les dunes des îles de la Madeleine.