Depuis quelques mois, l’île d’Entrée, une des îles de la Madeleine, ne compte plus aucun enfant au sein de sa population permanente. En juin dernier, la seule île habitée de l’archipel madelinot qui n’est pas reliée aux autres par voie terrestre a vu son école fermer ses portes. L’île d’Entrée saura-t-elle survivre à cette perte? Le petit territoire de sept kilomètres carrés deviendra-t-il une île fantôme? Réflexion sur l’avenir de l’île d’Entrée avec des résidents de l’endroit.
Un texte de Jean-François Deschênes et d’Isabelle Larose
Durant l’hiver, une soixantaine de personnes seulement résident maintenant à l’île d’Entrée alors qu’ils étaient environ 250 âmes à peupler le territoire à la fin des années 1960.
À quelques exceptions près, tous les habitants de l’île sont anglophones et ils entretiennent davantage de liens avec l’Île-du-Prince-Édouard qu’avec les îles de la Madeleine ; nombreux sont les insulaires qui possèdent une maison dans cette province et qui reviennent sur leur île natale lorsque s’ouvre la saison de pêche. Durant la saison estivale, la population double. Selon la radio locale, le plus jeune résident permanent a 45 ans.

Les insulaires disposent de peu de services. On retrouve un comptoir postal, un CLSC et une église. Deux dépanneurs ont également pignon sur rue et offrent quelques produits, mais la plupart des gens font livrer leur épicerie par bateau à partir de Cap-aux-Meules grâce au traversier Ivan-Quinn qui fait deux allers-retour quotidiennement. Il y a aussi deux restaurants et un musée ouverts l’été.
Il n’y a ni policier, ni route alphaltée sur l’île d’Entrée. Un pasteur anglican vient visiter la communauté insulaire une fois tous les deux mois pour célébrer la messe.

La communauté a subi une dure perte en juin dernier: l’école de l’île a fermé ses portes au moment où il ne restait que deux élèves sur ses bancs. Les familles avec des enfants ont donc dû déménager pour que les enfants puissent poursuivre leurs études.

« L’île d’Entrée manque d’enfants », déplore Véronique St-Onge qui, avec son conjoint Arthur Gaudet, a acheté « pour le prix d’un char » la maison laissée vacante par l’enseignant de l’ancienne école. Avec leurs enfants, Véronique et Arthur, dont la résidence principale se trouve à l’Étang-du-Nord, viennent passer les jours fériés et les vacances à l’île d’Entrée.
« On arrive sur le quai et les enfants partent tous seuls et on les retrouve pour dîner et pour souper. Ils se promènent partout et il n’y a pas de pièges, ni de personnes malveillantes », explique M. Gaudet qui croit que l’île d’Entrée est synonyme de liberté et de sécurité. « Les gens nous l’ont dit, mais on l’a aussi ressenti, que ça leur faisait du bien de voir des enfants », affirme Véronique St-Onge.

La nouvelle propriétaire admet réfléchir beaucoup au futur de l’île considérant la fermeture de l’école. « Est-ce que la présente génération est la dernière qui peut dire » Je viens de l’île d’Entrée « ? Je pense que oui », répond Mme St-Onge qui ne veut toutefois pas être défaitiste. « Et en ce moment, cette génération d’enfants n’est pas sur l’île d’Entrée, elle est ailleurs dans l’archipel ou à l’Île-du-Prince-Édouard », ajoute-t-elle.
Pour Véronique St-Onge, l’idée qu’il n’y ait plus de familles qui donnent vie à des enfants à l’île d’Entrée apparaît toutefois absurde.
« J’ai beaucoup d’espoir. Je ne crois pas que l’île va fermer et devenir un musée à ciel ouvert, mais je n’ai aucune idée de ce qui va se passer! » – Véronique St-Onge, nouvelle résidente de l’île d’Entrée
Son conjoint aussi reste optimiste: « Je ne pense pas que les anglophones vont quitter l’île. Ils sont ancrés ici de tempête en tempête. C’est une petite île en plein coeur du golfe du Saint-Laurent, où il n’y pas beaucoup de monde, mais où il a beaucoup de possibilités ».

Spencer Chenell, un pêcheur professionnel, a vécu toute sa vie à l’île d’Entrée. À 80 ans, il demeure toujours sur l’archipel et souhaite y être enterré auprès de sa femme. Ses petits-enfants ont dû quitter l’île pour leurs études et il admet s’ennuyer beaucoup d’eux.« Ce n’est plus comme avant, il n’y a plus d’enfants qui viennent chercher des bonbons à l’Halloween », déplore-t-il.
L’homme est toutefois confiant que les jeunes vont revenir sur l’île. « Quand on est à l’extérieur, on pense toujours à la maison, peu importe où on est. C’est une petite île ici, mais c’est notre maison », résume M. Chenell.

Lucas Chenell a passé les sept premières années de sa vie à l’île d’Entrée. Sa famille a dû déménager à Havre-aux-Maisons pour permettre aux enfants de poursuivre leurs études puisque même lorsqu’elle était ouverte, l’école n’offrait pas une scolarité au-delà du secondaire 2.
« Havre-aux-Maisons c’est là où j’habite, mais ma véritable maison sera toujours l’île d’Entrée. » – Lucas Chenell
Lucas retourne le plus souvent possible sur son île natale pour visiter les nombreux membres de sa famille qui y sont toujours. « L’île d’Entrée va toujours être dans mon coeur. Si c’est possible que j’y habite, je vais y aller. C’est le paradis, tu ne peux pas avoir mieux que ça », croit le jeune adulte qui apprécie particulièrement les promenades en « quatre roues » et les baignades.
Lucas envisage d’ailleurs de travailler à distance à partir de l’île d’Entrée en fondant sa propre entrepris dans le domaine de l’informatique et du numérique.« Pour mon travail, tout ce que ça me prend c’est Internet et la connection de l’île d’Entrée est la meilleure de tout l’archipel », explique Lucas qui entreprendra bientôt des études postsecondaires à Moncton.
« Si je vais habiter à l’île d’Entrée, ce serait ma façon de la sauver », conclut Lucas, bien conscient que la population est vieillissante.
LA UNE : L’Île d’Entrée aux Îles-de-la-Madeleine PHOTO : ICI RADIO-CANADA/ISABELLE LAROSE