La garde côtière empoisonne-t-elle ses marins ?

Publicité

Articles similaires

Téléjournal : 150e saison de pêche au homard dans l’archipel

Les quais des îles de la Madeleine fourmillent d'activité...

La Coopérative des pêcheurs des Îles prête pour la 150ème mise à l’eau

Les quais des îles de la Madeleine fourmillent d'activités...

Depuis 150 saisons, le cœur des Îles bat au rythme du homard

Sur les quais de Cap-aux-Meules, de Grande-Entrée ou de...

La décroissance de la population de sébaste se poursuit

Les sébastes se font de moins en moins nombreux...

Le salaire minimum passe à 16,10$/h au Québec

Le salaire minimum augmentera de 0,35$/h au Québec, dès le...

Une crise de confiance fait rage entre la Garde côtière canadienne (GCC) et ses marins qui estiment que l’eau potable des navires pourrait les rendre malades. D’après leur syndicat, la Garde côtière utilise des produits potentiellement toxiques dans ses réservoirs d’eau.

Alors que l’Union canadienne des employés des transports, qui représente les marins, parle d’ingestion documentée de « produits hautement cancérigènes », la Garde côtière assure que la santé de ses employés n’est pas en danger.

Le reportage de Maxime Corneau

La petite histoire d’une contamination à grande échelle

À partir de 2013, la Garde côtière met en service une série de navires construits dans des chantiers navals canadiens.

Après quelques mois de navigation sur les Grands Lacs, des analyses de l’eau potable à bord du CCGS Private Robertson révèlent que les marins y boivent depuis des mois de l’eau chargée de produits chimiques, notamment de l’éthylbenzène et du xylène.

Rapidement, des problèmes de contamination semblables apparaissent sur le CCGS Teather, sur le Constable Carrière et même sur le NGCC Frederick G. Creed. La concentration de certains contaminants est 4 fois plus élevée que les normes en vigueur.

27661644-unnamed-best
L’intérieur d’un réservoir d’eau potable. C’est cette paroi qui est recouverte de la peinture Interline.

Le suspect numéro un est finalement identifié. Les réservoirs internes d’eau potable sont recouverts d’une résine à base d’époxy; la peinture Interline de la compagnie Akzo Nobel.

À l’encontre des recommandations du fabricant, des solvants ont été utilisés pour faciliter l’application de la peinture. Ce sont ces solvants qui auraient été absorbés par les marins, selon un bulletin interne de la Garde côtière obtenu par Radio-Canada.

 

Tous les navires touchés ont alors pris le chemin d’un chantier maritime pour que les réservoirs soient complètement refaits. Mais depuis, l’Union canadienne des employés des transports tente de faire bannir l’Interline des chantiers de la Garde côtière.

En septembre 2016, un nouveau cas de contamination à bord d’un navire est venu renforcer les positions syndicales. Le CCGS Alfred Needler a été mis en cale sèche après que les tests d’eau potable aient révélé un taux de xylène quatre fois supérieur aux normes en vigueur.

Les plaintes se multiplient

Depuis les événements de 2013, les plaintes syndicales se multiplient. Elles proviennent de plusieurs régions. Louis Cannon, le vice-président régional pour l’Union canadienne des employés des transports (UCET), a logé au nom de tous les marins de la Garde côtière une requête officielle pour que la peinture Interline soit interdite.

«C’est tellement lourd en produits chimiques que c’est difficile de comprendre comment on a pu vouloir utiliser ça dans des réservoirs d’eau potable» – Louis Cannon

 

Inquiétude sur l’Amundsen

50881714-146a3442En août 2016, tous les marins d’un autre navire de la Garde côtière, l’Amundsen, ont même signé conjointement une plainte, dont Radio-Canada a également obtenu copie.

Dans le document écrit lors d’une mission en Arctique, les marins affirment que l’eau du navire est «impropre à la consommation» et qu’elle présente un «risque toxicologique».

Devant toute cette inquiétude, Louis Cannon martèle à la Garde côtière qu’il y a urgence d’agir. « La priorité, c’est la santé de nos membres. Pas de garder un ancien produit pour ne pas admettre qu’il y a une problématique », déplore-t-il.

Un cadre donne raison au syndicat

La plainte la plus étonnante n’est pas venue du syndicat, mais plutôt d’un employé-cadre par intérim de la Garde côtière. Dans un document interne obtenu par l’UCET, on peut lire que depuis 2013, ce cadre s’est lancé dans une véritable croisade contre l’utilisation de la peinture Interline.

34760702-img-2828-best-2Dans ses nombreuses missives écrites dans le système de gestion de risque, Pierre Colette, un gestionnaire principal pour l’entretien de navires, parle de l’utilisation de l’Interline comme d’une situation qui présente un «risque élevé pour la santé» des équipages.

Pierre Colette déplore non seulement l’utilisation des solvants, mais il s’inquiète aussi des produits chimiques qui composent la peinture. La lecture de la fiche signalétique de la peinture permet de confirmer les prétentions du cadre selon lesquelles l’Interline contient du bisphénol A (BPA) et de l’épichlorohydrine, des substances «cancérigènes», dénonce le cadre.

Selon des documents obtenus par Radio-Canada, les tests d’eau potable réalisés par la Garde côtière de façon cyclique ne vérifient pas si du BPA ou de épichlorohydrine se trouvent dans l’eau.

Le manufacturier Akzo Nobel, dans une réponse écrite, assure que son produit est sécuritaire et certifié. Or, la compagnie explique que son produit est «distribué avec des directives qui stipulent explicitement que le revêtement ne doit pas être utilisé avec un diluant.»

33665166-substances-dangereuses

Une solution de rechange disponible sur le marché?

Dans sa plainte, Pierre Colette écrit qu’en continuant d’utiliser les produits Interline, la Garde côtière contrevient de façon flagrante au Règlement fédéral sur la santé au travail en milieu maritime.

35653074-146a3318«Il est interdit d’utiliser une substance dangereuse […] lorsqu’il est raisonnablement possible de la remplacer par une substance équivalente, mais moins dangereuse.» – Extrait de l’article 246 du Règlement fédéral sur la santé au travail en milieu maritime

Le cadre suggère plutôt d’utiliser un produit ontarien, le Marine Coat, qui serait beaucoup plus sécuritaire pour la santé et qui permettrait d’éviter l’utilisation des produits Interline. Largement utilisé dans les réseaux d’aqueduc municipaux en Ontario, le Marine Coat est dilué avec de l’eau plutôt qu’avec des solvants.

 

Après avoir décliné notre demande d’entrevue, la Garde côtière nous répond par écrit qu’elle n’utilise que des produits certifiés par l’organisme National Sanitation Foundation (NSF), ce qui n’est pas le cas actuellement du Marine Coat.

Dans sa réponse officielle, la Garde côtière ajoute que « les revêtements certifiés appliqués selon les lignes directrices du manufacturier ne posent pas de risques pour la santé humaine ».

Le Marine Coat adoré puis abandonné

En banlieue de Toronto, l’entrepreneur Randy Larsen travaille à la mise en marché de son produit phare : le Marine Coat. Selon l’ingénieur civil, le composé acrylique est sans danger. «Vous pourriez en boire un verre et vous ne mourrez pas, mais je ne le recommande pas», dit-il le sourire en coin.

Le fait que la Garde côtière n’utilise pas son produit parce qu’il n’a pas la certification NSF lui laisse un goût amer, puisqu’il l’a déjà comptée parmi ses clients.

58635659-unnamed-1-best
Travaux réalisés par l’équipe de Randy Larsen sur le CCG Dumit en 2009.

En 2009, il a recouvert de Marine Coat les réservoirs d’eau potable d’un navire, le CCG Dumit. La Garde côtière transformait alors d’anciens réservoirs de carburants du navire en réserves d’eau potable. Elle n’arrivait pas à éliminer les traces de contaminants dans l’eau. C’est le Marine Coat qui a sauvé les meubles.

«Ils nous ont dit que le produit était fantastique et que si on allait chercher notre certification, ils auraient beaucoup de travail pour nous», se souvient Randy Larsen.

Après avoir dépensé les quelques dizaines de milliers de dollars nécessaires à la certification, les contrats ne sont finalement jamais venus. L’entrepreneur a abandonné la norme et ses tarifs annuels.

Randy Larsen tente depuis quelques semaines d’obtenir à nouveau la norme NSF, mais à contrecœur. «Je ne leur fais plus confiance», déplore l’entrepreneur qui dit vouloir faire partie de la solution.

Dans sa réponse écrite, la Garde côtière affirme que «si de nouveaux produits obtiennent une certification, elle envisagerait alors de les utiliser.»