Aux Îles-de-la-Madeleine, un câble sous haute tension

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Hydro-Québec projette de relier l’archipel au continent par un câble qui rendra pour l’essentiel désuète sa centrale thermique. Une nouvelle douce-amère pour les Madelinots, puisque la centrale leur garantit de bons emplois, une rareté sur ces îles de saisonniers.

Ornée de six longues cheminées qui laissent échapper une fumée noire et dont l’odeur de gaz se fait sentir lorsqu’on s’en approche, elle défigure le paysage de l’archipel. La centrale thermique au mazout des Îles-de-la-Madeleine est un monstre au milieu de tant de beauté.

La centrale fait partie des 22 réseaux autonomes d’Hydro-Québec. C’est la plus grosse et la plus polluante de la province. À elle seule, en 2017, elle était responsable de 40 % de toutes les émissions de gaz à effet de serre d’Hydro-Québec.

Changements climatiques obligent, ses heures sont maintenant comptées. Du moins, sa cadence de production sera grandement réduite d’ici 2027, la société d’État ayant annoncé son intention de déposer à la Régie de l’énergie un projet de raccordement par câble sous-marin.

Un câble de 225 km relierait la Gaspésie à l’archipel, permettant d’alimenter en grande partie les Îles-de-la-Madeleine en énergie renouvelable. La solution retenue permettrait de réduire de 94 % les émissions de gaz à effet de serre de l’archipel.

Cette transition énergétique qui se dessine aux Îles-de-la-Madeleine est appelée à avoir lieu partout au Canada, dans des dizaines de communautés, en vue d’atteindre la carboneutralité d’ici 2050. Un objectif fixé par le gouvernement canadien dans le but de freiner les effets des changements climatiques.

Mais qui dit transition énergétique dit aussi changements. Des changements qui inquiètent les Madelinots.

Pascal Lapierre fait partie de ces travailleurs. Il se rend au travail tous les matins depuis plus de 20 ans avec la même fierté. Celle d’avoir un emploi payant avec de bonnes conditions, mais aussi de produire de l’énergie pour sa communauté.

 

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Pascal Lapierre est chef mécanicien à la centrale thermique au mazout des Îles-de-la-Madeleine. PHOTO : RADIO-CANADA / ELISA SERRET

Même s’il prend sa retraite dans moins de cinq ans, avant que la transition énergétique ne soit faite, il s’inquiète pour ceux qui restent derrière lui. Il craint de voir les emplois disparaître sournoisement au fil des départs, et ce, même si Hydro-Québec a promis de les préserver.

Une promesse fondée entre autres sur le fait que la centrale restera en fonction un minimum de 100 heures par année. Une roue de secours en cas de bris, un atout utile pendant les heures de pointe.

Hydro-Québec est encore, sinon, à déterminer comment l’ensemble des emplois seront maintenus. Louis-Philippe Bérubé, chargé de projet pour la société d’État, affirme que des solutions comme le télétravail sont maintenant possibles depuis la pandémie.

Mais tout ce manque de précisions de la part d’Hydro-Québec laisse les travailleurs, comme Pascal Lapierre, perplexes.

«Hydro-Québec a garanti 82 emplois. Mais quelle forme est-ce que ça va prendre? On va-tu devenir des métiers qui vont passer à plus d’emplois de bureau? C’est ça, les inquiétudes qui se font sentir» – Une citation de :Pascal Lapierre, chef mécanicien à Hydro-Québec

Sur l’archipel, une grande majorité de la population travaille soit dans le secteur des pêches, soit dans le tourisme. Des secteurs saisonniers. Les emplois à l’année, bien rémunérés, sont rares.

Le Téléjournal avec Céline Galipeau

 
Pascal Lapierre, père d’un étudiant en mécanique, est déçu de savoir que son fils ne pourra probablement pas lui succéder à la centrale. Il croit que chaque emploi bien payé est un rempart contre l’exode des jeunes vers le continent, contre l’exode de son fils.

Il est convaincu que la centrale est un important moteur économique pour sa communauté. Tous les emplois qu’on peut avoir localement, ici, [chacun] a son importance. Chaque emploi, affirme Pascal Lapierre.

Un rendez-vous manqué

Ces inquiétudes sont partagées par le maire des Îles-de-la-Madeleine, Jonathan Lapierre. L’élu est déçu et ne mâche pas ses mots lorsqu’il parle du raccordement des Îles par câble sous-marin. Il pense qu’Hydro-Québec manque de vision.

«On était dans l’univers des possibles. C’est une question de vision, c’est une question de volonté aussi. Pour nous, c’est un rendez-vous manqué.» – Une citation de :Jonathan Lapierre, maire des Îles-de-la-Madeleine

Pourtant, Hydro-Québec a tenu des consultations publiques aux Îles sur la transition énergétique. Mais le maire et d’autres Madelinots à qui nous avons parlé disent que les autres solutions proposées par la société d’État étaient irréalistes sur le plan environnemental et financier. Laissant comme seule véritable option le câble sous-marin.

 

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Jonathan Lapierre, maire des Îles-de-la-Madeleine, photographié à Cap-aux-Meules. PHOTO : RADIO-CANADA / ELISA SERRET

Louis-Philippe Bérubé, chef de projets à Hydro-Québec, fait cependant valoir que la solution du câble sous-marin est celle qui répond le mieux à quatre grands critères fixés par la société d’État, soit la fiabilité, l’environnement, l’acceptabilité sociale et les coûts.

Mais le maire aurait souhaité que la société d’État propose plutôt ce qu’il appelle un bouquet énergétique, c’est-à-dire différents projets de production d’énergie verte qui auraient plutôt permis la création d’emplois. Des projets innovants, comme un parc solaire, une production d’énergie à partir de biomasse, des solutions qui auraient pu attirer de jeunes familles aux Îles-de-la-Madeleine, précise-t-il.

Jonathan Lapierre donne en exemple le parc de la Dune-du-Nord, où deux éoliennes sont érigées depuis le début de l’été. Le projet a vu le jour grâce à un partenariat public-privé. À elles seules, elles produisent 10 % des besoins énergétiques de l’archipel.

Il est vrai qu’un parc éolien est peu probable en raison du territoire exigu de l’archipel et de sa fragilité et qu’un tel parc, en mer, est aussi peu probable en raison du trafic maritime, du défi technologique qu’il pose, des coûts et de l’industrie des pêches.

 

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Les deux éoliennes du parc de la Dune-du-Nord produisent environ 10 % de l’énergie nécessaire sur l’archipel. PHOTO : RADIO-CANADA / STEVE ROMPRÉ

Mais d’autres solutions auraient pu être trouvées, estime le maire. De petits projets producteurs qui, collectivement, auraient pu répondre aux besoins énergétiques des îles.

Jonathan Lapierre croit aussi qu’une association avec le Cégep de la Gaspésie et des Îles aurait pu être bénéfique en développant des formations uniques en technologie pour attirer des étudiants et éventuellement les garder aux Îles.

Le maire précise qu’une famille en moins peut signifier la fermeture d’une école. Une mort annoncée pour une petite communauté.

«C’est inquiétant, parce qu’une famille de moins aux Îles, c’est peut-être deux enfants de moins dans une école, qui est à un ratio très, très limité entre le maintien de l’école ou la fermeture.» – Une citation de :Jonathan Lapierre, maire des Îles-de-la-Madeleine

L’élu y voit une grande incohérence de la part d’Hydro-Québec. Parce que si l’objectif est de décarboner, comme on doit le faire pour sauver la planète, dit-il, pourquoi opter pour une solution où l’on va encore brûler du mazout en cas de bris du câble ou en heure de pointe?

Car avec la solution retenue par Hydro-Québec, le monstre restera là, insiste-t-il.

Des clients inquiets

Patrice Thériault est un pêcheur semi-retraité. Pendant 50 ans, l’homme a vu Dame Nature se déchaîner un peu plus chaque année. Il sait que les effets des changements climatiques menacent ses Îles, sa terre natale. Il faut agir, dit-il, en prenant un grand souffle – mais pas trop vite, ajoute-t-il.

«Je sais qu’il faut agir. J’en suis très conscient. Mais faites-le donc comme il le faut! Pensez à nos enfants!» – Une citation de :Patrice Thériault, pêcheur semi-retraité

Comme Patrice Thériault, la moitié des résidents des Îles chauffent leur maison avec une fournaise au mazout. Une solution promue à l’époque par Hydro-Québec pour compenser les carences de sa centrale. Ce système est appelé Programme d’utilisation efficace de l’énergie (PUEE).

 

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Patrice Thériault photographié à Havre-aux-Maisons. PHOTO : RADIO-CANADA / ELISA SERRET

Dans son sous-sol, Patrice Thériault nous montre sa fournaise. Depuis plus de 30 ans, des sous-contractants viennent au moins une fois par année en faire l’inspection gratuitement. Puis, d’autres sous-contractants payés par Hydro-Québec pour l’approvisionnement en propane. Ils perdront leurs contrats une fois la transition énergétique faite.

Le pêcheur est très inquiet à l’idée que ces entrepreneurs, qui emploient des Madelinots, perdent leurs contrats et peut-être même leurs entreprises. Ces gens-là sont au cœur de notre identité, lance-t-il. Ça prend des entreprises locales qui génèrent des emplois.

«Avec un simple câble, on va tout perdre cette belle richesse locale!» – Une citation de :Patrice Thériault, pêcheur semi-retraité

Patrice est père de deux fils. Un qui est devenu pêcheur à son tour, l’autre qui a dû quitter les Îles, faute d’emploi. Patrice voudrait tellement que son fils revienne vivre près de lui. Mais pour ça, tonne le Madelinot, ça prend des emplois payants.

Autre conséquence pour Patrice Thériault : la fin de ce système subventionné se traduira par une hausse de 30 % de sa facture d’électricité. Il craint que cette augmentation de facture soit très difficile pour une grande partie de la population qui vit d’emplois saisonniers.

Une fois le câble raccordé, les Madelinots paieront leur électricité au même prix que tous les Québécois.

La transition énergétique aux Îles-de-la-Madeleine est incontournable. Et si personne n’est contre la vertu sur l’archipel, tout le monde est pour la prudence.

LA UNE : La centrale thermique au mazout des Îles-de-la-Madeleine était responsable de 40 % de toutes les émissions de gaz à effet de serre d’Hydro-Québec en 2017. PHOTO : RADIO-CANADA / STEVE ROMPRÉ