Une année décisive pour le monde des pêches

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Deux dossiers feront l’objet de discussions cruciales, soit le partage entre les flottilles du golfe des allocations de la future pêche au sébaste et le maintien de l’ouverture du marché américain aux exportations de produits marins du golfe.

L’application du Marine Mammal Protection Act aux exportations canadiennes de produits marins sera sans doute l’enjeu de 2022.

Les Américains décideront si les mesures mises en place par le Canada pour protéger la baleine noire de l’Atlantique Nord sont comparables aux leurs. Si les Américains jugent ces mesures insuffisantes, le marché pourrait bien se refermer.

C’est à cette condition que le Canada pourra, en 2023, continuer d’exporter ses produits marins sur le marché américain où s’écoule présentement 80 % de ce qui est pêché dans le golfe du Saint-Laurent.

Même si la demande pour les produits de la mer est bonne au Québec, le marché américain reste le marché de prédilection. Boston c’est la porte à côté pour les Gaspésiens, observe Bill Sheehan, président de l’Association québécoise de l’industrie de la pêche (AQIP).

Bien que conscients des enjeux, les pêcheurs sont toujours en discussions sur les solutions préconisées par le ministère des Pêches et des Océans.

Depuis deux ans, aucun décès de baleine noire n’a été signalé dans les eaux canadiennes.

Les cordages

Pour prévenir les empêtrements, le ministère envisage d’imposer de nouveaux cordages pour la pêche à engins fixes comme la pêche au homard ou la pêche au crabe.

Ces cordages sont dotés d’un dispositif qui leur permet de se rompre lors d’une pression supérieure à 1700 livres.

L’utilisation de ces cordages suscite l’inquiétude. Des tests effectués par les crabiers ont démontré qu’il y aurait beaucoup de pertes de casiers, souligne Claudio Bernatchez, directeur de la Coopérative des capitaines propriétaires de la Gaspésie.

Ces casiers perdus, qui deviennent des engins fantômes, peuvent créer d’autres problèmes, dont un prélèvement involontaire et injustifié de la ressource ou la capture d’espèces menacées, fait-il valoir.

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Au sortir de l’assemblée générale de l’Alliance des pêcheurs professionnels du Québec (APPQ), l’automne dernier, le président O’Neil Cloutier n’en pensait pas moins.

Ces câbles ne pourront pas être utilisés par les crabiers sans causer un désastre environnemental et ils sont inutiles pour les homardiers de la Gaspésie qui pêchent dans des endroits où il n’y a pas de baleine, ajoute O’Neil Cloutier. Le président de la Alliance des pêcheurs professionnels du Québec précise que la tension des cordages utilisés par les crabiers atteint jusqu’à 10 000 livres.

Les discussions se poursuivent avec le ministère des Pêches et des Océans du CanadaIl faut continuer le dialogue, indique M. Bernatchez. Nous, ce qu’on prône, c’est la réduction des câbles.  La proposition, indique le porte-parole de la coopérative de pêcheurs, viendrait diminuer de 50 % la quantité de cordages actuellement utilisée.

Les fermetures de zones

La mécanique des fermetures de zones de pêche lors de l’observation de baleine de l’Atlantique Nord demeurent aussi une problématique.

O’Neil Cloutier rappelle que les pêcheurs des Îles ont frôlé la catastrophe au printemps 2021 lorsqu’une centaine de pêcheurs ont dû déménager de secteurs de pêche en raison de la présence de baleines noires.

Situées à l’entrée du golfe, les baleines n’ont pas le choix d’entrer au large de l’archipel. Mais, elles ne font que passer , souligne le président de l’Alliance qui demande au ministère des Pêches et des Océans du Canada d’adapter les modalités de fermetures, dont la durée, à de telles situations. S’il n’y a pas de crabe, de homard qui entrent dans les usines, ce sont des emplois perdus dans les usines. Il faut analyser ce qu’on peut faire sérieusement , croit M. Cloutier.

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L’Alliance souhaite aussi que Québec ait un rôle plus actif dans l’ensemble du dossier de la baleine noire. Parce qu’on risque de se ramasser avec toute la problématique si jamais le test de comparaison [avec les Américains] qui est prévu en 2022 pour 2223 n’est pas passé , observe O’Neil Cloutier.

Le milieu de la transformation est aussi préoccupé par les impacts des mesures de protection de la baleine noire de l’Atlantique Nord sur la pêche au crabe.

Le départ hâtif de la flottille de pêche au crabe de la zone 12, comme ce fut le cas l’an dernier, reste encore la meilleure solution, estime Bill Sheehan. D’autant plus, ajoute-t-il, que le crabe est abondant et qu’il pourrait y avoir une augmentation des allocations au printemps.

Zone protégée

Les bouleversements climatiques touchent l’industrie de plein fouet et la présence accrue de la baleine de l’Atlantique Nord n’en est qu’un aspect.

Lors de son assemblée générale, en novembre dernier, l’Alliance a fait l’exercice de cumuler sur une même carte les fermetures de zone au 12 juillet et du 30 octobre 2021, la zone protégée du banc des Américains, celles des zones de conservation des plumes et des éponges ainsi que les zones fermées à la pêche à la morue. Une image vaut mille mots. Il ne restera plus grand place à pêcher dans le golfe , commente O’Neil Cloutier.

La problématique a été présentée au ministère des Pêcheries du Québec comme à celui de Pêches et Océans. Il va falloir, ajoute O’Neil Cloutier, trouver des solutions entre préserver la viabilité économique de la pêche et la volonté internationale de protéger les baleines de l’Atlantique comme celle d’affronter les changements climatiques en protégeant des zones propices à la régénération des espèces.

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Le directeur de la Coopérative des capitaines propriétaires de la Gaspésie note, lui aussi, que l’engagement du Canada de protéger 25 % du territoire marin d’ici 2025 et 30 % d’ici 2030 suscite beaucoup de craintes dans l’industrie. En adoptant de meilleures pratiques de pêche, il n’y aurait pas lieu d’avoir autant d’aires marines protégées, estime M. Bernatchez. Si on pêche dans une culture durable, on va être capable de minimiser les impacts sur l’environnement et c’est dans ce sens-là qu’on travaille depuis un certain temps. 

Claudio Bernatchez espère que l’année 2022 sera aussi l’occasion d’en discuter avec la nouvelle ministre des Pêches, Joyce Murray.

Le sébaste

2022 sera une année de négociations autour de la relance de la pêche au sébaste. Le poisson est devenu le plus abondant du golfe et la mise à jour de l’évaluation scientifique est prévue pour cette année.

Une consultation de l’industrie s’est terminée en novembre dernier sur le partage de la ressource. Pêches et Océans analyse présentement les résultats. On s’attend à être convoqués pour une revue scientifique et éventuellement pour un comité consultatif au printemps et peut-être un peu plus tard , indique Patrice Élément, porte-parole des pêcheurs à engin mobile de la Coopérative des capitaines propriétaires de la Gaspésie.

La Coopérative des capitaines propriétaires de bateau est membre d’une vaste coalition des flottilles du golfe du Saint-Laurent qui demandent à ce que les allocations de sébaste soient majoritairement accordées aux pêcheurs côtiers, dont les crevettiers.

Selon Patrice Élément, le Québec irait ainsi chercher 40 % des allocations totales. Les pêcheurs côtiers estiment qu’après un moratoire de 30 ans, la relance ne devrait pas être confiée aux flottilles hauturières qui détenaient, à l’époque, la majorité des quotas.

Ça demeure un dossier chaud en raison de l’intérêt manifesté tout autour du Saint-Laurent avec les grandes corporations qui font du lobbyisme , commente M. Bernatchez.

Le porte-parole des pêcheurs côtiers de la Gaspésie espère que l’exploitation de cette ressource puisse servir à dynamiser l’économie des régions côtières. «C’est une nouvelle pêcherie, pense Claudio Bernatchez. On ne peut pas parler de réouverture après 30 ans de fermeture, ça ne s’est jamais vu. Souhaitons que ce soit une opportunité de faire les choses différemment par rapport à cette ressource. »

Les crevettiers, fait valoir Patrice Élément, pêchent déjà au chalut et n’auront pas besoin d’investir outre mesure pour s’adapter à cette nouvelle pêche.

Ils sont de surcroît, ajoute-t-il, ceux qui ont le plus souffert de la prolifération du sébaste qui se nourrit notamment de crevettes. À cause de l’incertitude à long terme sur la ressource, les crevettiers sont ceux qui risquent le plus d’avoir besoin de cette ressource pour rentabiliser leurs opérations , observe le porte-parole des engins mobiles.

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Du côté de l’Alliance, qui représente l’ensemble des flottilles du Québec, la priorité est que Québec retrouve le même pourcentage d’allocations qu’au moment du moratoire. O’Neil Cloutier fait valoir qu’avec l’abondance de la ressource, il y en aura pour tout le monde, y compris les Madelinots qui détenaient 80 % des quotas du Québec.

De même, ajoute-t-il, les détenteurs de permis qui pêchent des espèces destinées aux appâts, dont certains sont en difficulté, pourraient bénéficier de cette nouvelle pêche.

Il n’est pas question toutefois, pour M. Cloutier, que ce soit à nouveau pêché par des bateaux hauturiers de plus de 100 pieds. «Après presque 40 ans sans pêche, les premières victimes de ce type d’exploitation, ce sont les pêcheurs eux-mêmes. »

Homard et nouvelle pêche

Avec les changements climatiques, personne ne peut prédire avec une assez grande certitude ce qui va arriver dans l’évolution des stocks, constate Claudio Bernatchez.

Si le sébaste fait un retour inespéré, le homard se fait aussi plus présent sur la Côte-Nord.

L’Alliance demande au ministère d’éviter l’ouverture d’une pêche expérimentale, puisque, selon l’organisme, les preuves de l’abondance sont là.

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Une trentaine de pêcheurs pourraient obtenir des permis de pêche exploratoire ce qui épargnerait une étape coûteuse à la flottille de la Côte-Nord.

L’Alliance milite aussi pour que les permis soient accordés moitié-moitié aux allochtones et aux autochtones puis prioritairement à des pêcheurs de la Côte-Nord qui détiennent déjà des permis, mais pour des espèces considérées comme peu rentables ou en déclin.

Certains pêcheurs ont en effet tiré le ticket perdant des changements climatiques.

«Est-ce que ces changements sont permanents, est-ce que les espèces vont s’adapter aux variations de température et continuer des façons de repeupler les lieux qu’elles occupaient avant? » demande Claudio Bernatchez.

En attendant, la Coopérative des capitaines propriétaires de la Gaspésie garde un œil sur la diminution du crabe dans les zones 12a et 12b et souhaite protéger les pêcheurs touchés par une baisse ou un arrêt de l’effort de pêche.

Le prix de la crevette

Les crevettiers espèrent bien que l’année 2022 soit celle des bons prix au débarquement.

Si ceux du flétan de l’Atlantique, du crabe et du homard se sont envolés au cours des dernières années, les prix de la crevette n’ont pas suivi cette montée. Les crevettiers sont loin de faire ce que font les autres présentement. Ça nous questionne beaucoup, on souhaiterait qu’il y ait des efforts faits pour valoriser cet excellent produit et qu’il y ait des retombées au prix au débarquement pour les pêcheurs , commente M. Bernatchez.

Les impacts de la pandémie sur les marchés sont toujours un sujet d’incertitude, notamment avec la vague Omicron qui balaie le nord de l’Europe, qui reste le marché de prédilection pour la crevette nordique.

C’est toutefois mieux que le confinement 2020, relativise Patrice Élément, représentant des pêcheurs à engins mobiles au sein de la Coopérative des capitaines propriétaires de la Gaspésie. Mais ça demeure une préoccupation. 

Les quotas de crevette seront revus cette année. Les crevettiers seront très attentifs à la revue scientifique qui aura lieu à la fin janvier.

Selon les taux de capture observés par les pêcheurs lors de la dernière saison, les allocations aux pêcheurs devraient être similaires à celles des dernières années. Nos observations sont une partie du portrait, les relevés des sciences en sont une autre, c’est l’amalgame que fait le secteur des sciences, des analyses combinées de tout ça qui vont nous aider à déterminer ce qui est possible comme quota, l’an prochain , commente M. Élément.

La pêche autochtone

Le porte-parole de la Coopérative des capitaines propriétaires de la Gaspésie décrit les membres de la flottille autochtone comme des partenaires de choix.

Les collaborations sont au beau fixe, indique Claudio Bernatchez. Le ministère des Pêches et des Océans du Canada, selon lui, doit assumer pleinement son rôle de gestionnaire des ressources halieutiques dans notre région s’il veut éviter la discorde.

La position des homardiers de la Gaspésie sur l’autorisation d’une pêche automnale à Listuguj demeure inchangée.

La pêche de subsistance ne peut pas devenir une pêche commerciale, martèle O’Neil Cloutier.

Selon lui, la position retenue par Pêches et Océans en Nouvelle-Écosse est la plus cohérente et rationnelle. Là-bas, explique M. Cloutier, les homards sont désormais marqués afin d’éviter que la pêche de subsistance soit commercialisée. On attend le comité consultatif du homard en Gaspésie. Je présume que ça va se passer vraiment différemment d’autres années. 

Fonds des pêches

Il reste deux ans au programme et une vingtaine de millions , relève O’Neil Cloutier qui se demande si le fonds pourra servir à sa pleine capacité quand les projets sortent au compte-gouttes .

L’Alliance souhaite que Québec et Ottawa finissent par s’entendre afin d’améliorer l’admissibilité des entreprises de la capture au programme du Fonds des pêches.

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Les projets se butent essentiellement aux exigences d’innovation technologique du programme. La principale innovation dans le secteur de la capture au cours des 20 dernières années n’est pas une innovation technologique, mais plutôt une innovation au niveau de la prise en charge du pêcheur du développement durable de leur exploitation. C’est jugé non innovant du point de vue technologique. Quelque part, on est comme exclu , constate le président de l’Alliance.

D’autres défis attendent le monde des pêches au cours des prochaines années, comme éviter la concentration des permis dans les mains de quelques-uns et offrir la possibilité à la relève de s’intégrer à la flottille.

La flotte est aussi vieillissante et a besoin d’être modernisée. Plusieurs bateaux ont 30 ans voire plus de 40 ans. Ça prend des bateaux plus ergonomiques, plus adaptés, avec des conditions d’hygiène accrues à bord, avec plus de sécurité pour faciliter la rétention des membres d’équipage , détaille Claudio Bernatchez.

Cette modernisation se heurte toutefois à des obstacles réglementaires, entre autres, sur la longueur des embarcations.

Plusieurs pêcheurs doivent posséder deux bateaux pour répondre aux critères de leurs permis. C’est le cas, illustre M. Bernatchez, d’un crabier qui détient aussi un permis pour certains poissons de fond. Un bateau de 50 pieds sera jugé trop grand par le ministère des Pêches et des Océans du Canada pour cette seconde pêche.

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Selon le porte-parole des capitaines propriétaires de la Gaspésie, Pêches et Océans veulent éviter que les bateaux soient trop gros et prennent ainsi trop d’espace à quai.

Cette mesure risque d’avoir l’effet contraire, observe Claudio Bernatchez, puisque deux bateaux vont prendre vraiment plus d’espace qu’un seul.

Les pêcheurs demandent donc que la politique soit revue et que les capitaines qui détiennent plusieurs permis puissent être autorisés à pêcher avec une seule embarcation. Les discussions sont en cours avec Pêches et Océans. Mais c’est long, il y a des gars qui attendent , commente M. Bernatchez.

Travailleurs étrangers

Pendant que les enjeux se multiplient pour les pêcheurs, les transformateurs sont surtout mobilisés par le manque de main-d’œuvre.

Selon le président de l’Association québécoise de l’industrie de la pêche, Bill Sheehan, presque toutes les usines ont maintenant recours aux travailleurs étrangers. Cette solution a aussi son revers.

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L’administration du programme reste lourde et les délais de traitement demeurent trop longs, souligne Bill Sheehan. La saison de pêche n’est pas terminée que déjà les propriétaires d’usine doivent plancher sur leurs prochaines demandes de main-d’œuvre étrangère. Bill Sheehan évalue que le traitement d’une demande s’étend sur environ neuf mois.

La reprise économique aux États-Unis permet d’entrevoir une bonne saison 2022. Les événements ont lieu, les croisières fonctionnent et les restaurants sont ouverts , illustre le président de l’AQIP. Les stocks sont aussi très bas. Le taux de change reste favorable aux exportations.

PAR Joane Bérubé
LA UNE : L’année 2022 risque d’être une année charnière pour l’industrie des pêches au Québec. PHOTO : RADIO-CANADA / MARTIN TOULGOAT