Les insulaires sont d’avis que l’hélicoptère n’aurait pas eu à prendre le relais du traversier si leur port avait été dragué à l’automne. Les résidents de l’île d’Entrée digèrent mal qu’aucune opération de dragage n’ait encore eu lieu dans leur port. Depuis le début de l’hiver, l’ensablement perturbe le service de traversier vers Cap-aux-Meules, le principal lien de la petite communauté anglophone au reste du monde.
Le 13 décembre, la Société des traversiers du Québec (STQ) a acheminé une demande de dragage d’urgence à Pêches et Océans Canada, propriétaire du quai.
Près de trois mois plus tard, rien n’a bougé. Rien, mis à part les pales d’un hélicoptère qui a pris le relais du traversier, car le navire ne peut naviguer selon son horaire normal dans un port rempli de sédiments.
Comme la plupart des résidents de l’île d’Entrée, Ralph Josey en a gros sur le cœur lorsqu’il aborde les ratés de la desserte maritime.
Nous sommes actuellement dans une très mauvaise situation, et il n’y a pas d’excuse selon moi
, affirme l’insulaire. «Tous les ans, Pêches et Océans Canada, la Coopérative de transport maritime et aérien et la Société des transports du Québec savent que le dragage du port doit être fait, mais on est toujours relégués au second plan, bien que notre communauté isolée dépende du service de traversier.»
Il rappelle que l’hélicoptère, contrairement au bateau, ne peut transporter de véhicules ni de grosses marchandises ou de gaz.
Le moyen de transport est donc peu adapté pour les résidents qui sont contraints d’acheter la presque totalité de leurs biens de consommation sur l’île du Cap aux Meules, car le seul commerce qui a pignon sur rue à l’île d’Entrée est une petite épicerie-dépanneur de quelques tablettes.
Ralph Josey déplore la négligence
et le manque de communication
des trois parties impliquées dans le dossier.
Il y a quelqu’un qui ne fait pas son travail
, croit Ralph Josey. Le port devrait être dragué. Ça devrait être mis en priorité tous les automnes. Le traversier est notre principal lien avec le reste de l’archipel.
« Selon moi, on est considéré comme des citoyens de seconde zone. » — Une citation de Ralph Josey, résident de l’île d’Entrée
Les eaux peu profondes et l’entrée du port partiellement bloquée par des roches réduisent la manœuvrabilité du traversier Ivan-Quinn. Ainsi, les conditions liées aux marées, aux vents, aux courants et aux glaces se doivent d’être favorables pour que le navire puisse accoster à l’île d’Entrée de façon sécuritaire.
Du 10 au 28 janvier, le transport de véhicules à bord du traversier a même été interrompu, car le bateau ne pouvait plus accoster à son site habituel et déployer sa rampe d’embarquement, en raison de l’ensablement.
La situation a été vivement dénoncée par les élus madelinots et par la du des Îles qui a affirmé avoir été informé à retardement
de l’impossibilité d’évacuer des résidents par ambulance.
Des travaux ont par la suite permis le déploiement de la rampe des véhicules sur une autre section du quai, mais rapidement la desserte par hélicoptère a remplacé le lien maritime devenu trop incertain.
Dorénavant, le Ivan-Quinn traverse seulement de façon ponctuelle et il assure prioritairement le transport des marchandises et non des passagers.
Dans la petite épicerie de l’île d’Entrée, le pêcheur retraité Benny Dickson a aussi l’impression que la communauté anglophone qui compte moins d’une soixantaine de résidents permanents est laissée à elle-même.
Il y a d’autres quais aux Îles qui ne sont pas utilisés durant l’hiver et qui sont dragués à l’automne. Le nôtre est utilisé tous les jours et il n’a pas été dragué
, se désole M. Dickson.
« Nous passons toujours en dernier. » — Une citation de Benny Dickson, résident de l’île d’Entrée
Derrière son comptoir, l’épicière Pauline Boudreau partage aussi cette vision. On se sent un peu mis de côté
, ajoute-t-elle.
Elle mentionne que deux évacuations médicales ont eu lieu dernièrement, et que c’est un hélicoptère du gouvernement fédéral basé en Nouvelle-Écosse qui est intervenu.
«Ça a pris presque six heures avant que l’hélicoptère arrive à l’île d’Entrée», déplore Mme Boudreau. Une des évacuations, c’était pour un petit enfant qui avait très mal au ventre, s’il avait eu une appendicite, il aurait pu mourir. C’est sérieux.
« J’espère que ça va s’améliorer et qu’il y aura plus de communications concernant le dragage. Il le faut, parce qu’on des insulaires, mais on est des êtres vivants aussi. » — Une citation de Pauline Boudreau, épicière de l’île d’Entrée
Plainte à la
et absence d’alertesRésident de l’île d’Entrée depuis 2019, le pêcheur Olivier Renaud a fait de l’accès à l’île d’Entrée son cheval de bataille en communiquant avec plusieurs des organisations gravitant autour de la desserte maritime et en déposant une plainte formelle à la
.Tout le monde sur l’île a une grande incompréhension et de l’exaspération à savoir pourquoi on se retrouve dans une telle situation, alors que ça aurait pu être évité
, affirme-t-il. Il y a beaucoup de frustrations et d’inquiétudes de voir que l’ensablement se fait sous nos yeux, mais qu’on demeure impuissant.
« Il y a vraiment eu un manque de coordination, de prévention et on se dit que ce n’est pas normal qu’une situation comme ça survienne. Qui est responsable de ça? » — Une citation de Olivier Renaud, résident de l’île d’Entrée
Parmi ses nombreuses doléances, M. Renaud explique que le système d’alerte par texto ou courriel mis en place pour avertir les usagers de tout changement d’horaire ou de l’annulation des traversées n’a pas été utilisé durant environ deux semaines, au moment où l’hélicoptère est entré en service.
À plusieurs reprises, il y a eu des problèmes de communication qui ont fait en sorte que l’hélicoptère arrivait et les gens n’étaient pas informés du tout, ou bien qu’ils se rendent à l’aéroport sans savoir que le vol était annulé, parce qu’il n’y avait personne pour les informer
, explique-t-il.
Il fallait qu’on devine quand l’hélicoptère venait ou non
, ajoute Olivier Renaud, en précisant que la situation est rentrée dans l’ordre depuis et que les explications incluses dans les alertes ont été bonifiées.
Il raconte avoir été en mesure de monter à bord de l’hélicoptère seulement grâce au fait qu’il a entendu le bruit de l’appareil. C’est vraiment en étant à côté de la fenêtre que j’ai entendu l’hélicoptère se présenter et c’est l’unique manière que j’ai réussi à être à temps sur le quai pour partir
, raconte-t-il.
Début imminent des opérations printanières de dragage
Aucun porte-parole de Pêches et Océans Canada, responsable de la coordination du dragage du port de l’île d’Entrée, n’était disponible pour discuter de la situation de l’île d’Entrée avant la publication de ce reportage, bien que la demande d’entrevue ait été acheminée plusieurs jours d’avance.
Par courriel, Pêches et Océans Canada indique que c’est l’entretien des équipements de dragage de la
qui a repoussé les opérations à l’île d’Entrée jusqu’au printemps.Le ministère fédéral affirme se préparer à débuter les travaux de dragage dans les havres de pêches des Îles-de-la-Madeleine dans les prochains jours
et précise qu’une évaluation des conditions est en cours.
On ne précise toutefois pas si le port de l’île d’Entrée sera dragué en premier.
L’ordre de priorité pour les travaux sera établi en fonction des conditions locales (météo et glace) pour chacun des havres
, indique la conseillère en communication de Pêches et Océans Canada, Marie-Ève Caron.
Des clarifications de la
De leur côté, la Coopérative de transports maritime et aérien (CTMA) et la Société des traversiers du Québec (
) ont accepté de répondre de vive voix aux questions de Radio-Canada dans le dossier.À l’instar des citoyens de l’île d’Entrée, le directeur de la
, Emmanuel Aucoin, déplore le problème récurrent d’ensablement du port à l’automne.Il affirme que son équipage a averti la Société des traversiers du Québec de la situation dès cet automne et qu’une lettre lui a même été acheminée en décembre, avant que la
n’envoie sa demande de dragage d’urgence à Pêches et Océans Canada.« Quand la STQ a fait sa demande par le biais de Pêches et Océans Canada, il était déjà trop tard dans la saison, nos équipements de dragage étaient ramassés et on n’était pas capable d’y aller. » — Une citation de Emmanuel Aucoin, directeur de la CTMA
«On a un contrat avec Pêches et Océans Canada pour faire le dragage des ports de pêche des Îles», explique M. Aucoin. «Le port de l’île d’Entrée en fait partie et c’est dans ce cadre-là qu’on a un contrat avec Pêches et Océans Canada, mais on n’a pas un contrat avec Ottawa par rapport au service de traversier. Ça, ça relève de l’entente que la Société des traversiers du Québec a elle-même avec Pêches et Océans Canada et qui n’est pas du tout du ressort de la Coopérative de transport maritime et aérien.»
« C’est certain que s’il y avait eu du dragage, que le Ivan-Quinn aurait été beaucoup plus souvent à l’île d’Entrée et sur une base plus fiable et régulière. » — Une citation de Emmanuel Aucoin, directeur de la CTMA
À mots à peine voilés, le directeur semble croire que son organisation serait en mesure d’offrir un meilleur service de desserte si celui-ci n’était pas géré par la Si on pouvait avoir les coudées franches, probablement qu’on serait plus efficace
, dit-il.
Une demande de dragage préventif déposée par la
Du côté de la Société des traversiers du Québec, le conseiller en communication Bruno Verreault a reconnu, lors d’un entretien téléphonique, l’existence des situations plus difficiles cet hiver ayant causé des désagréments à la clientèle
, notamment en raison des ratés du système d’alerte. Il attribue d’ailleurs ce problème au nouveau transporteur aérien «qui n’était pas habitué au système d’alerte de la Société des traversiers du Québec.»
Malgré tout, le porte-parole de la bon service par la voie aérienne ou maritime
et soutient que la clientèle est tout de même satisfaite du service
.
Concernant l’absence de dragage dans le port, Bruno Verreault mentionne que l’ensablement s’est produit de façon très rapide
cet automne en raison de tempêtes successives, tout en rappelant que c’est Pêches et Océans Canada, et non la , qui doit coordonner les opérations de dragage.
La Société des traversiers du Québec précise que des pourparlers sont en cours avec le fédéral pour analyser la possibilité de procéder à des dragages préventifs de façon systématique tous les automnes dans le port de l’île d’Entrée.
«Pour ce qui est d’un dragage de prévention, nous avons fait une demande auprès de Pêches et Océans Canada, pour savoir si c’est possible d’en effectuer», indique le porte-parole Bruno Verreault. Toutefois, avant de faire des dragages préventifs, il faut s’assurer d’avoir des études préalables afin de connaître les périodes optimales pour effectuer les opérations afin d’avoir un dragage efficace.
Le député Joël Arseneau, qui a fait de nombreuses représentations dans le dossier, mentionne avoir eu des rencontres encourageantes
, notamment avec le président-directeur général de la .
Le résident de l’île d’Entrée Olivier Renaud a quand même bon espoir que la crise de cet hiver
ait permis de faire bouger les choses pour l’avenir. Son optimisme cache tout de même une certaine amertume.
Comme plusieurs de ces concitoyens, Olivier Renaud en a assez de voir les organisations se blâmer entre elles et souhaite que la responsabilité de chacune soit claire.
« Il y a une forme de cynisme quand on se fait envoyer la balle entre la , la et Pêches et Océans Canada. Ça arrive souvent et les gens ne savent plus où donner de la tête avec ça. » — Une citation de Olivier Renaud, résident de l’île d’Entrée
C’est vraiment regrettable qu’il y ait des problèmes qui causent préjudice pour que les choses changent
, conclut-il.
LA UNE : epuis le 1er février, un service de traversée par hélicoptère est en place entre Havre-aux-Maisons et l’île d’Entrée pour pallier les traversées irrégulières du traversier. L’île d’Entrée est la seule île habitée de l’archipel madelinot qui n’est pas reliée aux autres par voie terrestre. PHOTO : RADIO-CANADA / ISABELLE LAROSE
PAR Isabelle Larose