«Bienvenue au paradis»: les Îles-de-la-Madeleine séduisent de nouveaux résidents de Montréal jusqu’en Tunisie

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L’archipel a réussi à renverser son solde migratoire afin de contrer le vieillissement de sa population. Les Îles-de-la-Madeleine ont tellement la cote ces temps-ci qu’il y a plus de gens qui s’y installent que de résidents qui partent. Ils viennent de Montréal, de la France, et même de la Tunisie : un exploit pour cet archipel isolé et vieillissant.

«Bienvenue au paradis». C’est avec ces mots qu’Iheb Chaabane a été accueilli par son nouveau patron en octobre dernier à sa sortie de l’avion, après une saga interminable de retards et d’annulations de vols.

Dans le petit village où il habitait en Tunisie avec sa femme et ses deux enfants, tout le monde se connaît… un peu comme aux îles.

«Des fois, j’ai la sensation d’être au Canada et en Tunisie en même temps», s’étonne M. Chaabane.

Recevoir des immigrants, c’est plutôt nouveau pour les 13 000 habitants des Îles-de-la-­Madeleine. Et c’est maintenant une priorité.

Pendant plus de 30 ans, la population de l’archipel n’a cessé de décroître.

Puis à partir de 2016-2017, la communauté maritime a commencé à renverser son solde migratoire.

En 2020-2021, elle a même atteint un sommet, avec 203 nouveaux résidents de plus que le nombre de déménagements vers l’extérieur.

Perception à changer

Il faut dire que la beauté des îles fait son effet. Chaque été, des gens s’y rendent en vacances et ne souhaitent plus en repartir. Le phénomène est d’autant plus présent depuis la pandémie, qui a rendu possible le télétravail.

Mais il y a surtout une stratégie d’attraction menée par la municipalité et la MRC.

«C’en est une, grande séduction […] C’est une perception qu’on veut changer : les îles, ce n’est pas juste une destination estivale», explique Alexandre Bessette, conseiller en marketing territorial.

Pour y arriver, son équipe mise sur le contact humain : promouvoir le style de vie insulaire pour attirer les gens, puis les accueillir et les accompagner pendant des mois, en plus d’orga­niser des activités sociales.

Bateau ou avion seulement

Quand Romain Watelet a proposé à Lolita Alborghetti de quitter la France pour s’installer au Canada, elle lui a répondu: «Okay, mais seulement si c’est dans une grosse ville.»

Ils habitent maintenant sur un archipel accessible uniquement par bateau ou par avion. Leur maison se trouve à l’île de Grande Entrée, la plus excentrée. À partir de Cap-aux-Meules, le trajet en voiture est de 45 minutes, avec de grands bouts sur des bandes de sable où trônent des éoliennes.

À leur arrivée en août dernier, se procurer du dentifrice a été une épreuve. Mais six mois plus tard, les charmes combinés de la nature, de l’accueil chaleureux et des opportunités d’emplois ont opéré. «À date, c’est vraiment génial. On n’a aucun regret.»

Alexandre Bessette sait que la vie aux îles, ce n’est pas fait pour tout le monde. Certains finissent d’ailleurs par repartir.

Mais il n’a pas besoin de «tordre de bras» pour recruter des Néo-Madelinots : quelque 150 candidats potentiels contactent son équipe chaque année.

Capture d’écran, le 2023-03-18 à 09.57.19

 

EN PLEIN «OURAGAN DÉMOGRAPHIQUE»

Il n’y a pas que les ouragans de type Dorian et Fiona qui menacent les îles de laMadeleine. Il y a aussi l’«ouragan démographique» du vieillissement qui fait de l’archipel un «laboratoire» pour le reste de la province.

«On vit aux îles ce que le Québec va vivre dans dix ans», estime Léonard Aucoin, un Madelinot ex-gestionnaire du milieu de la santé aujourd’hui à la retraite.

À partir des données publiques, il a réalisé une étude approfondie de la démographie madelinienne afin de la croiser avec divers enjeux comme le tourisme, le logement et l’économie.

«C’est extraordinaire, ce qui s’est passé dans les dernières années.» Mais il ne faut pas se leurrer : la moyenne d’âge dans la Communauté maritime des Îles-de-la-Madeleine est de 50 ans, alors que la moyenne québécoise est de 43 ans.

Tant sur le plan social que sur le plan des changements climatiques, les îles sont un formidable observatoire et laboratoire pour l’ensemble de la province.

Ce qui nous attend, ce n’est rien de moins qu’un « ouragan démographique », dit M. Aucoin en reprenant l’expression de l’économiste Pierre Fortin.

Missions à l’étranger

Annuellement, on compte plus de décès que de naissances dans l’archipel.

Pour maintenir la population à environ 13 000 habitants, il faut donc que 150 personnes viennent s’installer aux îles pour chaque tranche de 50 personnes qui partent, illustre-t-il.

«La seule solution, c’est la migration, avec tout ce que ça comporte de défis», conclut M. Aucoin.

Il ne faut donc pas s’étonner si la grande séduction des îles s’étend jusqu’à l’étranger. Un programme de francisation est même en voie de développement au campus des îles du Cégep de la Gaspésie.

Quand Le Journal l’a interrogé, Alexandre Bessette revenait tout juste d’un séjour au Maroc.

En compagnie de la directrice d’un CPE, il a reçu près de 400 CV d’éducatrices d’expérience et passé plus de 80 entrevues.

Au final, cinq d’entre elles seront retenues.

« Si on pouvait, on en amènerait beaucoup plus », avoue M. Bessette.

Mais la municipalité préfère commencer graduellement, notamment en raison du manque de logements.

UN CHANGEMENT DE VIE RADICAL
Elle a trouvé son horizon

Capture d’écran, le 2023-03-18 à 09.57.41
PHOTO DOMINIQUE SCALI

«J’avais vraiment l’air d’une folle», raconte en riant Janeth Lopez à propos du moment où elle a rempli à craquer sa voiture pour quitter Montréal, le 1er janvier 2021.

Après avoir vu une vidéo du canal Évasion, cette intervenante communautaire de 29 ans a décidé de s’installer aux îles alors qu’elle n’y était jamais allée auparavant. «Une grosse intuition», résume-t-elle.

Il faut dire qu’à force de passer huit heures par jour devant son ordinateur en raison de la Covid, elle était en pleine perte de motivation.

Aujourd’hui, elle a une vue sur la mer depuis le salon, dans la maison qu’elle loue 10 mois par année.

«Je pense qu’à Montréal, je me sentais emprisonnée […] J’ai besoin de voir l’horizon. Ça te décloître l’esprit.»

Pour l’amour du hockey

«C’était un rêve d’enfant de venir vivre au Canada. Depuis que je suis tout petit, j’entends parler des joueurs de hockey québécois», révèle Romain Watelet, 27 ans.

Il n’avait pas encore terminé ses études en enseignement quand il a reçu un message dans la boîte courriel de son université à Reims, en France.

Après avoir assisté à un webinaire, il a appris au printemps 2022 que l’école primaire de Grosse-Île voulait l’embaucher.

La décision et la paperasse entourant les visas et l’immigration ont dû se faire à la vitesse de l’éclair. Ils sont arrivés en août dernier. «Un coup de poker», lance sa conjointe, Lolita Alborghetti, 25 ans.

Elle a trouvé aux îles le «job de rêve» en ressources humaines qu’elle n’arrivait pas à trouver en France.

Quant à M. Watelet, il s’est trouvé une place de gardien de but dans une des équipes de hockey des îles, en plus d’enseigner aux maternelles 4 et 5 ans.

Une «mamie mobile»

Quand Chantal Banville a entreposé tous ses meubles à Rimouski en 2021, elle pensait que son passage aux îles ne serait que temporaire.

Le projet était de venir s’occuper de Gustave et Pauline, ses petits-enfants de 3 ans et 1 an et demi qui n’ont pas de place en garderie. «Finalement, je ne voudrais pas être ailleurs […] Je me sens chez moi ici», dit cette secrétaire à la retraite de 65 ans.

Sa fille, Marie-Philippe Beaulieu, 30 ans, y vit depuis cinq ans avec son conjoint, un Madelinot océanographe.

Mme Banville a aussi rendu service ou offert du répit à d’autres mères depuis qu’elle est arrivée. Avec la population vieillissante, elle y voit même une formule à développer. «Avoir des mamies mobiles un peu partout aux îles, ce ne serait pas pire pour aider les parents.»

Apprendre le français aux îles

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DOMINIQUE SCALI / JDEM

Angela Lopez, 37 ans, pensait n’être que de passage au Québec pour ses études… jusqu’à ce qu’elle tombe en amour avec un Madelinot de naissance. Ulysse Hubert, 44 ans, a quitté les îles à l’âge de 11 ans. Depuis des années, l’idée d’y revenir lui trottait dans la tête.

«L’occasion s’est présentée sur un plateau d’argent» quand un poste s’est libéré au centre de réadaptation, raconte cet orthophoniste arrivé en janvier 2021.

Plutôt que d’aller rejoindre Mme Lopez pour un séjour en Colombie, c’est elle qui est venue le rejoindre aux îles. «Un saut dans le vide», avoue celle qui parvient de mieux en mieux à se faire comprendre grâce aux cours de francisation donnés au campus des îles du Cégep de la Gaspésie.

La tranquillité, la nature, le fait de ne pas avoir à verrouiller ses portes à triple tour: la vie aux îles correspond à ce qu’elle recherche.

Elle commence à se construire son propre cercle social. Le plus difficile, en fait, c’est de gérer le «labyrinthe» des démarches d’immigration, conclut-elle.

De la Méditerranée à l’Atlantique

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DOMINIQUE SCALI / JDEM

Iheb Chaabane n’avait jamais entendu parler des îles avant de passer une entrevue comme mécanicien pour le concessionnaire Honda LeDé Sports.

C’est en faisant des recherches que l’homme de 36 ans a découvert tout le bien qu’on en disait : le calme, la communauté tissée serrée et la présence de la mer, qui aurait de quoi lui rappeler son village tunisien près de Gabès, sur la Méditerranée.

Il est arrivé aux îles en octobre dernier avec sa femme, Mariem Ayadi, 30 ans, et leurs deux enfants, Bissane et Mohammed Rissane, âgés de 3 et presque 2 ans.

Le couple, qui espère leur donner un meilleur avenir au Canada, a reçu la représentante du Journal avec du café et des biscuits en forme de feuille d’érable.

Mme Ayadi est éducatrice en garderie. Elle pourra éventuellement contribuer à réduire la pénurie… si elle parvient à trouver une place pour ses propres enfants.

Victime de son succès

«Des fois, mes clients me demandent quand je repars, ils sont inquiets. Je leur dis: pour l’instant, on n’a pas l’intention de repartir. On est bien», les rassure Camille Mathieu, 24 ans, originaire de Repentigny.

Elle a accepté de suivre son conjoint qui s’est fait offrir un emploi permanent en ingénierie minière.

Ils sont arrivés il y a deux mois, en janvier, et déjà, son téléphone ne dérougit pas.

Cette technicienne en santé animale a suivi une formation complémentaire en toilettage afin de combler les trous dans son horaire de technicienne.

Et voilà qu’elle fait du toilettage animalier presque à temps plein. «J’ai l’impression d’être la seule aux îles», dit celle qui a déjà une trentaine de clients en attente pour le mois d’avril.

«C’est un beau problème», dit-elle avec le sourire.

LA UNE : Chantal Banville (à gauche), venue aux îles pour s’occuper temporairement de ses petits-enfants, Pauline et Gustave, a finalement décidé de rester. Avec sa fille, Marie-Philippe Beaulieu (droite), à Cap-aux-Meules. PHOTO DOMINIQUE SCALI
PAR DOMINIQUE SCALI