Il y a un an, la tempête post-tropicale Fiona ravageait la côte est du pays. Elle fournira une occasion unique, à des scientifiques qui documentent depuis près de 20 ans l’érosion du littoral aux Îles-de-la-Madeleine, de mesurer l’impact d’une violente tempête sur leur rivage.
Tout bouge autour de nous. C’est normal. On est aux Îles-de-la-Madeleine. Le vent fait danser le décor. Son sifflement est constant. On l’entend sans l’entendre.
Les Madelinots ont appris depuis toujours à vivre avec le vent, à le voir secouer ou charrier tout ce qui est autour. Leur annoncer une tempête de vent ne les ébranle plus vraiment. Jusqu’à ce qu’arrive la tempête Fiona.
Partie du sud, dans l’océan Atlantique, elle remonte vers le nord sans toucher terre. Le cyclone post-tropical fonce tout droit vers les Maritimes et les Îles-de-la-Madeleine. Il atteint les Îles le 24 septembre 2022, il y a un an, jour pour jour.
Denis Lefaivre est alors responsable d’émettre les alertes d’ondes de tempête depuis l’Institut Maurice-Lamontagne, à Mont-Joli. Ce sont les variations du niveau de la mer attribuables aux conditions atmosphériques. Fiona est très concentrée et elle conserve son caractère presque d’ouragan en s’approchant des côtes. C’est ça qui est exceptionnel
, se rappelle-t-il.
Selon l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (NOAA), jamais la pression au cœur d’une tempête qui touche terre au Canada n’a été aussi basse. Sous l’effet combiné de cet écart de pression – qui fera s’élever les eaux – du vent et de la marée, des vagues allant jusqu’à 6 mètres balaient les Îles et le sud du Golfe.
Fiona traverse la Nouvelle-Écosse, l’Île-du-Prince-Édouard, Terre-Neuve et les Îles-de-la-Madeleine. Elle ne passe que quelques heures aux Îles, mais c’est suffisant pour transformer le littoral.
Dans les semaines qui suivent, les équipes de Pascal Bernatchez, titulaire de la Chaire de recherche en géoscience côtière à l’Université du Québec à Rimouski, parcourent les Îles pour faire des relevés topographiques des plages et des mesures de l’érosion des côtes à partir des stations de mesure permanentes dispersées sur les Îles.
Au pas de course ou presque, on suit Stéphanie Friesinger et Patrice Lapointe. Ils mesurent la distance entre le sommet de la falaise et la plage à des points fixes tout autour des Îles. Ils vont parcourir le trajet qui sépare plus de 450 des 1200 bornes distribués le long de la côte.
L’intérêt de ces mesures est grand, puisque les scientifiques pourront comparer les reculs provoqués par la seule tempête Fiona aux reculs moyens des années antérieures. Il y a près de vingt ans que ces mesures sont effectuées aux Îles-de-la-Madeleine.
Le passage de Fiona révèle des reculs de côte impressionnants, jusqu’à 17,8 mètres à certains endroits, confie Pascal Bernatchez. La portion est du littoral a particulièrement été atteinte par les vagues, la baie de Plaisance en particulier.
Quelques mois avant que la tempête ne frappe, on venait d’achever un ouvrage destiné à protéger le site historique de La Grave au sud-est de l’Île. La recharge, comme on l’appelle, consiste à rehausser la plage à partir de matériaux plus grossiers pour protéger les bâtiments de l’assaut des vagues.
L’ouvrage, financé par le ministère de la Sécurité publique du Québec, est d’une longueur de 650 mètres, d’une largeur de 30 mètres et d’une hauteur de 3,5 mètres. La plage, c’est un peu un absorbeur d’énergie, donc c’est un mécanisme très efficace que la nature a trouvé pour briser l’énergie des vagues. Et ça se fait beaucoup par déferlement
, explique Yann Ropars, ingénieur spécialisé dans les infrastructures côtières et concepteur de la recharge de La Grave.
Le jour de la tempête, de fortes vagues du nord frappent la recharge de plein fouet pendant des heures. Le profil de la recharge se verra adouci d’un coup, alors que l’énergie des vagues sera dissipée par la nouvelle plage. Malgré tout, certains bâtiments seront inondés, envahis par la remontée des eaux de la lagune, située sur le versant opposé de La Grave.
À l’Université du Québec à Rimouski, Charles Caulet, un postdoctorant en modélisation côtière, a pu reproduire à partir de modèles numériques et de données réelles enregistrées durant la tempête le déferlement des vagues sans la recharge de plage.
La simulation montre que sans la recharge de plage, les bâtiments sur le site de La Grave auraient subi le déferlement des vagues en plus de la submersion par la montée des eaux du côté de la lagune.
Les Îles-de-la-Madeleine sont à l’avant-poste des transformations du climat et de la température des eaux de surface dans l’Atlantique. Les Madelinots n’ont pas l’habitude de craindre les tempêtes, mais les dernières qu’ils ont connues, Dorian en 2019, puis Fiona en 2022, laissent entrevoir des tempêtes d’une intensité plus grande et plus rapprochée dans le temps, des tempêtes différentes de celles que les insulaires ont connues dans le passé.
Fiona donne-t-elle la mesure des tempêtes à venir et des transformations du paysage que les Îles s’apprêtent à subir? La réduction du couvert de glace en hiver, l’érosion du littoral et le déplacement des sédiments arrachés aux falaises et aux dunes : voilà autant de facteurs qui pourraient redessiner le profil si familier des Îles-de-la-Madeleine.
LA UNE : Deux mois après la tempête Fiona, en novembre 2022, des scientifiques mesurent l’érosion des côtes aux Îles-de-la-Madeleine. PHOTO : RADIO-CANADA
PAR André Bernard