L’entreprise des Îles-de-la-Madeleine Total Océan, qui souhaitait transformer le gras de phoque en huile pharmaceutique et démarrait sa phase de commercialisation, est officiellement en faillite.
C’est ce qu’a confirmé par courriel la firme Deloitte Canada, précisant à Radio-Canada que la faillite est officielle en date du 13 février. L’entreprise qui avait pignon sur rue à Havre-aux-Maisons n’est vraisemblablement pas parvenue à dénicher les deux millions de dollars qu’elle espérait trouver afin de relancer ses activités.
Total Océan, qui cumulerait une dette totale d’environ 4,67 millions de dollars, s’est placée sous la protection de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité le 27 novembre dernier. Au total, elle cumule des obligations envers 33 créanciers, dont 18 résidents et organisations de l’archipel.
De ces créanciers, deux sont garantis : la Banque Royale du Canada et la Caisse populaire Desjardins. Leurs créances respectives se chiffrent à 1,85 million de dollars et un peu plus de 180 000 $.
Total Océan avait jusqu’au 12 février pour soumettre une proposition à ses créanciers ou demander une prolongation de délai pour le faire. Deloitte Canada n’a pas donné de plus amples détails sur sa situation, se limitant à nous conseiller de contacter le gestionnaire de l’entreprise. La Loi sur la faillite et l’insolvabilité prévoit toutefois qu’une entreprise qui ferait défaut de présenter une proposition à ses créanciers à l’intérieur des délais dont elle dispose ou d’en demander la prolongation fait automatiquement faillite le lendemain.
Le président de Total Océan, François Gaulin, a indiqué à Radio-Canada ne pas être disponible mercredi pour une entrevue. Radio-Canada a tenté de joindre d’autres actionnaires de l’entreprise, qui n’ont pas donné suite à nos demandes d’entrevue au moment de publier ces lignes.

Seule une petite partie de l’huile pharmaceutique produite à l’aide du gras de phoque a pu être vendue, car le produit ne répondait pas aux attentes des premiers clients sollicités par Total Océan. (Photo d’archives) PHOTO : ISTOCK / IAN DYBALL
Selon le Registre des dossiers de faillite et d’insolvabilité, une première assemblée des créanciers serait prévue le 14 mars. Cette information n’a toutefois pas été confirmée par Deloitte Canada.
Total Océan pouvait compter sur un distillateur moléculaire depuis 2021 pour produire une huile de loup-marin riche en oméga-3 pouvant être vendue à l’industrie pharmaceutique. Après de nombreuses années de tests, la production commerciale a démarré en 2022, mais les ventes se sont avérées décevantes.
La vente des produits de Total Océan avait d’abord été assurée par le Groupe SiliCycle, mais l’entreprise avait repris les rênes de ce volet au cours des derniers mois.
Les pêcheurs de phoque sont déçus, mais gardent espoir
Ce n’est pas une surprise, on sait depuis plusieurs mois que ça se dirigeait dans ce sens-là
, commente d’emblée le directeur de l’Association des chasseurs de phoques intra-Québec (ACPIC), Gil Thériault.

GilThériault est également l’un des actionnaires-fondateurs de Total Océan et ex-administrateur de l’entreprise. C’est toutefois à titre de directeur de l’Association des chasseurs de phoques intra-Québec qu’il a accepté de commenter la faillite de l’entreprise madelinienne. (Photo d’archives) PHOTO : RADIO-CANADA / ROXANNE LANGLOIS
Gil Thériault admet néanmoins être déçu
, car une commercialisation réussie du gras de phoque aurait contribué à rentabiliser davantage les expéditions des chasseurs madelinots. Total Océan aurait en effet constitué un client supplémentaire pour les chasseurs, qui se départissent actuellement de la peau de leurs captures pour ne vendre que les carcasses.
Selon le directeur de l’ACPIC, la rentabilité des sorties de chasse est d’ailleurs un problème majeur
pour la relance de ces activités.

Le distillateur moléculaire a été conçu sur mesure en Chine pour Total Océan. (Photo d’archives) PHOTO : AVEC L’AUTORISATION DE TOTAL OCÉAN
En plus de chasser le phoque depuis une quarantaine d’années, Réjean Vigneau est également propriétaire de la boucherie Côte à Côte, la seule au Québec à transformer la viande de phoque. Il était très enthousiaste à l’idée de voir Total Océan récupérer leur gras.
Ça ferait un bon complément. C’est le fameux complément qu’on attend depuis plusieurs années.
Ce n’est pas la meilleure nouvelle que l’on a reçue
, convient le chasseur en faisant référence à la faillite de Total Océan. C’était un client vraiment très intéressant pour les chasseurs
, ajoute-t-il en précisant garder néanmoins espoir pour la suite.

Alors qu’il attendait ce moment depuis plusieurs années déjà, Réjean Vigneau garde malgré tout espoir que le gras des phoques qu’il chasse soit éventuellement récupéré. (Photo d’archives) PHOTO : SANDRA FILLION
Gil Thériault ne baisse pas les bras non plus, puisque le bâtiment et les équipements qui s’y trouvent ne sont pas encore liquidés. Le gestionnaire estime que ces actifs constituent toujours un potentiel intéressant pour la communauté des Îles-de-la-Madeleine
.
On vit d’espoir dans ce dossier-là. On espère qu’une entreprise, des actionnaires, de nouveaux joueurs vont lever la main, prendre la balle au bond et qu’ils vont profiter des équipements. Tout ce dossier-là a été complexe et laborieux, mais il reste qu’on a quand même un distillateur moléculaire qui est en place.
L’idée était bonne et elle est toujours bonne
, clame M. Thériault, qui estime que de bons gestionnaires seraient en mesure d’en bénéficier.
Selon lui, la pandémie a d’ailleurs joué les trouble-fêtes dans le démarrage de Total Océan, notamment parce qu’elle a repoussé la production et accéléré l’épuisement des liquidités. Il y a des erreurs qui ont été faites, oui, mais c’est sûr que [la pandémie], c’est un facteur également.
Une dizaine de Madelinots font partie des actionnaires de l’entreprise.
LA UNE : L’entreprise Total Océan a été fondée en 1995, mais ne possédait un distillateur moléculaire que depuis 2021. PHOTO : RADIO-CANADA / ISABELLE LAROSE
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