>La dernière évaluation des stocks de morue franche du golfe du Saint-Laurent continue de dresser un sombre tableau de l’avenir de l’espèce.
Le ministère des Pêches et des Océans (MPO) du Canada a lancé un avertissement il y a cinq ans, affirmant que l’extinction de l’espèce dans le golfe était non seulement possible, mais probable.
Et la dernière évaluation ne fait que confirmer ce qui avait été annoncé.
Nous ne constatons aucun rétablissement de la biomasse du stock reproducteur de la morue. Il connaît toujours des niveaux de mortalité naturelle très élevés, surtout au stade adulte
, indique Daniel Ricard, biologiste pour Pêches et Océans. C’est une situation désastreuse.
Entre 60 et 70 % des morues du sud du golfe ne survivent pas au-delà de cinq ans et sont probablement mangées par les énormes troupeaux de phoques gris de la région, ajoute le biologiste.

La population de phoques gris en Atlantique est passée de 8000 individus en 1960 à 400 000. (Photo d’archives) PHOTO : GRACIEUSETÉ DE DAMIAN LIDGARD, OCEAN TRACKING NETWORK
Par le passé, la morue était capable de résister à un grand nombre de phoques, mais c’était avant que la surpêche ne provoque l’effondrement de la population de morue, il y a plusieurs décennies.
Les phoques empêchent désormais le rétablissement, même si des relevés récents ont détecté un nombre accru de jeunes morues.
Nous avons beaucoup de nouveaux poissons qui meurent avant d’atteindre l’adolescence ou l’âge adulte
, rapporte Daniel Ricard. La population de morue est faible et la prédation des phoques est élevée et la morue est incapable de sortir de cette situation.
Depuis la dernière évaluation, en 2019, l’estimation de la population reproductrice est passée de 13 900 tonnes, un record à ce moment-là, à 12 000 tonnes en 2023.
Ça représente une réduction de 97 % par rapport au pic de 320 000 tonnes des années 1950.
Les scientifiques utilisent la biomasse du stock reproducteur comme mesure de la santé d’une espèce. C’est une estimation du poids total du poisson capable de se reproduire.
Il y a un moratoire sur la pêche dirigée à la morue dans le sud du golfe du Saint-Laurent depuis 2009.
Même sans pêche, les projections à long terme indiquent que la morue de cette zone est en voie d’extinction commerciale d’ici 50 ans. Ce qui veut dire qu’il y en a si peu que ça ne vaut pas la peine d’essayer de les capturer.
L’extinction commerciale se produit lorsque la population reproductrice descend en dessous de 1000 tonnes.
À ce niveau, la morue ne disparaîtrait pas entièrement du golfe, mais elle serait très vulnérable.
Pour sortir de cette spirale, il faudrait une recrudescence phénoménale des jeunes poissons qui peuvent se reproduire pour submerger le système. Daniel Ricard croit que si les phoques se tournent vers une autre proie, les choses pourraient aussi changer.
Pêches et Océans ne prévoit aucun de ces scénarios. Les perspectives ne sont pas roses pour la morue franche. La trajectoire à long terme reste inchangée.
La morue franche paie le prix de la gestion gouvernementale antérieure de la pêche, lorsque les quotas étaient trop élevés.

La pêche à la morue, aujourd’hui très limitée, avait pendant des années des quotas trop élevés qui ont mis la population du golfe en danger. PHOTO : ASSOCIATED PRESS / ROBERT F. BUKATY
Cela laisse peu d’options au MPO pour tenter de reconstituer le stock.
La première consiste à réduire les prises accessoires autorisées dans d’autres pêcheries qui capturent accidentellement de la morue, notamment celles qui pêchent le sébaste, le flétan et le turbot.
À l’heure actuelle, Pêches et Océans autorise la capture accessoire de 300 tonnes de morue dans le sud du golfe du Saint-Laurent. La réduction des prises accessoires nuirait aux autres pêcheries sans grandement bénéficier à la morue, mais cette mesure est à l’étude.
L’autre option consiste à réduire la population de phoques gris, ce qui aurait un impact bien plus important sur la capacité de survie de la morue franche, mais la pratique est politiquement peu acceptable.
LA UNE : Les stocks de morue franche ne montrent aucun signe de rétablissement dans le golfe du Saint-Laurent, cinq ans après l’évaluation du MPO disant que l’extinction de l’espèce dans le golfe était probable. PHOTO : GRACIEUSETÉ