Même si le Canada rêve d’une réouverture de la commercialisation des produits dérivés du phoque en Europe, la dernière consultation de la Commission européenne démontre la persistance d’une solide opposition à toute modification de la réglementation actuelle.
Plus de 14 000 commentaires ou avis ont été reçus lors de la consultation qui s’est déroulée de mai à août derniers dans le cadre d’un réexamen de la réglementation de la Commission européenne sur la commercialisation des produits dérivés du phoque.
Le règlement interdit toute vente de ces produits dans l’espace économique européen sauf s’il s’agit de produits issus de la chasse autochtone ou destinés à un usage personnel.
Parmi les avis reçus, la Commission dénombre 11 842 réponses liées à des campagnes ou à des messages coordonnés, souvent anonymes. Toutes ces campagnes sont le fait de gens très mobilisés contre la cruauté envers les animaux, contre l’utilisation de produits d’origine animale ou contre la chasse au phoque.
Beaucoup de commentaires reçus par la Commission dénoncent le traitement fait aux animaux. (Photo d’archives) PHOTO : RADIO-CANADA / ALBAN NORMANDIN
La Commission estime avoir reçu 2162 contributions uniques dont 1810, soit 84 % de l’échantillon total, ont été soumises par des citoyens de l’Union européenne et 10 % en provenance de citoyens non européens.
Exemples de contributions recopiées par plusieurs répondants anonymes
— Je refuse de voir revenir le massacre de phoques, et je refuse donc aussi le retour des produits à base de phoques sur le marché européen. La chasse commerciale des phoques a chuté drastiquement au Canada depuis les interdictions européennes et c’est une bonne chose.
— Il me semble impensable aujourd’hui de maintenir ce type de pratique horrible sur les phoques qui sont d’ores et déjà les victimes de notre activité humaine (surpêche, déséquilibre de la biodiversité, dérèglement climatique…).
— Non à une économie liée à la torture. Totalement et radicalement opposée à toute commercialisation de tout produit issu de cette chasse barbare, inutile et injustifiable.
Quelque 1366 contributions (63 %), dont beaucoup de commentaires antispécistes, sont venues de la France. La Commission attribue cet important volume de réponses, souvent concertées et sous forme de campagne, à l’attention considérable que la question de la chasse au phoque a reçue dans l’arène publique et politique de l’Hexagone.
Participation canadienne
En comparaison, les avis venant du Canada ont été beaucoup moins nombreux. Malgré tout, avec 81 avis uniques, c’est le pays non membre de l’Union européenne qui compte la participation la plus importante avec 4 %.
Ces avis sont venus du Sénat, d’associations comme l’Union des pêcheurs maritimes, de sociétés d’État comme Perennia de la Nouvelle-Écosse ou même de députés, comme le conservateur Clifford Small de Terre-Neuve-et-Labrador ou la Britanno-Colombienne Lise Marie Barron, du NPD.
Des citoyens canadiens ont aussi répondu à l’appel de la Commission, des gens favorables à un assouplissement de la législation, et d’autres, contre.
Des peaux de phoque sèchent au soleil, devant une maison de Qikiqtarjuaq, une communauté d’environ 600 habitants située dans l’est du Nunavut. (Photo d’archives) PHOTO : RADIO-CANADA / MARIE-LAURE JOSSELIN
Les gouvernements des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut ont aussi déposé des avis sur les dispositions liées à la commercialisation des produits issus de la chasse autochtone.
Les deux entités gouvernementales ont été reconnues par l’UE comme organisation pouvant certifier le respect de l’exception relative aux communautés inuites ou autres communautés autochtones
. Cette reconnaissance permet de délivrer les documents d’attestation qui devraient accompagner les produits dérivés du phoque.
La Commission européenne a tenu une consultation ciblée avec le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest et le gouvernement du Nunavut, auxquels s’est joint le gouvernement du Canada.
Le gouvernement canadien a aussi répondu à l’appel à contribution en août dernier par un avis signé par six ministres du cabinet Trudeau, dont la ministre des Pêches, Diane Lebouthillier, et la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly.
Majoritairement anti-chasse
La Commission invitait aussi les gens qui donnaient leur avis à répondre à un questionnaire. Au total, 3598 contributions uniques ont été reçues et analysées.
Il en ressort que la majorité des répondants (98 %) n’achèteraient aucun produit dérivé du phoque, peu importe sa source.
La Commission précise que les résultats de cet appel à contribution ne reflète pas l’opinion publique européenne. Néanmoins, ils donnent du poids à l’argumentaire anti-chasse et anti-commercialisation.
La consultation de la Commission européenne a été amorcée à la demande de pays membres de l’UE où se pratique la chasse au phoque.
La colonie de phoques gris en Atlantique était estimée à environ 366 000 bêtes en 2021. (Photo d’archives) PHOTO : ISTOCK / IAN DYBALL
Ces États souhaitent le rétablissement d’une dérogation relative à la gestion durable des ressources marines, qui a été supprimée du règlement en 2015. Comme le Canada, ces pays se plaignent des dommages aux stocks de poissons et aux engins de pêche causés par les populations grandissantes de phoques.
Il semble que le raisonnement sur la protection des stocks de poissons ou de la pêche contre la prédation des phoques ne convainc pas les Européens qui ont participé à l’exercice lancé par la commission. Quelque 97 % d’entre eux s’opposent à une commercialisation de produits d’une chasse destinée à protéger les activités de pêche.
Le Canada demande que le règlement soit abrogé et remplacé par une réglementation qui permettrait l’accès à des produits issus d’une récolte éthique et durable.
Cet argument trouve peu d’écho en Europe. Ainsi, 85 % des répondants au questionnaire de la Commission estiment que la chasse au phoque soulève des préoccupations sur le bien-être animal, quelle que soit la méthode de chasse utilisée.
Trois chasseurs revenant de la chasse aux phoques, sur la plage de Pointe-aux-Outardes, sur la Côte-Nord. (Photo d’archives) PHOTO : RADIO-CANADA / MÉLISSA MARCIL
L’impact que peut avoir l’interdiction de la vente des produits du phoque sur les populations autochtones pour qui la chasse est une tradition est aussi une préoccupation formulée par le Canada dans son avis déposé à la Commission.
Une des prétentions du Canada est que la réglementation est perçue comme une interdiction complète du commerce des produits du phoque et que les communautés inuites ou autochtones du Canada sont pénalisées par cette méconnaissance.
La consultation donne raison aux prétentions du Canada puisque la moitié des répondants croit qu’il y a une interdiction totale de la mise sur le marché de produits dérivés du phoque dans l’UE.
Malgré tout, moins de 8 % se montrent ouverts à acheter des produits dont la provenance autochtone serait certifiée.
Seulement 3 % des répondants seraient tout à fait d’accord à une vente à petite échelle de produits artisanaux du phoque par les communautés locales de la mer Baltique qui pourrait être une source de revenus et mettre en valeur les traditions de ces communautés.
De cette consultation se dégage, en plus d’une forte mobilisation anti-chasse, un soutien important envers la législation, considérée comme pertinente par 63 % des 3598 répondants au questionnaire.
Par contre, bon nombre de répondants, 62 %, admettent ne pas connaître les impacts de la législation.
Encore un an de travaux
Interrogé sur sa participation au processus de consultations lancé par la Commission européenne, le ministère des Pêches assure qu’il continue à plaider en faveur d’une chasse au phoque durable, pratiquée sans cruauté, et bien réglementée, tout en discutant du maintien et de l’élargissement de l’accès aux marchés internationaux pour les produits dérivés du phoque
.
Dans le même esprit, le ministre assure qu’il transmet tous les avis scientifiques pertinents et réfère à son avis déposé en août dernier.
Le ministère des Pêches indique qu’il continue de plaider pour la reconnaissance d’une chasse sans cruauté tout en travaillant à l’élargissement de l’accès aux marchés internationaux. (Photo d’archives) PHOTO : ISTOCK
La ministre des Pêches, Diane Lebouthillier, a vainement été interpellée sur la suite de la participation du Canada au processus en cours ainsi que sur la stratégie du ministère pour défendre les intérêts des communautés touchées par la réglementation.
Les exportations des produits dérivés du phoque étaient évaluées à 17,9 M$ en 2006. Ces ventes n’étaient plus que de 515 000 $ en 2022. La réglementation européenne limite la commercialisation des produits dérivés du phoque depuis 2009.
L’évaluation de la réglementation se termine au dernier trimestre de 2025. La Commission européenne n’a pas été en mesure de préciser l’échéancier des prochaines étapes.
LA UNE : La commercialisation des produits dérivés du phoque reste limitée en Europe à des produits certifiés d’origine autochtone ou destinés à un usage personnel. (Photo d’archives) PHOTO : GOODWILL INDUSTRIES OF ALBERTA.