Depuis le 1er janvier 2024, Gilbert Richard mange uniquement ce qui est chassé, pêché, cultivé ou élevé sur le territoire des îles de la Madeleine. Après 365 jours d’alimentation ultra locale, le Madelinot de 29 ans considère que son rapport à la nourriture est changé à tout jamais.
Après être devenu papa, c’est l’expérience la plus significative que j’ai vécue à date
, lance Gilbert Richard. Il y a des réflexions et des prises de consciences que je n’aurais jamais eues si je n’étais pas passé au travers de ça.
Le résident de Havre-aux-Maisons voulait d’abord et avant tout répondre à la question suivante : est-ce que c’est encore possible de manger 100 % madelinot à l’année, en 2024?
Il vient de prouver que la réponse est oui. À condition d’y mettre le temps.
Son défi alimentaire en était un de taille et comportait des contraintes strictes. Le Madelinot a choisi de retirer de son alimentation tout ce qui ne proviennait pas de l’archipel, sans exception.
Ainsi, le jeune homme de 30 ans a dit adieu au pain, aux pâtes et à tous les produits faits à base de farine, puisque aucune céréale n’est cultivée aux îles de la Madeleine. Il en va de même pour le beurre, les huiles et le sucre qui ne sont pas produits dans l’archipel.
Exit même les produits de la fromagerie locale du Pied-de-Vent ou les bières madeliniennes de l’Abri de la tempête, car bien que ces aliments soient fabriqués aux Îles, certains ingrédients qui les composent, comme le sel ou le houblon, sont importés du continent.

Grâce à des amis pêcheurs, Gilbert Richard a pu avoir accès à certains poissons, dont des morues pêchées accidentellement lors d’une sortie de pêche commerciale au flétan. Photo : Gracieuseté de Gilbert Richard
Son assiette a donc été remplie de pommes de terre et de légumes cultivés dans son jardin, de viande de bêtes qu’il a lui-même élevées ou chassées, de produits de la mer pêchés localement et de petits fruits de l’archipel.

Gilbert Richard et ses amis se partagent un grand jardin. Photo : Gracieuseté de Gilbert Richard
J’ai mangé à peu près la même chose que je mangeais avant, mais la chose principale que j’ai coupée dans mon alimentation, ce sont les produits transformés
, explique-t-il.
Je ne me sens pas du tout comme si j’avais pâti de ça.
Bien qu’il admette une certaine redondance alimentaire liée au respect du rythme des saisons, le fait de congeler, sécher et mettre en conserve des aliments lui a heureusement permis de varier ses repas.

Gilbert Richard a élevé quelques boeufs, des porcs, des chèvres et des porcs pour subvenir à ses besoins alimentaires. Il a fait lui-même la boucherie. Photo : Gracieuseté de Gilbert Richard
Des nombreux apprentissages
Son défi lui a notamment permis d’apprendre diverses techniques pour produire ou conserver des aliments, que ce soit par l’entremise de vidéos sur le web ou de livres ou en bénéficiant de l’expertise d’autres personnes qui maîtrisent ces savoirs.
La presque totalité des choses que j’ai faite cette année, je n’avais fait jamais ça avant.
Il s’est notamment initié à l’apiculture, question d’avoir accès à du sucre local et de pouvoir produire de l’hydromel, ainsi qu’aux techniques de lactofermentation pour préserver ses légumes frais. Il a également peaufiné ses techniques d’élevage d’animaux, d’abattage et de boucherie.

Gilbert Richard a fait l’acquisition de ruches afin de produire son propre miel, car il ne pouvait pas consommer de sucre blanc ni de sirop d’érable. Photo : Gracieuseté de Gilbert Richard
Je pense qu’il y a beaucoup à faire pour se reconnecter avec des pratiques et avec des savoirs qui a aidé notre peuple insulaire à survivre sur le territoire, ici, et qui se sont perdus beaucoup depuis vraiment peu de temps
, dit-il.

Gilbert Richard a dû revoir en entier son tiroir d’épices pour n’y mettre que des herbes et aromates que l’on retrouve aux Îles. Photo : Radio-Canada / Isabelle Larose
Ses constats
Après 12 mois à manger seulement ce que l’archipel madelinot peut offrir, Gilbert Richard fait plusieurs constats.

Le congélateur de Gilbert Richard regorge de produits marins qu’il a acheté en grosses quantités afin de pouvoir en profiter 12 mois par année. Photo : Radio-Canada / Isabelle Larose
D’abord, il déplore l’accès difficile aux ressources marines, bien que la pêche soit la première économie des îles de la Madeleine.
Les produits de la mer sont rès réglementés
, déplore-t-il. À part les palourdes, les couteaux de mer, les coques et quelques espèces de poisson qu’on peut pêcher soi-même de façon récréative, c’est difficile d’aller chercher des fruits de mer et des mollusques.
Pour avoir une certaine autonomie alimentaire aux Îles, il faudrait vraiment que les ressources marines soient démocratisées. J’ai le souhait que les Madelinots puissent aller chercher eux-mêmes la ressource.
Par ailleurs, durant son défi, le trentenaire a constaté à quel point la nourriture joue un rôle social. Pour lui, ce n’était plus possible d’aller au restaurant, d’aller boire une bière ou un simple café avec ses proches.
Je retiens que la bouffe, c’est quelque chose de très sociale et, avec les contraintes que je me suis données, je me suis coupé de beaucoup de contextes sociaux qui ont finalement affecté le quotidien
, dit-il.

Des fruits et les légumes ont été mis dans un deuxième congélateur sous différentes formes : jus, compote, sauce ou simplement en morceaux ou en entier. Photo : Radio-Canada / Isabelle Larose
Redonner du temps et un sens à notre alimentation
L’autre constat principal de Gilbert Richard est qu’il faut redonner du temps et un sens à la production des aliments que l’on consomme.
Le trentenaire admet qu’il a dû consacrer énormément d’heures pour réaliser son défi, mais que ces moments ont beaucoup plus de sens à ses yeux que d’aller acheter des produits transformés et suremballés à l’épicerie.

À défaut de pouvoir lui-même aller pêcher, Gilbert Richard a acheté des poissons et des crustacés en grosses quantités afin de les transformer et de pouvoir les congeler. Photo : Gracieuseté de Gilbert Richard
Je trouve que le temps que je passe dehors, quand je suis en train de partager un moment dans le jardin ou en cueillette avec des amis, est bien investi,
explique-t-il. En plus d’avoir pris du soleil, d’avoir fait de l’exercice et d’avoir fait mon social, j’ai quelque chose qui reste après pour me nourrir.
Il faut penser le temps autrement que juste aller travailler pour avoir des sous pour ensuite aller acheter de la bouffe, mais plutôt penser l’alimentation comme quelque chose de social, comme quelque chose de culturel, comme une richesse.
Selon lui, l’alimentation ne devrait pas être un fardeau, mais plutôt une addition de moments riches de sens. J’ai de supers souvenirs rattachés aux moments où je suis dans le jardin avec des amis ou lorsque je suis allé à la chasse au loup-marin avec un de mes chums
, raconte-t-il.
Ce sont des moments qui sont chargés d’histoire et de sens. La bouffe ce n’est pas juste quelque chose qu’on fait pour répondre au besoin de se nourrir, c’est aussi quelque chose qui, socialement, apporte énormément et qui donne un sens, réellement
, ajoute le Madelinot.

Gilbert Richard est détenteur d’un permis de chasse au phoque commercial. Il a notamment pris part à une expédition sur l’île Brion en janvier 2024 et a gardé une partie de la viande récoltée pour son alimentation. Photo : Radio-Canada / Isabelle Larose
Un défi qui laisse des traces
Dès le 1er janvier 2025, Gilbert Richard va recommencer à manger des produits qui ne proviennent pas des Îles, mais l’exercice va teinter sa façon de s’alimenter pour le reste de ses jours.
C’est sûr que je vais garder la majorité de ce que je fais là, la grosse affaire qui va me suivre, c’est d’essayer de faire le plus de choses moi-même,
note-t-il. Je vais recommencer à manger des pâtes, mais je vais essayer de me faire mes propres pâtes fraîches, faire mon propre pain. D’acheter moins d’aliments transformés et d’en faire le plus par moi-même.
Après une expérience aussi significative, ça serait impensable de faire un 180 degrés et recommencer à manger de la malbouffe.
Il note d’ailleurs qu’il ne s’est jamais aussi bien senti mentalement et physiquement, après 365 jours sans manger d’aliments transformés en usine.

Gilbert Richard a conçu une chambre froide dans la maison qu’il a lui-même construit afin de favoriser son autonomie alimentaire. Photo : Radio-Canada / Isabelle Larose
Et après un an de régime 100 % madelinot, qu’est-ce Gilbert Richard rêve de manger?
La réponse est d’une simplicité désarmante. J’ai extrêmement hâte de manger une toast avec du beurre d’arachide et une banane
, lance-t-il. Ça va être mon déjeuner du 1er janvier.
Même si son défi prend fin, Gilbert Richard entend partager son expérience de multiples façons. L’écriture d’un essai et d’un livre photographique est déjà en branle, de même que la réalisation d’un documentaire portant sur sa démarche d’autonomie alimentaire.
LA UNE : Gilbert Richard cuisine ici un mijoté de phoque qu’il a lui-même chassé composé de pommes de terres, de canneberges et de jus de pomme des Îles. Photo : Radio-Canada / Isabelle Larose