L’industrie des pêches canadiennes n’échappe pas au protectionnisme économique du président Donald Trump. Même si les poissons et fruits de mer d’ici sont toujours épargnés par des tarifs douaniers américains, les transformateurs sont bien conscients que la menace plane et qu’ils doivent s’y préparer.
Vendre plus de poissons et fruits de mer en Europe pour se sevrer des États-Unis, c’est ce que tentent des entreprises de produits marins de la Gaspésie et d’ailleurs au Canada. Plusieurs étaient à Barcelone au début du mois pour développer ce marché.
À deux pas de la mer et de la plage, le restaurant Salamanca, de Barcelone, apprête le traditionnel riz au homard espagnol chaque jour depuis son ouverture en 1969. Toutefois, depuis quelques années, le homard n’est pas espagnol, mais canadien.

Le crustacé canadien se démarquerait notamment par son goût et ses pinces plus grosses que le homard bleu européen. Il se distinguerait aussi par son prix concurrentiel. Le homard canadien a une réputation internationale, il est vendu à un bon prix et il est surtout de très bonne qualité, c’est ça qui est le plus important
, explique le fils du propriétaire, Javi Sanchez.
En fait, le homard vivant canadien est présent sur le marché espagnol depuis plus de 20 ans et le homard cuit depuis une quinzaine d’années, grâce notamment aux liens d’affaires créés par Marc-Lionel Gagnon.
Le homard demeure l’espèce la plus exportée en Europe et la plus prisée des restaurateurs ou grandes chaînes d’alimentation.
Le Québécois et expert en développement des affaires, établi à Madrid, est embauché par les transformateurs de poissons et fruits de mer canadiens pour y développer de nouveaux marchés. L’Europe a les mêmes problèmes que nous au Canada, soit la pénurie de main-d’œuvre en cuisine dans les restaurants, alors on recherche des produits qui se rapprochent le plus de l’assiette du consommateur et qui aura besoin du moins de transformation possible en cuisine
, explique l’Hispano-Canadien.

Un marché à séduire
L’Europe représente un immense marché avec un potentiel évalué à 500 millions de consommateurs. Le Canada n’y exporte par contre que 6 % de ses poissons et fruits de mer.

L’Espagne est à la fois le plus gros producteur, mais aussi le plus important importateur européen de poissons et fruits de mer.
Dans les dernières années, ils ont vraiment pris la place à la France et à l’Italie qui étaient les pays de prédilection.
La demande pour des produits de qualité aurait donc largement dépassé l’offre en Espagne, mais aussi au Portugal, explique l’attaché aux affaires économiques.
Les producteurs locaux ne sont pas capables d’approvisionner la demande qui existe et ce, sur tous les canaux
, observe M. Pérez. Il y a le canal de distribution et d’importation, mais il y a aussi le canal qu’on appelle ici l’HORECA, qui est hôtels, restaurants, cafétéria et qui est de faire voyager le produit vivant jusque dans l’assiette du consommateur.
80 pays représentés
Barcelone est devenue une plaque tournante du marché européen.
Ce n’est pas un hasard si le plus gros salon mondial des poissons et fruits de mer s’y tient chaque année, un événement de trois jours où sont présents plus de 80 pays et 20 000 acteurs de l’industrie.

La présence des transformateurs canadiens était particulièrement incontournable cette année en raison de toute l’incertitude créée par le protectionnisme économique de Donald Trump.
J’étais à Boston au salon des poissons et fruits de mer américain et il y avait un vent de panique
, raconte Marc-Lionel Gagnon. On s’attendait à ce qu’il y ait 25 % de tarifs sur tous les produits canadiens. Maintenant, heureusement, ce n’est pas le cas, mais les sociétés canadiennes ont une certaine inquiétude
.
Les entreprises canadiennes, poursuit M. Gagnon, comprennent qu’il faut absolument diversifier leurs marchés en Europe. La majorité de ces sociétés exportent 90 % de leur production aux États-Unis.
L’exemple néo-brunswickois
C’est le salon le plus gros au monde, si on veut « taper » sur tous les continents.

Au cours des dernières années, Partners Seafood, de Dieppe au Nouveau-Brunswick, a diminué sa dépendance aux marchés américains et chinois, avec des ententes commerciales en Afrique, au Moyen-Orient et même en Australie.
L’exportateur avait déjà compris, avant l’élection de Donald Trump, que les pêches ne sont pas épargnées par les bras de fer commerciaux et les joutes politiques mondiales.

La Chine vient d’imposer des tarifs douaniers de 25 % sur les produits de la mer canadiens. Des turbulences qui pourraient se faire sentir davantage à moyen, qu’à court terme.
On n’est pas trop inquiets pour nos produits de homard et de crabe parce que la demande est forte aux États-Unis ou en Asie actuellement. Par contre, on est inquiets pour la suite. L’incertitude est toujours un frein pour le développement et pour des investissements supplémentaires
, commente Paul Farrah de Partner Seafoods.

La faiblesse du dollar canadien permet, pour l’instant, de sauver la mise, malgré les turbulences sur les marchés américains et chinois.
ll y a aussi tout le côté macroéconomique du dollar canadien versus le dollar américain
, ajoute Paul Farrah. Nos coûts de production sont en dollar canadien, notre prix de vente est en dollar américain et aujourd’hui le taux de change est favorable pour des exportations canadiennes.
Du homard canadien chez les Bretons
Basé à Lorient en Bretagne, le transformateur 5 degrés ouest importe notamment du homard canadien et le transforme avec un système innovateur de haute pression, qui consiste à extraire la chaire crue pour la surgeler à l’azote.

Importer du homard canadien lui permet d’en offrir toute l’année et, surtout, de rentabiliser ses opérations. Nous travaillons du homard européen, nous travaillons des huîtres, nous travaillons des coques par exemple et nous avions besoin d’ajouter du volume dans l’usine pour apporter au modèle économique une stabilité et une profitabilité
, expose Alexis Taugé, le fondateur de 5 degrés ouest.
Si on enlève le homard canadien, l’usine aurait sans doute de la difficulté à être rentable.
Pas les seuls à flairer la bonne affaire
Le Canada est loin d’être le seul à avoir flairé le potentiel du marché européen.

Les pays asiatiques ont été très visibles à cette grand-messe annuelle. Comme au Canada, les tarifs douaniers américains les forcent à diversifier leurs marchés. C’est le cas de l’entreprise vietnamienne NGHI Son Foods Group.
Avant les tarifs, on exportait 60 % aux États-Unis et au Canada et là on essaie de percer le marché européen.

Au sein de la délégation canadienne, le Québec ne joue pas à armes égales avec les provinces maritimes qui peuvent de leur côté exporter du homard vivant à partir de l’aéroport d’Halifax. Depuis peu, des viviers partent de l’aéroport de Moncton à bord d’avions-cargos qui assurent des vols directs vers l’Europe et par la suite l’Asie.
Par exemple, durant la saison de la pêche, un avion par jour livre du homard canadien à l’aéroport de Barcelone et le crustacé, pour la grande majorité, provient des provinces atlantiques.
Pour la directrice de la commercialisation chez Lelièvre, Lelièvre et Lemoignan de Sainte-Thérèse-de-Gaspé, Raphaëlle Lelièvre, la qualité des produits québécois permet de se trouver une niche et des parts de marchés, malgré la concurrence.
Je ne crois pas que ça joue du coude. Le monde des pêches est un petit monde aussi. Oui, c’est certain qu’on est tous compétiteurs et qu’on a chacun à faire notre place, mais je pense qu’il y a de la place pour tout le monde
, analyse Mme Lelièvre.

Le transformateur gaspésien est déjà bien présent en Espagne depuis dix ans, mais a aussi développé des parts de marché en France, en Suède et même en Malaisie et au Viêt Nam.
Ça fait plusieurs années qu’on est dans la diversification de tous nos marchés, alors le salon de Barcelone, ça nous permet de rencontrer des gens d’un peu partout dans le monde, incluant nos clients de l’Espagne, mais aussi de partout en Europe et de partout en Asie
, ajoute la Gaspésienne.
Cibler les supermarchés
Le rayon des produits surgelés haut de gamme représenterait un marché de niche pour le homard québécois cuit. On y trouve de plus en plus de homard gaspésien, ces dernières années.
Le Québec souhaite amener ces ventes à un autre pallier, selon l’attaché aux affaires économiques pour le bureau du Québec à Barcelone, Olivier Christophe Perez. Des démarches sont en cours. Je vous donnerais un exemple. Il y a la chaîne d’alimentation qui s’appelle La Sirena, c’est un magasin qui est spécialisé sur tout ce qui est produit surgelé et on compte entre 350 et 400 magasins en Espagne.

L’organisme GIMXport, qui accompagne les entreprises de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine dans leurs efforts de commercialisation à l’étranger, est bien conscient du décalage entre les transformateurs du Québec et du reste du Canada.

Il propose, notamment, qu’une certaine partie de la promotion à l’étranger se fasse sur une base générique à l’échelle canadienne, en faisant connaître toutes les entreprises du pays qui brassent des affaires dans le monde des pêches.
Il faut travailler en équipe pour développer ensemble de nouveaux marchés, mais c’est sûr qu’après, tu laisses place à la libre concurrence.
Concurrencer les exportateurs asiatiques serait utopique selon les producteurs de poissons et fruits de mer canadiens. Par contre, chaque petite part de marché gagnée en Europe pourra faire la différence pour diminuer la dépendance des usines à l’endroit de leurs acheteurs américains.
LA UNE : Comme tous les salons de produits alimentaires, Barcelone est un endroit pour goûter et découvrir. Photo : Radio-Canada / Martin Toulgoat