La construction de deux maisons ainsi que des travaux d’excavation et de nivellement effectués sur quatre terrains situés en contrebas des buttes des Demoiselles relancent le débat sur la protection des paysages aux Îles-de-la-Madeleine.
Gâchis
, massacre
, grabuge
, cicatrice
, horreur
: certains Madelinots ne mâchent pas leur mot sur les réseaux sociaux pour qualifier les projets de construction résidentielle.
Ils sont nombreux à s’indigner que des permis de construction dans ce secteur panoramique aient pu être délivrés.
La Municipalité des Îles-de-la-Madeleine confirme que les travaux exécutés sur quatre terrains privés distincts, zonés résidentiels depuis 1994, sont actuellement conformes aux permis octroyés.
Il est encore un peu trop tôt pour voir le résultat final, mais jusqu’à présent rien ne justifie une intervention pour punir les propriétaires, parce que tout semble avoir été fait dans les règles
, affirme le chef de section de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme à la Municipalité des Îles-de-la-Madeleine, David Richard.
On ne peut pas présumer de la fin tant que les travaux sont en cours, mais les inspecteurs vont s’assurer que tout soit en règle
, ajoute-t-il.

Interpellé sur le sujet lors d’une entrevue à l’émission Bon pied bonne heure jeudi matin, le maire des Îles-de-la-Madeleine a dit comprendre l’indignation de ses concitoyens.
Je comprends très bien la frustration des citoyens des Îles-de-la-Madeleine, pour la simple et bonne raison que je la partage
, a indiqué Antonin Valiquette en précisant qu’il attendait d’avoir plus d’informations sur le dossier avant de le commenter plus amplement.
De son côté, le chef de section de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme admet que les travaux autorisés peuvent avoir altéré la pente naturelle de la butte.
C’est possible de faire un plateau pour pouvoir se construire
, souligne-t-il. Dans n’importe quel projet de construction résidentiel, c’est rare que le terrain soit adapté pour recevoir une construction et qu’on ne vienne aucunement altérer le terrain. Il y a des règles au niveau des pentes à respecter et des normes pour revégétaliser le terrain après un certain nombre de jours.
Les terrains en chantier sont situés à proximité de la Réserve naturelle des Demoiselles, mais ne font pas partie de cette zone de 14 hectares protégée par la Société de conservation des Îles-de-la-Madeleine.
La réserve naturelle a été reconnue, en vertu de la loi sur la conservation du patrimoine naturel, en décembre 2009, pour une durée perpétuelle.

Pour l’instant, deux maisons sont en construction. Deux terrains adjacents, situés plus haut sur la butte, ont fait l’objet de travaux de nivellement en vue d’éventuelle construction.
Puisque le secteur est considéré comme une zone panoramique, les maisons ne peuvent avoir plus de deux étages et une superficie maximale de 92,9 mètres carrés (1000 pieds carrés), excluant le sous-sol.
Radio-Canada s’est entretenue avec tous les propriétaires des quatre terrains en chantier. Ils ont tous fait part de leur volonté de revégétaliser rapidement leur terrain avec le même genre de végétaux qui s’y trouvaient, et non pas du simple gazon.
Selon eux, l’impact visuel des travaux sera considérablement amoindri lorsque la végétation sera repoussée. Les propriétaires des deux lots situés plus haut sur la butte affirment déjà avoir semé les grains pour reverdir leurs terrains.
Le chef de division en aménagement du territoire et du service de l’urbanisme à la Municipalité des Îles-de-la-Madeleine, David Richard, est conscient que les buttes des Demoiselles soient un secteur particulièrement sensible
.
Les collines et les buttes ont une valeur patrimoniale pour les Madelinots et Madeliniennes, donc c’est certain qu’une construction au pied des Demoiselles, ça fait jaser
, indique-t-il.
Il faut toutefois faire une distinction entre patrimoine collectif et propriétés privés. Les terrains en question sont privés et zonés résidentiels depuis 1994.

Une tentative pour protéger ces terrains
La Société de conservation des Îles-de-la-Madeleine, un organisme à but non lucratif qui protège et met en valeur des terres en milieu privé aux Îles, a déjà tenté d’acheter la parcelle de terre qui fait l’objet de travaux de construction, en vain.

Il s’agissait d’un seul terrain qui a été subdivisé et pour lequel on avait tenté une approche d’acquisition, il y a quelques années, auprès des propriétaires, mais ça n’a pas fonctionné. On n’a pas réussi à l’annexer à la réserve naturelle actuelle
, se désole la présidente Véronique Déraspe.
C’est sûr qu’on aurait aimé être propriétaire et pouvoir le protéger pour qu’il n’y ait jamais de construction, mais ça prend beaucoup de moyens, ce sont de gros montants, encore plus depuis les dernières années.
Mme Déraspe comprend la controverse créée par les projets de construction.
Les buttes, ce sont des perles de canton, c’est ce qui fait le décor des Îles, alors c’est sûr que ça frappe plus lorsqu’on voit des modifications, des changements. C’est certain que ça a un impact visuel plus grand que lorsque c’est sur le plat,
souligne-t-elle.

Véronique Déraspe croit que cette polémique montre l’intérêt des Madelinots pour la conservation des paysages et invite les insulaires et les visiteurs à faire un don à la Société de conservation des Îles-de-la-Madeleine
On les encourage à supporter l’organisme pour nous aider à être plus compétitifs quand on négocie des terrains
, lance-t-elle.
L’organisme a fait l’acquisition de la butte de la Croix en février dernier, une butte faisant partie de l’ensemble des Demoiselles qui appartenait jusqu’ici à la Fabrique Notre-Dame-de-la-Visitation de Havre-Aubert.

Payer pour protéger les paysages?
La question financière liée à la protection du territoire est aussi soulevée par la Municipalité des Îles-de-la-Madeleine.
David Richard indique que la Municipalité est très consciente des enjeux entourant le patrimoine paysager de l’archipel.
Toutefois, de nombreux propriétaires détiennent des droits de construction en vertu du premier plan de zonage mis en place en 1994 aux Îles-de-la-Madeleine.
Il faut manœuvrer entre la volonté de protéger les paysages et les droits des individus.
M. Richard souligne que plusieurs croient, à tort, que les buttes madeliniennes sont protégées, alors que ce n’est pas le cas. Il y a des collines qui sont situées en zonage résidentiel, les propriétaires ont des droits, même si plusieurs terrains restent vacants
, précise-t-il.

Une municipalité, partout au Québec, ne peut pas arriver sur un terrain, où des propriétaires ont des droits, et leur dire du jour au lendemain qu’ils ne peuvent plus construire
, ajoute David Richard.
On ne peut pas empêcher la construction de plein droit sans mesure compensatoire, il faut s’entendre avec les propriétaires de terrain ou faire de l’expropriation, mais il faut dédommager financièrement.
De retirer des droits, mettre des mesures de protection sur des terrains, c’est possible, mais ça a un coût. Il faut que les citoyens soient prêts à voir leur compte de taxes monter encore pour protéger un bien collectif.
La Communauté maritime des Îles a enclenché la procédure pour réviser son schéma d’aménagement et de développement en avril 2021, mais le document révisé n’est toujours pas vigueur. La dernière mouture remonte à 2010.
LA UNE : Des travaux d’excavation et de nivellement ont eu lieu sur quatre lots distincts situés juste en bas de la zone protégée par la Société de conservation des Îles-de-la-Madeleine. Deux maisons y sont en construction. Photo : Gracieuseté