Une recherche sur le stress vécu par les pêcheurs

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Les résultats préliminaires d’un projet de recherche de l’Université Laval sur la santé mentale des pêcheurs montrent un niveau de stress accentué par les changements climatiques chez les pêcheurs de la Gaspésie et des îles de la Madeleine.

Le projet de recherche a interrogé 20 pêcheurs et 13 membres de leur famille, au printemps dernier, lors de groupes de discussions d’une durée moyenne de deux heures.

Ce qu’on sait, c’est que la pêche était déjà assujettie à beaucoup, beaucoup de contraintes, notamment réglementaires. Ç’a toujours été un métier où il y avait des tempêtes et qui nécessitaient des investissements initiaux importants, mais là tout est décuplé, indique la chercheuse principale et médecin Isabelle Goupil-Sormany, qui est aussi enseignante clinicienne à l’Université Laval.

Les changements climatiques viennent ajouter une couche de stress en plus des contraintes.

Une citation de Dre Isabelle Goupil-Sormany, chercheuse et professeure à l’Université Laval

Effets notables sur la santé

Les pêcheurs rencontrés dans le cadre de l’étude disent connaître une mauvaise qualité de sommeil, avoir des brûlures d’estomac et être plus irritables et stressés.

Ils se sentent stressés, ils sentent le poids des responsabilités financières et pour ceux pour qui la pêche va moins bien, il y a aussi un sentiment de honte. De se dire, on a contribué à nos collectivités au cours des dernières années de façon importante et là, on est plus capable de contribuer comme avant, ajoute la chercheuse.

Certains rapportent aussi une augmentation de problèmes de consommation d’alcool dans leur cercle rapproché.

Là, c’est un peu paradoxal. Aucun ne dit consommer, mais ils ont tous des collègues qui consomment plus. C’est toujours difficile de faire la part des choses, explique Isabelle Goupil-Sormany.

Isabelle Goupil-Sormany accorde une entrevue à Radio-Canada à l'extérieur, sur le campus de l'Université Laval, en automne.

La Dre Isabelle Goupil-Sormany étudie les conséquences des changements climatiques sur la santé mentale, notamment chez les pêcheurs. (Photo d’archives) Photo : Radio-Canada

Isabelle Goupil-Sormany note tout de même que les pêcheurs rencontrés ne rapportent pas de cas de dépression majeure, ce qu’elle attribue à la force de leur entourage et au fort sentiment d’appartenance à leur communauté.

Selon elle, beaucoup de pêcheurs et leurs familles savent que les pêches ont déjà traversé bien d’autres crises. Ils sont aussi plus nombreux à vivre dans le moment présent, ce qui évite l’anticipation anxiogène. Ce sont des gens résilients. Il n’y a pas tant de dépressions ou de maladies importantes, mais on sent qu’il faut être fait fort, dit-elle.

Isabelle Goupil-Sormany note quand même que le fait que les pêcheurs aient dû eux-mêmes se porter volontaires pour participer à la recherche peut en partie expliquer ce résultat.

C’est du recrutement volontaire, donc j’imagine que les plus déprimés et qui vont moins bien n’ont pas le réflexe d’aller participer aux discussions. Il y a un biais de sélection dans la façon dont on travaille, dit-elle.

Hésiter à transmettre le métier

La chercheuse constate tout de même que parmi les pêcheurs rencontrés, beaucoup hésiteraient à transmettre leur métier aux plus jeunes.

Ça leur fait perdre le plaisir et la fierté qu’ils avaient de ce métier-là quand on les entend, dit Isabelle Goupil-Sormany. Dans les propos recueillis, certains ont dit : « Je ne suis pas certain que je souhaite ça à mes enfants », mais en même temps, les plus beaux souvenirs qu’ils nous partagent, c’est justement d’avoir partagé la pêche avec leurs enfants.

Impact sur la gestion de Pêches et Océans

Parmi les constats relevés par la chercheuse, les changements climatiques ont aussi un impact sur la gestion écosystémique des pêches par Pêches et Océans. Pour les pêcheurs, le métier est stressant, bien plus que la question des changements climatiques, […] mais les changements climatiques sont aussi présents dans les politiques de gestion des pêches, détaille Isabelle Goupil-Sormany.

Quand on décode l’ensemble des données de recherche, ce qu’on entend, c’est que les pêcheurs ne contrôlent plus leur propre destin économique. Dans le fond, il y a tellement de contraintes, que ce soit les changements climatiques, les permis de pêche, les quotas ou les coûts, ils sont comme dépossédés du contrôle et réclament de faire partie des décisions, ajoute-elle.

Des pêcheurs manifestent.

Des pêcheurs en colère, devant le bureau de circonscription de la ministre fédérale des Pêches, Diane Lebouthillier, en Gaspésie. (Photo d’archives) Photo : Radio-Canada / Nicolas Steinbach

Isabelle Goupil-Sormany ajoute que des pêcheurs rapportent qu’ils aimeraient que leur point de vue ou leurs observations soient davantage prises en compte dans les décisions. D’élargir la perspective en disant, il n’y a pas deux dimensions : préserver la ressource et préserver l’économie. Il y a aussi préserver les individus et leur donner plus de pouvoirs d’agir et leur donner une capacité d’être entendus et écoutés.

Des modèles communautaires

La chercheuse souhaite, lors de recherches subséquentes, s’intéresser aux possibles solutions en partenariat avec les acteurs locaux.

Elle voudrait notamment se pencher sur la viabilité de modèles de pêches plus communautaires.

On va le valider pour s’assurer qu’il s’agit d’un modèle viable. Pour l’instant, on a des propositions à venir pour lesquelles on a demandé du financement, donc je ne peux pas rien promettre puisque le financement n’est pas octroyé. C’est sûr qu’un modèle ancré dans la communauté avec une gestion plus collective de la ressource, ça nous parait une solution, explique Isabelle Goupil-Sormany.

Isabelle Goupil-Sormany prévoit également étudier l’impact du système de transformation et de la distribution au Québec, qui a aussi été nommé parmi les stresseurs. Certains m’ont dit qu’ils souhaitent retourner à de la distribution au quai, dit-elle.

LA UNE : Les changements climatiques accentuent les stresseurs vécus par les pêcheurs de la Gaspésie et des Îles. Photo : Radio-Canada / Jean-Francois Deschênes