Phoque cherche banquise

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Victime du réchauffement du climat, le phoque du Groenland perd sa banquise. Sa fuite vers le nord sonnera-t-elle la fin de la chasse au loup-marin sur le Saint-Laurent?

Le chasseur est bien installé, dressé à l’avant de l’embarcation. Il pousse soudain un cri. Il veut attirer l’attention du phoque qui vient de surgir. Il épaule son arme, retient son souffle, puis la redépose, une fois de plus.

Il y a trop de vagues, lance le capitaine Donald Tremblay, assis à l’arrière de l’embarcation.

Donald est un habitué de la chasse hivernale au phoque du Groenland. Nous sommes au large des Escoumins sur la Côte-Nord, en plein cœur de l’hiver.

La chasse au loup-marin, comme on les appelle ici, n’a jamais eu l’ampleur de celle pratiquée aux Îles-de-la-Madeleine. Mais elle reste une tradition importante pour plusieurs résidents de la Côte-Nord.

Donald chasse uniquement pour la viande. Mais il est réaliste. Cette sortie de février ne sera pas fructueuse.

Partout, autour de lui, la mer est libre de glace. Une situation anormale au plus fort de l’hiver.

« Ça prend des glaces pour que les loups-marins viennent se reposer. Sans glaces, c’est difficile à chasser. »

— Une citation de Donald Tremblay, chasseur

Le chasseur est aussi les yeux de la science. Quand il abat un phoque, il en prélève les organes pour les scientifiques fédéraux.

Le phoque du Groenland fait plus que jamais l’objet d’intenses recherches. Les chercheurs ont des raisons de croire que le mammifère subit de plein fouet les répercussions du réchauffement du climat.

Donald remarque pour sa part que depuis quelques années, les phoques quittent sa région plus tôt qu’à l’habitude. Mais il y a plus.

C’est surtout qu’on ne voit plus de jeunes. On tue presque seulement des adultes maintenant, affirme Donald Tremblay.

Un constat inquiétant. En biologie, voir moins de jeunes dans une population animale est souvent annonciateur de problèmes.

« C’est ce qui me préoccupe. On voit maintenant apparaître des problèmes de recrutement. Il y a maintenant moins de jeunes phoques dans cette population. »

— Une citation de Joannie Van De Walle, biologiste, Pêches et Océans Canada
Un autre hiver sans glaces au quai des Pilotes, aux Escoumins.Un autre hiver sans glaces au quai des Pilotes, aux Escoumins (février 2024) Photo : Radio-Canada / Gilbert Bégin
Un visiteur saisonnier

Le phoque du Groenland est un amoureux des glaces. La population qui visite les eaux canadiennes passe l’été dans la mer du Labrador et la baie de Baffin avant de migrer vers le sud en automne.

Le mammifère entre alors dans les eaux du golfe de nSaint-Laurent pour y passer l’hiver.

En mars, les bêtes font le chemin inverse et remontent vers le nord. En route, ils donnent naissance à leur blanchon sur les lieux habituels de mises bas du Golfe et de Terre-Neuve-et-Labrador.

La fuite vers le nord

Pour ce mammifère, la banquise n’est rien de moins qu’un habitat.

« Les femelles ont besoin d’une glace large et stable pour mettre bas et pour allaiter. »

— Une citation de Joannie Van De Walle, biologiste, Pêches et Océans Canada
Joannie Van De Walle, biologiste et chercheuse, Pêches et Océans Canada.Joannie Van De Walle, biologiste et chercheuse, Pêches et Océans Canada. Photo : Radio-Canada / Gilbert Bégin

 

Mais cette banquise, la chercheuse la voit rétrécir année après année lors de ses vols de reconnaissance.

Mars 2024 : Joannie Van De Walle survole le sud du Golfe, au large des Îles-de-la-Madeleine et de l’Île-du-Prince-Édouard. Elle pensait bien observer quelques mises bas malgré la rareté des glaces.

On a tous été surpris. On n’a rien vu! Ça nous laisse croire que les femelles n’ont même pas essayé de mettre bas ici en 2024, dit-elle.

Le drame, c’est que cette année historique s’ajoute à une succession d’hivers doux et sans glace. On a de bonnes raisons de croire que le phoque du Groenland est en train de délaisser le golfe du Saint-Laurent comme site de mises bas.

La présence de cette espèce sur les lieux de mises bas historiques semble désormais compromise.

Phoques du Groenland sur la banquise dans le nord du golfe du Saint-Laurent.Phoques du Groenland sur la banquise dans le nord du golfe du Saint-Laurent en mars 2007. Photo : Reuters / Paul Darrow

« C’est une tendance qui va s’accentuer dans les prochaines années. La proportion de jeunes nés dans le Golfe diminue. Il y a de plus en plus de femelles qui vont mettre bas à Terre-Neuve. »

— Une citation de Joannie Van De Walle, biologiste, Pêches et Océans Canada
Des réfugiés climatiques

Des phoques qui se réfugient maintenant à Terre-Neuve-et-Labrador faute de glaces? Shelley Lang en a maintenant la preuve.

Dans les bureaux de Pêches et Océans Canada à Saint-Jean, cette chercheuse affiche le calendrier des naissances sur les banquises de sa province.

« On voit maintenant apparaître un groupe de phoques qui met bas deux semaines plus tôt que le troupeau de T.-N.-L. Ce sont les phoques du Golfe qui viennent maintenant mettre bas ici. »

— Une citation de  Shelley Lang, chercheuse à Pêches et Océans Canada
Shelley Lang est chercheuse pour Pêches et Océans Canada. Elle étudie la reproduction du phoque du Groenland pour la province de T.-N.-L.Shelley Lang est chercheuse pour Pêches et Océans Canada. Elle étudie la reproduction du phoque du Groenland pour la province de T.-N.-L. Photo : Radio-Canada / Gilbert Bégin

 

Terre-Neuve-et-Labrador a toujours été au cœur de la reproduction de cette espèce. Les deux tiers de la population de phoques du Groenland qui fréquentent les eaux canadiennes mettent bas dans cette province.

La raison est simple : la province a toujours offert à ce mammifère une banquise large et solide comme du roc.

Mais cette banquise est de plus en plus incertaine.

Les glaces commencent à manquer, surtout dans le sud de l’île de Terre-Neuveaffirme Gary Stenson sur le quai du pittoresque village de Quidi Vidi.

Des maisons colorées en bas d'une falaise.Un aperçu de St-Jean, T.-N.-L Photo : Radio-Canada / Gilbert Bégin

Ce chercheur retraité de Pêches et Océans Canada a du métier : il a arpenté les banquises de Terre-Neuve et du Labrador pendant 30 ans.

« On commence à voir arriver ici ce que vous vivez dans le Saint-Laurent depuis 20 ans. »

— Une citation de  Garry Stenson, chercheur retraité de Pêches et Océans Canada
Chasseurs retenus à quai

Des glaces incertaines, même ici, au beau milieu de l’Atlantique Nord?

Le chasseur Gary Monks ne s’en surprend plus. Il habite justement le sud de la province, dans la magnifique péninsule de Bonavista.

Le jour de notre rencontre, Gary trépignait d’impatience. Les glaces tardaient à se former derrière chez lui. Ces glaces sont essentielles au succès de la chasse, car leur présence attire les phoques près des côtes.

« Les glaces sont encore à 500 kilomètres. Elles auront le temps de fondre avant d’arriver jusqu’ici. »

— Une citation de  Gary Monks, chasseur

En attendant les glaces, le chasseur se réfugie dans son atelier pour réparer ses casiers à homards.

Gary sait que l’absence de glaces à cette date n’augure rien de bon. Il pourrait bien rater une autre saison de chasse.

Je crois bien que la saison est déjà foutue! Il n’y a rien que je puisse faire pour changer la météolance d’un ton résigné le chasseur.

Gary Monks a toujours chassé le phoque du Groenland près de chez lui, à King’s Cove, dans la péninsule de Bonavista, à Terre-Neuve-et-Labrador.Gary Monks a toujours chassé le phoque du Groenland près de chez lui, à King’s Cove, dans la péninsule de Bonavista, à Terre-Neuve-et-Labrador. Photo : Radio-Canada / Gilbert Bégin
Des mortalités massives

Curieusement, il y a pire que l’absence de glaces pour les phoques. Il y a désormais les mauvaises glaces, autre legs de la poussée de fièvre du climat.

C’est ce qu’affirme Garry Stenson, cette fois-ci de sa résidence de Saint-Jean sur l’île de Terre-Neuve. Le chercheur réputé affirme que les mauvaises glaces sont maintenant à l’origine d’un nouveau phénomène : les mortalités massives de blanchons.

C’est en bonne partie ce qui explique le manque de jeunes dans cette population, soutient-il.

En absence de glace, les phoques vont remonter vers le nord à la recherche d’une banquise. Mais si des glaces de mauvaise qualité se forment, les femelles tenteront de mettre bas. Et les conséquences peuvent être désastreuses.

Garry Stenson se souvient de l’année 2010. Une hécatombe de blanchons.

« Les femelles ont mis bas sur des glaces de mauvaise qualité. Mais une violente tempête s’est abattue dans la nuit, causant la noyade de tous les blanchons. »

— Une citation de  Garry Stenson, chercheur retraité de Pêches et Océans Canada
Garry Stenson est une figure bien connue parmi les scientifiques qui ont consacré leur vie à l’étude des phoques. Il se trouve ici au village de Quidi Vidi, à Terre-Neuve-et-Labrador.Garry Stenson est une figure bien connue parmi les scientifiques qui ont consacré leur vie à l’étude des phoques. Il se trouve ici au village de Quidi Vidi, à Terre-Neuve-et-Labrador. Photo : Radio-Canada / Gilbert Bégin

 

Les chercheurs affirment désormais que les mortalités massives de blanchons sont en hausse depuis les années 1990. Certaines années, les mauvaises glaces tuent jusqu’à 90 % des blanchons.

Ça risque d’empirer, car avec le réchauffement du climat, on nous prédit de plus en plus de tempêtes comme celle de 2010, souligne le chercheur.

Victimes du climat

Quel avenir, désormais, pour le phoque du Groenland, au moment où une partie de son habitat disparaît?

Pêches et Océans Canada vient de publier son tout dernier recensement.

Avec 4,4 millions de phoques, le Canada héberge encore le plus important troupeau de phoques du Groenland de la planète.

Mais ce chiffre est trompeur.

Après des années d’abondance, les chercheurs affirment que cette population est maintenant en déclin.

Continuera-t-elle sa remontée vers le nord, à la recherche de nouvelles banquises pour se reproduire ? Les chercheurs restent prudents sur cette hypothèse.

Une équipe de scientifiques survole le sud du golfe du Saint-Laurent à la recherche de blanchons. Une équipe de scientifiques survole le sud du golfe du Saint-Laurent à la recherche de blanchons. Photo : Courtoisie / Photo Pêches et Océans Canada

Pour Garry Stenson, le manque de jeunes au sein de cette population n’est rien d’autre que la manifestation évidente du réchauffement du climat.

« Si vous vous demandez encore si les changements climatiques auront des impacts sur les populations animales, eh bien, on n’est même plus là. On a déjà dépassé ce stade. Ça arrive en ce moment même! »

— Une citation de  Garry Stenson, chercheur à la retraite de Pêches et Océans Canada

Aux Escoumins, Donald Tremblay ne se fait pas plus d’illusions. Il doute de revoir l’abondance d’autrefois, plusieurs milliers de phoques au même endroit.

En n’ayant plus de glaces ici, les phoques vont s’éloigner, ça, c’est sûr, conclut le chasseur.

Le chasseur qui parcourt la mer depuis qu’il est tout jeune avait vu juste. La science confirme maintenant ses observations.

Ce blanchon aura besoin de deux semaines d'allaitement avant de quitter sa banquise. Ce blanchon aura besoin de deux semaines d’allaitement avant de quitter sa banquise. Photo : Reuters / Paul Darrow

Texte et photos : Gilbert Bégin