Depuis l’investiture de Donald Trump, les Cajuns de la Louisiane, minorité francophone dans un état américain pro républicain, sont inquiets, tiraillés par les tensions actuelles entre leur pays et le Canada d’où leurs ancêtres sont originaires.
Basé à Lafayette, l’artiste visuel cajun Lucius Fontenot n’en peut plus de la situation politique de son pays. Je ne comprends plus ce qui se passe. Chaque jour, il y a une nouvelle horreur
, déplore-t-il.
Sa petite amie, qui demeure à Pointe-de-l’Église, en Nouvelle-Écosse, ne se sent pas à l’aise de venir lui rendre visite en sol américain en raison des tensions géopolitiques.
Je ne la blâme pas
, dit-il. L’état actuel de la politique aux États-Unis et en Louisiane est vraiment effrayant pour les gens qui veulent avoir un endroit où vivre dans la diversité.
Politiques hostiles
L’artiste déplore aussi les nouvelles politiques migratoires imposées par l’administration Trump. Lui qui est descendant de migrants acadiens venus s’installer en Louisiane.
Bien qu’il n’a pas été témoin d’arrestations et de déportations dans son patelin rural, elles sont pourtant bien en cours dans l’état aux tendances de droite.
En s’inspirant de l’histoire, il a récemment lancé un projet artistique visuel pour sensibiliser les personnes d’origine acadienne de la Louisiane qui se seraient laissées entraîner dans ce mouvement anti-immigration.
C’est un rappel que si vous êtes Cajun, c’est que vous êtes un descendant acadien qui est arrivé sur cette terre comme réfugié
, résume-t-il. Je veux que les gens prennent ça en considération la prochaine fois qu’ils se diront que trop est offert aux migrants qui débarquent ici.

Une affiche créée par l’artiste Lucius Fontenot dont il vend des copies matérielles en Louisiane. Photo : Gracieuseté : Lucius Fontenot
Lucius Fontenot craint également que les nombreuses couperes budgétaires fédérales menées par le ministère de l’Efficacité gouvernementale américain (en anglais, Department of Government Efficiency, abrégé en DOGE) se fassent sentir dans la communauté.
J’ai environ sept amis qui ont perdu leur emploi dans les dernières semaines
, confie Lucius Fontenot.
Ce que Lucius Fontenot craint le plus, c’est que ces coupures fédérales créent un possible effet domino sur les organismes financés par l’État, en raison de l’attitude plus que favorable du gouvernement louisianais aux politiques trumpistes.

Beaucoup d’organismes cajuns craignent des pertes de financement. Photo : Avec la gracieuseté de / Mélanie Arseneau
La Louisiane francophone étant très minoritaire, des organismes cajuns comme le CODOFIL — financés par l’État fédéral — jouent par exemple un rôle crucial pour la préservation et la promotion de la langue et la culture françaises en Louisiane.
Dans le même temps, le président Donald Trump a signé vendredi un décret faisant de l’anglais la langue officielle des États-Unis. Une première dans l’histoire du pays.
Selon le Wall Street Journal, le décret annulerait l’exigence, mise en place sous la présidence Clinton, de fournir une assistance linguistique aux non-anglophones dans les agences et autres bénéficiaires de fonds fédéraux.
Je chéris nos cousins du Nord
Un autre organisme important pour la communauté cajun, c’est Louisiane-Acadie inc., basé à Lafayette. Sans employés, il est mené par un comité bénévole, dont Randal Menard est le président du conseil d’administration.
Ce dernier affirme que les tensions géopolitiques récentes entre les États-Unis et le Canada ont des répercussions négatives pour les activités de l’organisme. Par exemple, des touristes des provinces maritimes, dont beaucoup de la région de Clare, dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, ont récemment décidé d’annuler leur venue en octobre prochain au festival Grand Réveil Acadien, organisé par Louisiane-Acadie.
Calqué en partie et à plus petite échelle sur le concept du Congrès mondial acadien (CMA) depuis 2011, cet événement mobilise des milliers d’Acadiens et leurs amis
pour célébrer l’influence du peuple acadien et l’expression continue de la langue maternelle française en sol américain.

Le drapeau acadien et le drapeau cajun étaient fièrement exposés à ce kiosque, lors d’une activité du dernier Grand Réveil Acadien, qui s’est tenu en octobre 2022. Photo : Grand Réveil Acadien
Par le biais de l’organisateur de Voyages DiasporAcadie, les festivaliers canadiens qui auraient normalement pris un vol jusqu’au sud des États pour ensuite prendre un autobus en direction de Lafayette pour l’édition 2025 se désistent.
On prévoyait la venue de quatre autobus remplis
, note Randal Menard. Pour le moment, on n’en a pas encore un seul. Ça tombe comme des mouches.
Randal Menard était présent au Congrès mondial acadien (CMA) 2024 qui s’est tenu dans le sud-ouest de Nouvelle-Écosse en août. Il y avait fait la promotion du Grand Réveil Acadien 2025 et plusieurs Acadiens lui avaient pourtant fait part de leur désir de se déplacer pour l’événement.
On verra bien ce qui se passera
, dit-il. On sait que notre principale source de tourisme vient du Canada et je ne peux pas blâmer les Canadiens d’être furieux de ce que cet idiot [Trump] a dit et propose de faire
, dit Randal Menard.
Les Canadiens ont un problème avec les Américains en ce moment et je le comprends. J’espère juste qu’ils se rendront compte que la majorité des gens de notre culture [cajun] ne sont pas des partisans de Trump.
On va continuer à faire ce qu’on fait et on espère que le temps pansera les blessures et que nous pourrons continuer à travailler avec tous nos amis et cousins acadiens
, poursuit Randal Menard. Je chéris nos cousins du nord.
Des liens historiques et d’amitiés
Quelques mois avant l’investiture de Donald Trump, le lieutenant-gouverneur de la Louisiane, Billy Nungesser, était aussi de passage dans le sud-ouest de Nouvelle-Écosse pour le CMA.
Accompagné de l’ancien ministre de la Francophonie du Nouveau-Brunswick, Glen Savoie, il en a profité pour renouveler le plan d’action de cinq ans de coopération entre la Louisiane et l’Acadie.
Malgré les tensions actuelles entre le Canada et les États-Unis, cet accord avec l’Acadie du Nord
demeure plus que précieux, assure l’actuel ministre responsable de la Francophonie du Nouveau-Brunswick, Robert Gauvin.
Les Louisianais sont nos amis et il ne faut pas les oublier
, estime-t-il. On aimerait que tout cela continue. C’est sûr qu’il y a des choses qu’on ne contrôle pas, mais pour l’instant, notre désir c’est de continuer la relation. On a des liens historiques et des liens d’amitié.

La Nouvelle-Écosse est aussi partenaire avec l’État de la Louisiane depuis 30 ans. Sur cette photo, le ministre des Affaires acadiennes et de la Francophonie de la Nouvelle-Écosse Colton LeBlanc et le lieutenant-gouverneur de la Louisiane, William H. Nungesser renouvelle le protocole d’entente en 2022. Photo : Facebook/Colton LeBlanc
Robert Gauvin confirme qu’une délégation ministérielle néo-brunswickoise se rendra bel et bien en Louisiane en octobre, pour participer au Grand Réveil Acadien. Des représentants de la Société Nationale de l’Acadie (SNA) feront aussi partie du voyage.
De son côté, la SNA dit qu’elle gardera un œil sur les répercussions que pourrait avoir sur le milieu associatif la mise en place des tarifs que menace d’imposer Donald Trump sur les produits canadiens.
Pour le moment, on est encouragé et on a encore espoir, car partout ou l’on discute, les collaborations se poursuivent
, rassure son président, Martin Théberge.
Les relations sont trop importantes [avec les Cajuns] pour qu’on fasse autrement […] On va continuer à renforcer ces relations-là et on va continuer à travailler avec nos partenaires, dont les gouvernements, pour s’assurer que cette relation perdure.
LA UNE : L’héritage francophone de la Louisiane pourrait être mis à mal par les politiques de l’administration Trump. (Photo d’archives) Photo : Radio-Canada / Raphaël Bouvier-Auclair