Par Pascal Raiche-Nogue
Dossier 1 de 3
L’Acadie Nouvelle vous présente aujourd’hui un dossier sur la pêche au homard aux Îles-de-la-Madeleine. Comme l’a constaté notre journaliste Pascal Raiche-Nogue, cette industrie pesant lourd dans l’économie de l’archipel est à la croisée des chemins.
La pêche au homard aux Îles-de-la-Madeleine est dotée depuis peu d’un système novateur d’identifiants, qui améliore la traçabilité des produits. Mais l’avenir de cette avancée est plus incertain que jamais, deux ans après sa mise en oeuvre.

Si les Îles-de-la-Madeleine sont de plus en plus connues pour leur industrie touristique, elles dépendent aussi d’une autre industrie majeure; la pêche au homard.
En plus des 325 propriétaires de permis et de leurs assistants, le homard fait vivre de nombreuses personnes dans des entreprises du secteur liées à l’achat, à la préparation et au transport des produits.
La pêche des Îles a beau se dérouler près du Nouveau-Brunswick et de l’Île-du-Prince-Édouard, elle demeure singulière. On y retrouve notamment un mécanisme d’établissement du prix plancher (voir page 2) et un système d’identification des homards.
En gros, ce système géré par l’Office des pêcheurs de homards des Îles-de-la-Madeleine est centré sur une étiquette attachée au crustacé grâce à un élastique immobilisant l’une de ses pinces. Sur un côté de l’étiquette, on retrouve le logo de la campagne Aliments du Québec, avec sa fleur de lys. De l’autre se trouve le logo confirmant que le produit est certifié écoresponsable par le Marine Stewardship Council (MSC).
Une mise sur pied laborieuse
Après la fin d’un projet pilote, le programme d’identification a pris son envol en 2014. Le projet avait alors un budget de 500 000 $ afin de payer les étiquettes, la certification MSC (obtenue par l’Office en 2013, un an avant des pêcheries du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse) et une campagne de marketing.
L’année dernière la plupart des fonds provenaient d’un prélèvement obligatoire de 7 cents la livre sur le prix versé aux pêcheurs par les acheteurs.
La mise en oeuvre a été difficile; le programme a été jugé trop coûteux par certains pêcheurs. Seulement 80 des 325 d’entre eux ont choisi de placer les identifiants sur leurs homards.
Les six acheteurs de homard de la province ont refusé de verser les centaines de milliers de dollars prélevés à l’Office des pêcheurs, notamment parce qu’ils argumentaient que leurs acheteurs américains n’en voulaient pas. Ils espéraient que le gouvernement provincial s’engagerait à payer tous les coûts de ce programme, ce qui ne s’est pas concrétisé.
L’affaire s’est retrouvée devant la Régie des marchés alimentaires et agricoles du Québec, qui a tranché en faveur de l’Office des pêcheurs.
«On a frappé un mur»
Dans la foulée de ces problèmes majeurs, des changements ont été apportés au programme d’identification en prévision de la saison 2015. Seuls les homards vivants destinés au marché québécois sont désormais visés. Le budget du programme a diminué de plus de la moitié pour se chiffrer à 225 000 $, tandis que le prélèvement est passé à 2,5 cents par livre.

En juin 2015, les acheteurs ont eu gain de cause devant la Régie des marchés alimentaires et agricoles; la participation financière au programme n’est plus obligatoire. Seuls les pêcheurs et les acheteurs intéressés mettent l’épaule à la roue.
En interview, le directeur de l’Office des pêcheurs de homard, Léonard Poirier, ne cache pas que le programme d’identification des homards ne pète pas le feu, même s’il affirme que 30 % des pêcheurs y participent.
«Le problème, c’est que ce n’était pas si mal que ça ici, on était rendu assez loin. Mais on a frappé un mur.»
La situation le désole, puisqu’il est convaincu que le programme est efficace et que l’identification des homards aide toute l’industrie, pas seulement les acheteurs qui envoient leurs produits aux Québec.
«Le jour où les pêcheurs vont bien comprendre que le fait de ne pas mettre de “tag” fait en sorte que tu peux alimenter le marché avec n’importe quoi…Ne pas identifier les homards, ça ne protège pas notre marché.»
Comme son financement est désormais assuré sur une base volontaire, l’avenir du programme est plus incertain que jamais.
«Cet automne, c’est certain qu’il va y avoir des discussions. Les pêcheurs vont devoir finalement se prononcer et prendre leurs responsabilités face à ce programme-là en entier. Nous, on est allé le plus loin qu’on a pu. On est allé chercher le programme, on l’a monté, on l’a défendu», dit Léonard Poirier.
Chaque chose en son temps
L’une des entreprises qui se sont battues pour que le programme d’identification des homards soit volontaire est la Coopérative des pêcheurs de Cap Dauphin. Il s’agit d’un regroupement de 85 pêcheurs-propriétaires qui achète et exporte les homards de ses membres.
Sa directrice générale, Ruth Taker, explique que la Coop qu’elle dirige exporte moins d’un pour cent de ses produits au Québec. Ses clients d’ailleurs au pays et des États-Unis ne veulent rien savoir des étiquettes, assure-t-elle.
«On doit aller où se trouve l’argent et on ne peut pas mettre les identifiants lorsqu’on envoie du homard aux États-Unis. Ils ne les veulent pas. Et le problème, c’est qu’on demande davantage pour du homard identifié et ils (les clients) doivent embaucher des gens pour enlever ces identifiants par la suite.»
Elle doute que les gens qui achètent du homard vivant en épicerie ou dans les poissonneries souhaitent vraiment avoir des étiquettes leur expliquant d’où vient leur bouffe.
«La plupart du temps, les gens n’ont pas le temps de se soucier d’où vient leur homard, qu’ils soient des intellectuels fortunés qui sont assis à la maison, à l’ordinateur pour aller voir d’où vient leur homard. Les gens moyens qui achètent des homards n’ont pas le temps de se soucier de cela.»
Cela dit, Ruth Taker tient à préciser qu’elle n’est pas contre les identifiants et qu’elle est simplement contre l’imposition de ce programme à l’ensemble de l’industrie. Elle affirme que le programme ne l’intéresse pas à l’heure actuelle, mais que la donne changera peut-être un jour.
«Si les gens les veulent (les étiquettes) pour des homards vendus directement en Europe ou ailleurs, ainsi soit-il! Il y un temps pour cela. Si on pouvait avoir un aéroport aux Îles qui pouvait accueillir de gros avions, j’enverrais mes homards avec plaisir dans ces marchés.»
Photos : Pascal Raiche-Nogue