Qui n’a jamais tressailli en plein hiver à ce bruit de la conserve en bocal qui s’ouvre? Ce simple «pop» qui réveille les souvenirs de l’été passé, et révèle la fraicheur capturée à son mieux. Au cœur de la tradition culinaire canadienne, les conserves retrouvent leur place dans les garde-mangers canadiens. Prise de conscience écologique, contexte inflationniste, les raisons sont multiples.

En cette fin d’été, la mise en conserve bat son plein dans les cuisines de l’Île-du-Prince-Édouard. Les pots de verre de type Mason ou Bernardin s’alignent sur les tablettes des garde-mangers. Légumes, fruits, et même viandes dévoileront leurs saveurs estivales dans quelques mois, au cœur de l’hiver.
«Il n’y a aucune limite, a priori, tous les produits s’y prêtent, tant qu’on respecte un minimum de règles sanitaires, en particulier pour la viande qui est plus difficile à maîtriser en matière de bactéries», explique Alain Girard, sociologue et chercheur à l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec «Dans un environnement sec et noir, avec une température constante, les pots peuvent se garder plusieurs années», ajoute-t-il.
La mise en conserve est au cœur de la tradition culinaire canadienne. Avant l’avènement du système de distribution alimentaire mondialisé et l’arrivée des supermarchés, le cannage était le seul moyen de préserver les aliments pendant les longs hivers rigoureux.
Créer du «lien social»
«On a désormais accès à des aliments des quatre coins du monde toute l’année, mais avant les années 1940, le magasin général vendait uniquement des produits secs. Pour le reste, il fallait se débrouiller, faire pousser ses fruits et légumes», rappelle Alain Girard. À ses yeux, le cannage était aussi une activité de groupe qui permettait de créer du «lien social».
La technique du cannage a été inventée en 1796 par Nicolas Appert. Le Français s’intéresse aux méthodes de conservation et découvre un procédé qu’il appelle «l’art de conserver, pendant plusieurs années, toutes les substances animale et végétale». Il recevra pour sa découverte le titre de bienfaiteur de l’humanité en 1822.
Le séchage, le salage, ou encore le fumage ont également été utilisés pendant des siècles. «L’art de la conservation remonte à la nuit des temps, les chasseurs-cueilleurs fumaient déjà leurs aliments pour en allonger la durée de vie, souligne Alain Girard. Avec l’apparition du sucre et du vinaigre, des barils fermés, puis des pots en verre, le goût s’est amélioré, avec des saveurs plus raffinées.»
«Reprendre le contrôle du système alimentaire»
Aujourd’hui, ces techniques ancestrales reviennent en force, et la mise en conserve n’a jamais été aussi populaire. «Les gens ont réalisé l’importance de manger des produits locaux et l’aberration d’acheter en hiver des fruits et légumes qui viennent de l’autre bout de la planète», considère Alain Girard. «Ils veulent reprendre le contrôle du système alimentaire, ou, du moins, en être moins dépendants, et se réapproprier la richesse agricole et culinaire de leur territoire.»
À cette prise de conscience écologique, s’ajoute le contexte inflationniste actuel selon le sociologue : «L’augmentation sans précédent du prix des denrées contribue sans aucun doute au regain d’intérêt». Dans un climat anxiogène où le réchauffement climatique et la pandémie font la une de l’actualité, la peur de manquer peut aussi jouer chez certains.
Ce goût pour les conserves ne se limite pas aux particuliers, les restaurateurs s’y intéressent de plus en plus. «Ils s’en servent l’hiver pour colorer les assiettes. Ça leur permet d’élargir leurs palettes de saveurs», révèle Alain Girard.
PAR Marine Ernoult
IJL – Réseau.Presse – La Voix acadienne
LA UNE : Photo : Marine Ernoult