Aux Îles-de-la-Madeleine, l’érosion des berges atteint un niveau inégalé. La municipalité s’apprête à adopter un règlement parmi les plus sévères concernant la construction en bord de mer. Dans certains cas, la distance entre une nouvelle construction et la rive pourra atteindre et même dépasser les 50 mètres. Ailleurs, dans les zones plus critiques, des terrains deviendront carrément inconstructibles.
Marie-Frédérique Cummings et Marie-Claude Vigneault sont revenues vivre aux Îles pour acheter le célèbre Café de La Grave, à Havre-Aubert. Une décision audacieuse compte tenu du fait que ce commerce est situé dans l’un des secteurs les plus vulnérables des Îles-de-la-Madeleine.

Il s’agit pourtant aussi d’une décision assumée, disent les deux propriétaires, et ce, même si l’érosion est aux portes du café. Il y a quelques années, les vagues ont même traversé de bord en bord l’établissement.
« C’est quand même une place éphémère les Îles. En plus de s’installer aux Îles c’est un choix fragile, s’acheter une business qui est entourée d’eau des deux bords, c’est triplement risqué. » – Marie-Frédérique Cummings, copropriétaire, Café de La Grave
Une nouvelle ère
La municipalité des Îles s’apprête à adopter un nouveau règlement qui va encadrer la construction en bord de mer. Terminé les constructions qui risquent d’être emportées par la prochaine tempête. Actuellement, la distance minimale entre une nouvelle construction et la ligne des hautes eaux est de 30 mètres. Bientôt, cette marge, dite de recul, pourra atteindre plus de 50 mètres dans certains secteurs.

L’aménagiste de la municipalité, Serge Bourgeois, indique qu’il s’agit d’un règlement extrêmement sévère, mais nécessaire.
« Il y a des gens que leur terrain n’aura plus de valeur, car il sera inconstructible, mais on veut pas placer des gens dans des situations précaires pour qu’ils demandent après ça de l’argent au gouvernement pour les déplacer… » – Serge Bourgeois, aménagiste, municipalité des Îles-de-la-Madeleine
Serge Bourgeois n’est pas du genre à porter des lunettes roses : « Ce serait inconscient de penser que dans 20 ans, maximum 50 ans, le milieu ne sera pas complètement bouleversé ». Il ajoute que les prévisions d’il y a 15 ans sont aujourd’hui dépassées. « À chaque fois qu’on nous présente de nouvelles prévisions, c’est toujours de pire en pire », dit-il. La montée du niveau de la mer, l’augmentation du nombre de tempête et surtout la rareté de la glace en hiver, élément protecteur du littoral, font en sorte que le scénario est « assez pessimiste ».
La sauvegarde de La Grave

Un récent rapport de la firme Ouranos Analyse coûts-avantages des options d’adaptation en zone côtière aux Îles-de-la-Madeleine propose de conserver le site de La Grave intégral. Le rapport suggère de recharger la plage avec du gravier. Si l’on ne protège pas La Grave, coeur touristique des Îles, c’est au moins 40 millions de dollars en retombées économiques qui seront perdus d’ici 50 ans, avancent les économistes d’Ouranos.
Le rapport n’indique pas combien cela coûterait, mais il s’agirait de millions de dollars.
« Le touriste qui n’a pas un environnement adéquat, il n’aura pas envie de venir ici. J’ose espérer que des gens vont vouloir donner de l’amour, du temps et de l’argent pour que les îles continuent d’être attrayantes. » – Marie-Frédérique Cummings, propriétaire, Café de la Grave
Ailleurs, dans certains secteurs entre Cap-aux-Meules et Gros-Cap, le rapport suggère même le déplacement de résidences. Ce serait la solution la moins coûteuse pour lutter contre l’érosion.
Qui va payer ? La question demeure entière. La municipalité n’a pas les reins assez solides et se tourne déjà vers Québec.
« Avant il y avait une forêt au bout du terrain »

« Les vagues étaient d’une hauteur comme j’avais jamais vu ici là, on peut dire que c’était comme effrayant. » – Rose-May Leblanc, riveraine, Gros-Cap
La Madelinienne se souvient, sourire en coin, des années 40, où derrière son terrain, là où aujourd’hui, la mer vient lécher les derniers arbustes qui la séparent du sable, il y avait une forêt. On y trouvait même des animaux en pâturage et une grange.
« Le bâtiment avait 30 pieds de longueur et au bout, il y avait encore 20 pieds avant la mer, en 50 ans tout cela avait disparu » se rappelle madame Leblanc.
Un texte de Michel-Félix Tremblay