20/12/1963 : Naufrage du Corfu Islands à l’Étang-du-Nord.
Dossier spécial tiré du Magazine LES ÎLES – Automne 2014
Le cœur se souvient toujours des histoires oubliées
GEORGES GAUDET – Collaboration spéciale
Parti de Wismar en Allemagne de l’Est, le Corfu Island a quitté le port de cette ville, les cales vides, afin de traverser l’océan dans le but de cueillir un voyage de blé en partance de Montréal. C’était en décembre 1963 et aucun marin au monde n’aime traverser l’Atlantique Nord en cette période de l’année, particulièrement sans rien dans les cales. Ceci n’empêcha pas vingt-sept marins, tous d’origine grecque, de s’embarquer pour ce qui allait être un voyage dont ils allaient se souvenir toute leur vie.
Une fois la traversée qui fut passablement houleuse, le Corfu navigue alors en pleine tempête entre les Îles de la Madeleine et l’Île d’Anticosti. Voulant accélérer la cadence afin d’atteindre un abri non loin de cette grande île, le capitaine Peter Paschalis demande d’alourdir le navire en emplissant les ballasts de 3000 tonnes additionnelles d’eau de mer. Le chef ingénieur n’est pas d’accord. Il craint une infiltration dans les cales et surtout le gel dans les conduites des pompes qui servent aussi à l’alimentation de l’unique chaudière à vapeur. De plus, l’humidité des cales pourrait compromettre le transport du blé, ce genre de cargaison nécessitant un transport à sec afin de minimiser les pertes par moisissures. Malgré ces arguments, le capitaine ordonne le remplissage des ballasts et ce qui devait arriver arriva. Après l’embarquement d’environ 1500 tonnes d’eau, les conduites gèlent massivement et les conduites de vapeur éclatent avec de forts dommages à la chaudière. De là, le navire dérive vers la sortie du golfe Saint-Laurent. Malgré tout, l’équipage réussit à rafistoler les dégâts et on redémarre le moteur. Peine perdue toutefois, puisque le tout s’arrête quelques heures plus tard et là, il n’y a plus rien à faire. Peu à peu, la panique s’installe à bord, particulièrement au sein des matelots. Le Corfu est ainsi à la dérive, sans aucun moyen de propulsion, sans chauffage, sans électricité, quelque part au large des Îles de la Madeleine. Sans radar et uniquement doté d’un RDF (Radio Direction Finder), l’opérateur-radio Frixos Sekkides estime la position du navire à environ 10 milles nautiques au large du Rocher-aux-Oiseaux. Heureusement, sa radio fonctionne par alimentation électrique mue par manivelle et il ne lui reste plus qu’à lancer au hasard des navires à l’écoute, un message de détresse.
Aux Îles
La station « Marconi » dont les antennes sont situées sur la plus haute butte de Cap-aux-Meules enregistre des vents de 90 mph (145 km/h). Il fait tempête depuis plus de 24 heures et Chester Turnbull, le jeune opérateur-radio de l’époque doit monter à pied la route qui mène à la station afin de remplacer son confrère. Ce dernier habitant le bas de la côte peut retourner chez lui en se laissant pratiquement glisser jusqu’à sa demeure. Chester s’installe donc à son poste et prend connaissance du message déjà reçu et qui se lit comme suit : « Have sent out distress call – stop. Engine breakdown – drifting towards Magdalen Island – Gulf of St-Lawrence. Requested immediate assistance – Waiting. Signed : Paschalis. » Traduction : « Ceci est un envoi de signal de détresse – stop – Moteur arrêté – dérivons vers les Îles de la Madeleine – Golfe Saint-Laurent. Demandons assistance immédiate – Signé : Paschalis. »
Voulant répondre à ce message de détresse, l’opérateur-radio réalise tout comme son confrère, que la réception est bonne, mais que l’émission d’une réponse ne fonctionne pas. C’est alors que regardant par la fenêtre, à travers le blizzard, il réalise que le vent a jeté à terre les trois antennes émettrices. Il faut donc agir vite et tenter de rassurer cet équipage tout en déclenchant les procédures usuelles d’alertes en pareille situation. Il y a effectivement danger de mort d’hommes. Pas question de baisser les bras et Chester Turnbull décide donc de ramasser tous les bouts de fils disponibles dans le local de transmission et fabriquer une antenne de fortune avec les moyens du bord. Une soixantaine de pieds de fils passés ici et là par tous les appartements et isolés au moyen de bouteilles d’eau gazeuse trouvées dans les poubelles finissent par donner des résultats. Une fois la transmission rétablie, un dialogue s’amorce entre les deux opérateurs radio par code morse. Essentiellement, il s’agit de soutenir le moral de l’équipage par une série de courts messages indiquant que quelqu’un connaissait maintenant leur situation et allait tout faire pour les aider. Après l’exécution du protocole habituel, Chester Turnbull décide d’appeler des gens habitant la rive nord des Îles, de la Pointe-aux-Loups jusqu’à L’Étang-du-Nord et leur suggère par voie téléphonique d’appeler tous leurs voisins et amis afin qu’ils allument le maximum de lumières en dehors de leur maison. Malgré le blizzard continu, on espère que l’équipage du Corfu percevra en cette action, un message d’espoir. C’est ainsi que des dizaines de petites ampoules électriques de 60 et 100 watts s’allumèrent pendant la nuit du 19 au 20 décembre 1963 le long de la rive-nord des Îles de la Madeleine.
À bord du Corfu
L’angoisse est palpable à bord et des marins sont au bord de la panique. C’est de peine et de misère que les officiers réussissent à convaincre les matelots voulant mettre une chaloupe à la mer de ne pas passer à l’acte. Ce geste eût été fatal. Le capitaine demande donc à tous d’être aux aguets afin de percevoir une terre quelque part. C’est là que, peu de temps après le geste de Chester Turnbul, le plus jeune des matelots aperçoit à travers le blizzard une lumière dans la nuit, puis deux, puis quelques-unes encore. Ils devaient être très proches de la côte à ce moment-là et risquaient de s’écraser dans les caps et falaises du nord de l’archipel. Toutefois, cet évènement remonte le moral à bord. Désormais, des gens connaissaient leur sort et allaient tenter de les aider. Le navire dérive donc ainsi toute la nuit et avant le lever du jour, la direction des vents change et en peu de temps, le navire frappe brutalement le fond et s’immobilise avec une gîte sur bâbord d’environ 15 degrés. Ils sont enfin échoués et à ce qu’il semble, cela pourrait être une plage et non des récifs. La mer est déchaînée et des vagues d’une quinzaine de pieds frappent le côté tribord de la coque et éclate en milliers de gouttelettes glacées par-dessus le pont. Heureusement du côté tribord, le bateau faisant écran, c’est un peu plus calme. Toutefois, le froid transperce les vêtements et la plupart des marins n’ont aucun gilet ou autres couvertures pouvant les protéger de ce froid glacial. Certains sont au bord de l’hypothermie et ils se chauffent tant bien que mal en versant de l’huile lourde dans des plats et en y mettant le feu. Malgré cela, huit marins décident en catimini de lancer une chaloupe à la mer. Tout est gelé et la chaloupe glisse sur ses bossoirs pour aller s’écraser sur le pont. Il n’en reste plus qu’une et c’est au prix d’efforts surhumains et à l’encontre des ordres du capitaine qu’ils réussissent à mettre cette dernière à la mer et filer vers la côte. Entre chaque éclaircie, les matelots demeurés sur leur navire perçoivent des gens sur le bord de la rive, à environ 700 pieds de leur position et réalisent que leurs confrères ont réussi leur pari. Cependant, il ne reste plus de chaloupe et ils sont dix-neuf hommes toujours en détresse. Le soleil perce quelques fois les nuages à la barre du jour. Les vents ne tarissent pas et le blizzard demeure toujours aussi violent. Il est très difficile de séparer visuellement la mer de la côte. Tout est blanc et froid. C’est à ce moment-là qu’un marin trouve une vieille fusée munie d’un filin métallique. Il s’agit de ces fusées utilisées pendant la guerre alors qu’un navire devait être remorqué. On lançait la fusée au dessus du remorqueur pour que le filin tombe sur le pont de ce dernier ou l’inverse. De là, on y attachait un câble solide afin de tirer le bateau vers la terre ferme. Personne ne sait comment cela fonctionne et malgré cette méconnaissance de ce genre de projectile, la fusée est quand même lancée. Elle passe au dessus de la tête des gens sur la côte pour aller se loger à une centaine de pieds derrière un buttereau de sable enneigé. Une autoneige est rendue sur place et on décide d’attacher le câble qui a suivi sur cette dernière. Un lien, même ténu, est alors établi entre ce navire en perdition et les gens à terre qui veulent aider ces marins dont la condition est plus que précaire.
Sur la plage non loin de là
Vers les 5 heures du matin, Fernand Lapierre appelle Michel Boudreau pour l’informer de ce qu’il pense être une catastrophe maritime. De même que ses voisins Guy Aucoin, Augustin Aucoin et Alphonse Renaud qui avaient vu le navire contourner l’Île aux goélands au lever du jour, ils sont tous convaincus qu’il s’agit d’aller y ramasser des cadavres. D’autres arrivent en même temps sur les lieux et constatent l’ampleur de la tâche qui les attend. Dès leur arrivée, ils remarquent qu’une chaloupe est descendue à mi-hauteur des flancs du navire. Une fois sur l’eau, les naufragés approchent de la côte. Un des marins est tellement content d’arriver en lieu sûr qu’il se jette à l’eau avant de toucher terre. S’enfonçant sous l’eau, un confrère saute lui aussi dans la mer glacée pour tenter de le sauver. C’est au prix de grands efforts que les Madelinots sur place réussissent à rescaper ces deux désespérés. Ils sont immédiatement embarqués en autoneige et dirigés vers le centre hospitalier. Les six autres marins sont transportés vers une maison non loin des lieux, précisément chez monsieur Albert Gaudet.
Il reste alors 19 hommes toujours en perdition et il faut aller les chercher. On tente de remettre à l’eau la grosse chaloupe échouée sur la rive. Elle est malheureusement trop lourde et pleine d’eau. De plus, aucun espoir de voir d’autres marins arriver dans une autre embarcation puisqu’il n’y en a plus à bord du Corfu. C’est alors que Guy Aucoin et Michel Cormier ont l’idée d’aller chercher un doris non loin de là. Ils le placent sur un traîneau et le tirent vers le lieu du naufrage à l’aide d’une autoneige en plus de deux gaines de 100 brasses de cordage, soit
1200 pieds de corde. On s’active maintenant sur la plage et on décide au moyen du doris de filer sur le cordage tendu entre le bastingage du navire et l’autoneige stationnée là où la fusée s’est fichée plus tôt. Trois jeunes hommes montent alors dans le doris et tentent de rejoindre le bateau dans des vagues de plus de cinq pieds de hauteur. Le premier à gravir l’échelle de cordage d’une quarantaine de pieds serait Fernand Lapierre. Une marche de bois est manquante en plein milieu de la montée et malgré tout, deux des trois hommes réussissent à monter à bord au grand soulagement de tous, l’autre demeurant en bas dans le doris. Les marins en perdition sautent de joie, mais refusent de descendre tellement ils sont paniqués par la hauteur de l’échelle. Les Madelinots remarquent qu’ils sont pauvrement vêtus et que le chauffage à bord est inexistant. Ils réussissent à les convaincre qu’ils seront mieux à terre que dans les conditions prévalant à bord et ensemble, ils établissent un plan. C’est en passant une corde sous les bras de chacun qu’ils descendent ainsi tout le monde jusqu’au doris qui tangue violemment au bout de la corde qui le retient à quelques centimètres de l’immense coque du navire. C’est ainsi qu’à 5 personnes par voyages incluant les sauveteurs, ils réussissent à descendre à terre tout l’équipage. On ne connaît pas le dernier homme qui descendit sans aucun support assuré en cas de chute. Une fois sur la plage, on les dirige immédiatement vers le collège Saint-Pierre de La Vernière, le dortoir étant libre, car ce sont les vacances de Noël. Pendant ce temps, les rescapés ayant été amenés chez Albert Gaudet semblent réaliser pour la première fois qu’ils sont sains et saufs. Ils se regardent dans un miroir, se pincent, s’embrassent, rient et pleurent. Pas besoin de connaître la langue grecque pour être touché devant une scène aussi émouvante. Une fois tous les membres rassemblés au collège, ils repartiront deux jours plus tard vers l’Angleterre. Les Fêtes de Noël étant terminées, ce même équipage montera sur un autre navire de la même compagnie en mer du Nord. En cette époque, il semble que c’était la façon traditionnelle de traiter les chocs post-traumatiques.
44 ans plus tard
Nous sommes en septembre 2007. Un homme descend de l’avion à l’aéroport de Havre-aux-Maisons. Il dit s’appeler Frixos Sekkides et être un des naufragés du Corfu Island. Cheveux blancs, âgé de 77 ans, il souhaite rencontrer l’opérateur radio des Îles si ce dernier est encore vivant. Aussi souhaite-t-il dire merci à ceux qui lui ont sauvé la vie de même qu’à tous ses compagnons d’équipage en ce triste jour du 20 décembre 1963. Chypriote Grec et opérateur-radio lui-même, c’est après avoir émigré en Angleterre qu’il entra dans la marine marchande du Royaume-Uni et devint officier sur les navires de la compagnie propriétaire du Corfu, ce qui explique sa connaissance de la langue anglaise. Voulant mettre fin à une aventure ayant marqué sa vie de marin plus d’une quarantaine d’années auparavant, il souhaite coller à ses souvenirs un peu plus que du blizzard, de la neige, du froid et de la peur. À sa grande surprise, il découvre en ce début d’automne, un pays unique dont il tombe amoureux. Il rencontre alors plusieurs de ses sauveteurs, se lie d’amitié avec beaucoup d’entre eux et depuis ce temps, revient aux Îles de la Madeleine chaque année en septembre. Malheureusement, sa santé étant en déclin, c’est avec regrets qu’il a informé ses amis madelinots qu’il ne pourra venir aux Îles en 2014.
En 2008, au cours d’une réunion entre amis, il livre le témoignage suivant dont voici le texte intégral. « Ce n’était pas simplement de l’aide. Vous avez risqué vos vies pour nous sauver. Ce fut une réussite, car tous furent sauvés. Je me suis fait une promesse l’an dernier qui était de venir vous visiter. Je voulais venir et simplement vous dire merci. Cette amitié demeure présente avec plusieurs d’entre vous et chaque fois que je reviens, je rencontre plus de gens, plus d’amis. En Angleterre, à Londres où j’habite, où je travaille, à la banque où je vais, tous savent maintenant où se trouvent les Îles de la Madeleine. »
Corfu Island (Le navire)
Construit au Canada en novembre 1943 au North Vancouver Ship Repairs Ltd., à Vancouver Nord, il est du nombre de ces navires surnommés les « Liberty ships » ou « Bateaux de la liberté ». Premiers navires construits par plaques métalliques soudées et assemblées à la façon dont on assemble les voitures même aujourd’hui, leur construction débuta en 1942 alors que les sous-marins allemands, les U-Boats, avaient fait un réel massacre en coulant la plus grande partie des navires marchands alliés dans les eaux de l’Atlantique. Il fallait donc construire des navires en plus grand nombre que la capacité de destruction des sous-marins Allemands. Le temps de construction moyen était de 30 jours alors que quelques-uns furent construits en 21 jours. Le record de construction, essentiellement pour propagande de guerre, fut réalisé en 7 jours seulement. À peu de choses près, ces navires étaient tous semblables en 1943 et mesuraient 441 pi 6 po (134,5 m) de longueur hors tout et 57pi 2 po (17,5 m) de largeur. La cabine centrale reposait au-dessus de la salle des machines. Essentiellement il s’agissait d’un seul moteur dont la chaudière à vapeur était maintenue en pression par brûleurs à l’huile alors que cette vapeur pressurisée était par la suite poussée sur les pistons du moteur qui à leur tour, entraînaient une hélice unique. À l’état neuf, ces unités navales pouvaient maintenir une vitesse moyenne de 9 nœuds (11 mph – 17,7 km/h). Dotés de 3 cales à l’avant d’une profondeur variant de 20 pieds à 50 pieds et de deux cales identiques à l’arrière, ces cargos déplaçaient 4313 tonnes à vide et pouvaient emporter 10,000 tonnes de matériel militaire indispensable aux combattants en Europe et en mer du Nord. Proies faciles pour les U-Boats, c’est en immenses convois escortés par des navires de guerre alliés qu’ils traversaient l’Atlantique afin de fournir en munitions, chars et canons, pièces d’avions et autres nécessités les forces Alliées sur les différents fronts de cette guerre mondiale. Considérés comme des navires marchands par les Alliés en vertu de la convention de Genève, mêmes que les marins naviguant sur ces bateaux n’étaient pas considérés comme des militaires, les Allemands ne l’entendaient pas ainsi. Sous le prétexte qu’ils étaient habituellement armés de deux canons défensifs, l’un à l’avant et l’autre à l’arrière, ils firent fi de la convention de Genève signée par les deux parties en 1929. Les pertes en vies humaines et en tonnage coulé furent catastrophiques, particulièrement en 1942. Le taux de mortalité à la fin de la guerre fut le plus élevé ex-equo avec les mitrailleurs de queue sur les bombardiers B-17 au dessus de l’Allemagne, soit une perte de vie pour huit hommes engagés. Le gouvernement canadien ne reconnut le sacrifice de ces hommes qu’au début du 21e siècle et dédommagea partiellement les quelques survivants qui étaient toujours en vie.
Construit en 1943, le Corfu Island survécut au massacre alors qu’il ne portait pas ce nom. Nommé une première fois FORTH SALEESH, il était la propriété de D.O.C.; Evan Thomas Radcliffe & Co. D’ailleurs, à la fin des hostilités, un nombre incalculable de ces navires demeuraient « sur les bras » de l’amirauté puisque plus de 2700 furent construits aux É.-U. et près de 300 au Canada. C’est ainsi que le Forth Saleesh fut vendu en 1946 à la Constantine Line de Montréal et rebaptisé ARGOMONT. En 1949, on le dit vendu à des intérêts panaméens et baptisé à nouveau CORFU ISLAND. Bien que naviguant sous pavillon panaméen, il fut acquis par l’armateur Grecque J.V.Thrasivoulos Boyagides pour dit-on environ 55,000. $. Après le naufrage, les assurances auraient versé à cet armateur une somme d’environ 212,000 « pounds » soit un peu plus de 400,000. $ en valeur d’aujourd’hui.
En 1966, une compagnie du Québec a acquis le contrat de démolition de la carcasse du Corfu pour envoi à la ferraille. L’exécution du contrat ne fut pas aussi facile que prévue. Le sable s’étant accumulé autour de la coque, on creusa d’abord un immense canal autour de l’épave et puis un chenal en oblique vers la dune. L’idée était de pivoter les restes du Corfu au moyen de deux puissants bulldozers et ensuite le tirer à l’intérieur des butteraux afin de procéder plus facilement à la démolition. La manœuvre ne fut réussie qu’en partie, la coque refusant de glisser plus loin que la moitié de sa propre longueur après avoir pivoté d’à peine un quart de tour. On procéda quand même au découpage de l’épave, mais le tout s’arrêta à la ligne d’enfoncement dans le sable. C’est ainsi qu’environ une dizaine de pieds et peut-être même plus des restes de ce navire demeurent toujours enfouis dans la dune désormais appelée « La plage du Corfu. » Récemment, après avoir découvert des écoulements pétroliers autour de cette coque, il y a fort à parier que ce sont les cavités appelées « ballasts » habituellement remplis d’huile lourde qui sont la cause de ces écoulements. Plus de cinquante années plus tard, le CORFU ISLAND fait encore parler de lui et pas toujours en bien. Toutefois, au-delà de cette vieille carcasse rouillée et possiblement porteuse de mazout, il ne faudrait pas oublier le courage, l’ingéniosité et la résilience de tous ces jeunes hommes qui au moment du naufrage, ont fait que 27 vies humaines furent épargnées.
Anecdotes
Le jour du naufrage, le Corfu était immatriculé à Berouth au Liban, la guerre et les pavillons de complaisance en étant les raisons. Enregistré sous pavillon panaméen depuis nombre d’années, l’équipage reçut en plein milieu de l’Atlantique l’ordre de raturer le mot « Panama » sur la poupe du bateau et le changer pour « Beyrouth » en plus d’y apposer le drapeau du Liban à l’arrière comme l’exige le droit international. Naviguant alors en direction du canal de Panama, la raison en était simple. Afin d’éviter de payer des droits de passages supplémentaires dans le fameux canal du même nom, l’armateur avait réussi par un tour de passe-passe à officialiser le nom de son bâtiment dans un autre pays. Cependant, il n’existait aucun drapeau du Liban à bord et pire, personne ne connaissait ce genre de drapeau. C’est donc avec l’aide d’un vieux dictionnaire qu’un officier trouva ce à quoi ressemblait le drapeau du pays portant un cèdre comme emblème. Par la suite, on choisit en plein milieu de l’océan le meilleur illustrateur de l’équipage et d’autres matelots peignirent un semblant de porte-étendard libanais sur un reste de vieille toile puis on le déploya sur l’arrière du navire. La manœuvre réussit puisque les autorités douanières panaméennes n’y virent que du feu.
Dernière citation de l’opérateur radio Frixos Sekkides. Alors qu’on lui demanda quelle avait été sa dernière pensée à l’égard du Corfu Island quand dans le doris, ses sauveteurs l’amenaient en lieu sûr, il répondit ceci : je me suis retourné vers ce vaillant navire échoué pour une dernière fois et je me suis dit : « Il est comme ce saumon qui remonte la rivière de sa naissance pour venir y mourir. Il est né au Canada et, vingt ans plus tard, il est venu mourir au Canada en nous sauvant tous la vie. »