Flétan du Groenland : le mystère plane, même au MPO

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Les pêcheurs de flétan du Groenland cherchent la ressource sans la trouver. La situation étonne au ministère des Pêches et des Océans (MPO), où l’évaluation de la ressource effectuée l’hiver dernier ne permettait pas d’anticiper la faiblesse des débarquements de la saison.

vraiment une saison qui est atypique actuellement. Si on compare à l'année passée, on a, à pareille date, six fois moins de débarquement que l'année passée ","text":"Je ne vous cacherai pas qu’on est quand même préoccupés. C'est vraiment une saison qui est atypique actuellement. Si on compare à l'année passée, on a, à pareille date, six fois moins de débarquement que l'année passée "}}">Je ne vous cacherai pas qu’on est quand même préoccupés. C’est vraiment une saison qui est atypique actuellement. Si on compare à l’année passée, on a, à pareille date, six fois moins de débarquements que l’année passée , commente Steve Trottier, agent régional principal à la gestion des pêches pour le MPO.

Même son de cloche du côté des sciences. On ne s’attendait pas à une explosion des débarquements, mais on s’attendait quand même à quelque chose d’assez bien , souligne Hugues Benoît, chercheur scientifique pour le ministère à l’Institut Maurice-Lamontagne.

Selon les derniers relevés, soit l’échantillonnage effectué par le ministère en 2022, la biomasse du flétan du Groenland, qu’on appelle plus communément turbot, a été évaluée à 33 000 tonnes.

Pour Pêches et Océans, l’évaluation du potentiel d’exploitation du stock était alors en zone de prudence, sous la barre de la zone saine. Mais dans la partie supérieure de la zone de prudence, précise Hugues Benoît, c’est un stock pour lequel on observe des déclins progressifs depuis une dizaine d’années à peu près, mais qui était dans la zone saine jusqu’à tout récemment.

C’est ce constat qui a été présenté aux pêcheurs en février dernier. Il n’y avait donc pas lieu de s’inquiéter.

Des poissons affamés?

L’été dernier, un élément a toutefois attiré l’attention des chercheurs. Dans les relevés, les turbots étaient plutôt maigres.

cm, étaient ce qu’on appelle en faible condition. La condition, c'est comme l'indice de masse corporelle. Cette condition était la plus faible depuis 1990 ","text":"Les turbots de plusieurs tailles, généralement à partir de 20cm, étaient ce qu’on appelle en faible condition. La condition, c'est comme l'indice de masse corporelle. Cette condition était la plus faible depuis 1990 "}}">Les turbots de plusieurs tailles, généralement à partir de 20 cm, étaient ce qu’on appelle en faible condition. La condition, c’est comme l’indice de masse corporelle. Cette condition était la plus faible depuis 1990, rapporte Hugues Benoît.

L’analyse des estomacs de certains poissons a permis de confirmer une carence en nourriture. Cet indice, lui aussi, était à son plus faible, rapporte le chercheur.

Capture d’écran, le 2023-07-18 à 18.43.15

Les scientifiques savent déjà que le gros turbot est un prédateur de la crevette nordique qui, elle aussi, est en déclin.

L’autre proie privilégiée par le turbot est le capelan. Les informations scientifiques sur cette espèce sont moins précises, selon M. Benoît, mais certains indicateurs laissent croire que cette année, le capelan serait moins abondant dans le golfe.

La présence du sébaste, dont la population prend de plus en plus d’ampleur dans le golfe, est aussi un facteur qui pourrait influer sur l’alimentation du turbot puisque les deux espèces aiment les mêmes proies.

Capture d’écran, le 2023-07-18 à 18.43.29

La recherche a démontré que les cohortes de turbot qui ont grandi en même temps que les petits sébastes ont eu une croissance plus lente. Hugues Benoît ajoute que le turbot va toutefois manger les proies qui sont disponibles et qu’il ne faudrait pas surinterpréter des données préliminaires.

D’après le chercheur, il est encore trop tôt pour évaluer l’impact du manque de nourriture sur la croissance du turbot ou sur son taux de survie.

De l’eau plus chaude

Hugues Benoît rappelle que l’espèce est dans le Saint-Laurent à la limite sud de sa distribution.

Le turbot est une espèce d’eau froide. La tendance des changements en cours dans le Saint-Laurent est défavorable pour l’espèce. Ces tendances ont-elles atteint un point où elles sont devenues, cette saison, nettement pénalisantes? Il est aussi trop tôt pour le savoir.

Les scientifiques notent par contre que le poisson ne se déplace pas beaucoup. Ce qu’on observe, indique le biologiste, c’est que oui, il y a des changements de distribution, mais curieusement, le turbot, malgré les réchauffements se trouve toujours à peu près aux mêmes profondeurs où les températures qu’on mesure sont en augmentation et le taux d’oxygène est en diminution.

L’hypothèse qui pourrait expliquer cette constance dans la distribution est plutôt pessimiste. Ça peut aussi être lié au fait que la population diminue, souligne M. Benoît. Chez les poissons, ce qu’on voit généralement c’est une expansion quand l’abondance augmente, puis un rétrécissement quand elle diminue.

Le chercheur ajoute que la pêche n’est sans doute pas le meilleur moyen de dresser un portrait d’ensemble de la distribution de la ressource. Les pêcheurs vont aux mêmes endroits et n’ont aucun sondeur pour détecter le poisson.

Il croit que les relevés scientifiques du ministère sur l’ensemble du golfe avec des échantillons comparables d’une année à l’autre offrent un meilleur portrait. Les prochains seront effectués dans quelques semaines et permettront, dit-il, d’en savoir plus.

La pêche sentinelle aux engins mobiles qui se déroule actuellement devrait aussi apporter quelques réponses.

Bien calculer les prises

Steve Trottier confirme que la situation est aussi suivie avec attention par la gestion des pêches du MPOOn suspecte que d’ordre général, dit-il, il y a quand même une mortalité qui se fait dans la pêche commerciale qui ne serait peut-être pas bien comptabilisée.

Un projet a été lancé l’année dernière pour évaluer cette mortalité. Ottawa souhaite notamment analyser plus finement les prises qui pourraient s’échapper du filet maillant. Il y a vraiment un intérêt d’avoir davantage de connaissances pour mieux comprendre ces dynamiques, puis peut-être adapter des mesures de gestion qui pourraient être plus cohérentes avec les changements qu’on voit actuellement dans le Saint-Laurent, indique M. Trottier.

Il observe cependant que si les débarquements sont moins nombreux au fil des ans, c’est aussi attribuable à un effort de pêche qui est moins important. Plusieurs pêcheurs qui possèdent des permis pour d’autres espèces vont retarder leur départ pour le turbot ou simplement choisir de ne pas faire de voyage de pêche pour cette espèce.

Des rencontres sont prévues cet été avec la flottille pour suivre l’évolution de la situation. Comme les pêcheurs, le gestionnaire du MPO note que la saison est loin d’être terminée et que la pêche automnale est souvent meilleure.

Une pêche d’essai

Pour mieux comprendre ce qui se passe, le ministère a autorisé un pêcheur à effectuer cette semaine une pêche d’essais dans l’estuaire, plus précisément à partir de Grand-Métis vers l’ouest.

La zone a été fermée en 2021 en raison du trop grand nombre de poissons de petite taille.

Cette décision a été prise, il y a une dizaine de jours, à la suite d’une rencontre avec les pêcheurs. On risque d’avoir des informations vers la fin de la semaine , indique Steve Trottier.

Capture d’écran, le 2023-07-18 à 18.43.47

Le pêcheur, qui a entamé sa pêche d’essai vendredi dernier, devrait couvrir l’entièreté de la zone avec des mouillages à différents endroits.

La pêche s’effectue avec un observateur en mer qui note la taille des poissons. La zone demeurera fermée si les turbots trop petits pour être pêchés sont encore trop nombreux. Si moins de 15 % de poissons de petite taille sont observés, la zone pourra rouvrir.

Ce grand nombre de petits poissons, nés pour la plupart en 2017 ou 2018, aurait dû être une bonne nouvelle pour la pêche, mais la croissance des poissons semble plus lente que prévu.

À 37 ou 38 cm, ces petits poissons étaient l’an dernier juste en dessous de la taille commerciale de 44 cm.

Hugues Benoît ajoute que même si beaucoup de petits auront bientôt atteint la taille commerciale, les gros flétans se font déjà, eux, de plus en plus rares.

LA UNE : Selon les derniers relevés, soit l’échantillonnage effectué par le ministère en 2022, rien ne laissait présager un début de saison avec seulement le sixième de ce qui se débarque normalement. (Photo d’archives). PHOTO : RADIO-CANADA

PAR Joane Bérubé