Les mots et les maux de la pêche en 2023

Publicité

Articles similaires

Le cul pointu, une chanson au refrain obsédant pour le bateau madelinot

Toc-o-toc, pic-é-pac, pic-é-pac, et toc-o-toc... Un refrain qui évoque...

L’intelligence artificielle au secours des poissons

LE TÉLÉJOURNAL ACADIE L'entreprise néo-écossaise Innovasea annonce avoir mis au...

Le récit d’une infirmière auxiliaire des Îles-de-la-Madeleine

Au Québec, 30 000 personnes ont choisi cette profession....

L’année 2023 fut difficile à bien des égards pour les pêcheries québécoises, marquées par le déclin de la crevette et du turbot, l’abondance d’autres espèces et les caprices des marchés internationaux.

Le golfe est en mutation avec des gagnants et des perdants. Si le homard n’a jamais été aussi abondant, le turbot n’a jamais été aussi rare et le prix du crabe des neiges, jamais aussi décevant.

L’année 2023 est le reflet de ce déséquilibre vécu autant sur le pont des bateaux que dans les entrepôts frigorifiques des usines. Selon les données préliminaires, la valeur au débarquement des produits marins en 2023 a été en baisse de 8 % comparativement à la moyenne des 5 dernières années pour atteindre 352 millions de dollars.

Petit lexique d’une année marquée par des hauts et des bas tant dans la capture que dans la transformation.

Dominant

Le homard est sans conteste devenu le roi de la pêche au Québec.

C’est encore plus vrai aux Îles-de-la-Madeleine, où il a généré la part du lion, c’est-à-dire 87 % des 134 millions de dollars de la valeur estimée des débarquements. Avec près 7000 tonnes, le homard représente 66 % des ressources marines ramenées à quai aux Îles en 2023.

Les espèces de remplacement du homard sont peu nombreuses et comme la ressource va bien, son importance dans les pêcheries madeliniennes est en croissance. Une bonne année pour Fruits de mer Madeleine, résume le président du conseil d’administration, Eudore Aucoin.

Certains s’en inquiètent. Dans les années passées, on pêchait six mois par année, on était des pêcheurs de poissons de fond, de pélagiques et de homard. Il y a eu le moratoire sur la morue. Je pars de loin, mais là, on n’a plus de pélagique, il nous reste juste le homard, commente Mario Déraspe, président de l’Association des pêcheurs propriétaires des Îles-de-la-Madeleine (APPIM).

Homard des îles de la Madeleine

Des homards pêchés aux Îles de la Madeleine (Photo d’archives). PHOTO : RADIO-CANADA / PHILIPPE GRENIER

C’est l’espèce qui tient l’économie des Îles. C’est une ressource à laquelle il faut faire attention si on veut garder notre relève, constate quant à lui Charles Poirier, président du Rassemblement des pêcheurs et pêcheuses des côtes des Îles (RPPCI).

Un peu plus de la moitié du homard pêché au Québec provient de l’archipel. La Gaspésie et la Côte-Nord ne sont pas en reste puisque le homard y est de plus en plus abondant.

La saison a d’ailleurs été exceptionnelle en Gaspésie. Selon les relevés préliminaires, les homardiers gaspésiens ont débarqué près de 4900 tonnes, ce qui constitue une année record.

La grande quantité de homard sur le marché vient compenser ce qui ne se pêche plus sur les côtes de la Nouvelle-Angleterre, observe le président de l’Association de l’industrie québécoise de la pêche (AQIP), Bill Sheehan.

La présence en quantité de homard dans le golfe est une conséquence du réchauffement de l’eau. L’exemple de la Nouvelle-Angleterre, où le célèbre crustacé se fait plus rare en raison d’une eau devenue trop chaude, illustre bien les mutations en cours dans le monde marin.

Dans l’ensemble du Québec, le volume total de homard capturé a triplé en 10 ans, passant de 4287 tonnes en 2013 à 13 791 tonnes.

Depuis la pandémie, les prix au débarquement sont restés élevés. En moyenne, les pêcheurs ont vendu leur homard à 7,66 $ la livre aux Îles et à un prix presque semblable en Gaspésie.

Crash

Crash est mot qui représentait bien 2022, mais qui a continué de hanter les industriels et les crabiers en 2023.

C’est d’ailleurs le mot qu’utilise le président de l’AQIP et vice-président de E. Gagnon et Fils, Bill Sheehan, pour qualifier la dramatique chute de60 % du prix du crabe des neiges.

L’année 2023 en est demeurée une difficile. L’effondrement du marché fait toujours mal aux transformateurs. Le volume était là, mais pas les prix, résume M. Sheehan. Les industriels ont de plus entamé 2023 avec des invendus de 2021 encore dans les entrepôts.

Des caisses de pattes de crabe des neiges en attente de cuisson.

Des travailleuses et des travailleurs à l’œuvre dans une usine qui transforme le crabe des neiges. (Photo d’archives). PHOTO : RADIO-CANADA / MICHÈLE BRIDEAU

Les stocks ont été écoulés, mais en deçà du prix attendu. D’ailleurs, la baisse de la valeur des débarquements cette année est due à cette dégringolade des prix du crabe des neiges.

Les crabiers ont pu se rattraper sur la quantité, mais leurs revenus ont été presque divisés par deux. En tant que pêcheur, ce n’est pas du tout les mêmes revenus, mais pour nous, c’est clair, on devait aller le chercher, estime le président de Fruits de mer Madeleine et pêcheur de crabe, Eudore Aucoin.

Les stocks seraient maintenant plus bas qu’au début de 2023, mais les prix ne semblent pas vouloir remonter. Il est encore trop tôt pour dire ce que ça va être au printemps, mais je vous avoue que c’est un peu inquiétant, commente M. Aucoin.

Comme l’abondance de la ressource est cyclique, les quotas pourraient être en diminution l’an prochain. Les données préliminaires seront connues à la fin janvier.

Surprise (mauvaise)

Le turbot tant attendu n’est jamais venu. La représentante des engins fixes à l’Association des capitaines-propriétaires de la Gaspésie (ACPG), Samantha Bois Roy, parle d’une saison insatisfaisante. Les taux de capture ont été plus que décevants. À peine 7,5 % du quota autorisé a pu être pêché.

Pourtant, rappelle Samantha Bois Roy, la cohorte de 2018 aurait dû être prête pour la pêche. cohorte a comme disparu. ","text":"On se fiait sur cette cohorte pour avoir quelques bonnes années devant nous. Cette cohorte a comme disparu. "}}">On se fiait sur cette cohorte pour avoir quelques bonnes années devant nous. Cette cohorte a comme disparu.

Samantha Bois Roy tempère cette disparition en rappelant que plusieurs zones de pêche au turbot ont été fermées au cours des années et que l’inflation a aussi joué. Les pêcheurs ne veulent pas aller trop loin pour minimiser les dépenses reliées au coût d’exploitation, c’est ce qui fait qu’on n’a pas grand territoire à couvrir.

Constatant la rareté de la ressource, plusieurs pêcheurs se sont aussi tournés vers des espèces plus abondantes et plus rentables à pêcher, notamment le flétan de l’Atlantique. Pour les industriels qui s’étaient préparés à une saison semblable aux autres, la saison fut carrément désastreuse.

Dans une usine de transformation de poisson, des employés au travail en combinaison spéciale.

La direction de l’usine de transformation de Cusimer, à Mont-Louis, a inventé du travail pour garantir à ses employés les heures requises pour avoir accès à l’assurance-emploi. (Photo d’archives). PHOTO : RADIO-CANADA / JEAN-FRANÇOIS DESCHÊNES

C’est le qualificatif pour 2023 que retient Olivier Dupuis, directeur général de Pêcheries Gaspésiennes et représentant des transformateurs gaspésiens de poissons de fond à l’AQIP.

En 2022, l’usine de Rivière-au-Renard avait transformé 600 000 livres de turbot. En raison notamment de la présence de cette cohorte prometteuse de petits turbots, elle s’était préparée à transformer entre 800 000 et 900 000 livres en 2023.

Finalement, Pêcheries Gaspésiennes a transformé seulement 10 % des débarquements de 2022, soit 60 000 livres. Olivier Dupuis rappelle que pour les usines de poissons de fond, la première transformation, c’est le turbot.

Environ 70 % des débarquements de poissons de fond se font en Gaspésie et aux Îles, constitués principalement de turbot de l’Atlantique et de turbot du Groenland.

Espoir (déçu)

Généralement, quand la crevette va moins bien, le turbot va moins bien, commente Geneviève Myles. La coordonnatrice au développement des affaires pour l’ACPG parle d’une situation dévastatrice pour les pêcheurs, pour les transformateurs, mais aussi pour la communauté.

Les pêcheurs de crevette ont ramené à quai 38 % du taux de capture autorisé de 14 500 tonnes.

On a vécu d’espoir du mois d’avril au mois d’octobre et il n’y a pas eu grand changement dans le taux de capture.

Une citation deBertin Denis, président-directeur général de Crevette du Nord Atlantique

Les pêcheurs et transformateurs de crevette appréhendaient la diminution de la ressource depuis un certain temps. Mais pas si vite, relève Bertin Denis, président-directeur général de Crevette du Nord Atlantique, à L’Anse-au-Griffon et représentant pour le volet crevette à l’AQIPAvec les volumes de l’année dernière, on se disait que si on attend plus en juillet, en août, les volumes vont se stabiliser.

Les résultats de cette année, dit-il, il les anticipait dans trois ans. J’avais des projets que je voulais développer pour me diversifier. Je me suis fait couper un peu l’herbe sous le pied.

Des employés en action à l'usine de transformation La Crevette du Nord Atlantique à Gaspé.

Des employés en action à l’usine de transformation La Crevette du Nord Atlantique à Gaspé. (Photo d’archives). PHOTO : RADIO-CANADA / MARTIN TOULGOAT

Crevette du Nord Atlantique n’a atteint que 50 % de son objectif, et ce, malgré l’augmentation du nombre de bateaux qui débarquaient à l’usine, passé en 2023 de 12 à 21. L’industriel visait une transformation de 10,3 millions de livres de crevette, mais au final, n’atteindra pas 6 millions.

Le mur est arrivé en 2023 plutôt qu’en 2026 ou 2027, ce qui fait une différence lorsqu’il est question d’adapter une usine de produits marins à une nouvelle transformation.

Pour Geneviève Myles, 2023 est enfin l’année où Pêches et Océans a vraiment pris acte de la crise qui se dessinait malgré le déclin des débarquements au fil des ans.

Marinard

En septembre, la fermeture précoce de l’usine de transformation de crevettes Marinard a permis de réaliser l’ampleur de la crise qui frappait l’industrie.

Plusieurs employés n’avaient pas travaillé suffisamment pour se qualifier à l’assurance-emploi. Le rachat par E. Gagnon et Fils a permis la relance de l’usine tout en réintégrant la propriété des installations dans le giron québécois. Des activités de réemballage sont en cours et se poursuivront en janvier 2024.

Expertise

La crise a aussi amené plusieurs travailleurs à quitter le secteur des pêches. Devant l’incertitude, des travailleurs occupant des postes clés en usine sont partis ailleurs, parfois pour un salaire moindre.

C’est vrai en usine, mais aussi sur les bateaux. Il y a au moins une quinzaine de bateaux qui ont mis des annonces  »recherche homme de pont », observe Samantha Bois Roy.

La question n’en est pas seulement une de rétention de la main-d’œuvre, mais aussi de transmission du savoir à la relève, qui doit avoir assez de travail pour persévérer.

Marjorie Chrétien, directrice générale du Comité sectoriel de main-d'oeuvre sur les pêches maritimes

Marjorie Chrétien, directrice générale du Comité sectoriel de main-d’œuvre des pêches maritimes. PHOTO : RADIO-CANADA / MARTIN TOULGOAT

Il faut, indique Mme Myles, réussir dans les deux prochaines années à ne pas perdre l’expertise d’hommes qui ont fabriqué des chaluts, un métier artisanal, qui sont en train de transmettre ces savoirs-là. On doit avoir des filets à faire dans les deux prochaines années pour que cette jonction entre l’expertise et la relève demeure.

L’exigence du diplôme de secondaire cinq par le ministère des Pêcheries pour travailler sur un navire s’annonce comme une complication de plus au recrutement de la main-d’œuvre puisque plusieurs employés sont sous-scolarisés.

C’est d’ailleurs pour combler ces lacunes que le Comité sectoriel de la main-d’œuvre a mis en place cet automne des formations destinées aux travailleurs des pêches afin d’améliorer leur niveau de littératie et de numératie. Il faut aussi préparer la main-d’œuvre à l’automatisation, fait valoir la responsable du comité, Marjorie Chrétien.

Manquement

Alors que les pêcheurs et les industriels s’interrogent sur leur avenir et ont besoin du soutien scientifique du ministère des Pêches et des Océans (MPO), des données importantes manquent à l’appel.

En raison de bris et d’un manque de personnel navigant, le MPO n’a pas pu compléter cet été l’ensemble de ses relevés scientifiques. L’échantillonnage n’a pas pu être effectué dans la zone de l’estuaire, une des quatre zones de pêche à la crevette, un secteur considéré comme la pouponnière du turbot.

2024 et on ne fait pas de relevé dans cette zone-là ","text":"Il y a une zone qui pourrait être plus bénéfique pour2024 et on ne fait pas de relevé dans cette zone-là "}}">Il y a une zone qui pourrait être plus bénéfique pour 2024 et on ne fait pas de relevé dans cette zone-là, s’indigne Bertin Denis.

Pour l’industriel, le potentiel de pêche dans cette zone, moins exposée à la prédation du sébaste, aurait pu aider les usines et les pêcheurs à réaliser la transition. L’absence d’évaluation est un poids que traînera l’industrie quand viendra le temps d’orienter la pêche de 2024.

C’est désastreux qu’on n’ait rien et qu’il faille prendre des décisions et agir rapidement. On va tous se fier sur des estimations.

Une citation deSamantha Bois Roy, représentante de l’Association des capitaines-propriétaires de la Gaspésie

Ces données-là sont manquantes pour l’industrie, sont manquantes pour les scientifiques, puis elles sont manquantes pour les décideurs aussi, donc on est tous dans une situation très délicate, résume Mme Bois Roy.

De même, à l’automne, le commissaire fédéral au développement rural déposait un rapport accablant sur le manque de données recueillies par Pêches et Océans pour gérer les pêches de manière durable.

L’industrie tend la main à la science. La capture aimerait contribuer à la recherche afin d’éviter une autre crise et mieux se préparer aux impacts dus aux changements climatiques.

Effort

La crise de la crevette et du turbot a chamboulé le calendrier de bien des gens dans le monde des pêches. C’est vrai aussi au ministère des Pêches et des Océans, qui a organisé des pêches exploratoires pour le turbot, des tables de concertations en plus de devancer la présentation de ses évaluations scientifiques.

Les fonctionnaires ont écouté et bougé, rapporte Mme Myles. La crise a toutefois permis de constater que très peu de programmes gouvernementaux sont adaptés à la réalité des pêches, tant au fédéral qu’au provincial.

À situation exceptionnelle, aide exceptionnelle, estime Geneviève Myles. Les ministères auront, selon elle, un travail à faire pour appuyer l’industrie dans les deux prochaines années afin de l’aider à se restructurer. L’industrie entend frapper aux portes du ministère de l’Économie et de DEC Canada. Toutes les options sont analysées.

Les étapes suivantes sont politiques. La MRC de la Côte-de-Gaspé a aussi pris en charge son milieu et a offert du soutien tout en s’assurant que toutes entreprises concernées soient incluses dans la démarche.

Sébaste

C’est presque devenu un mot magique puisqu’il laisse présager une nouvelle pêche. La ministre des Pêches et des Océans, Diane Lebouthillier, l’a prononcé le 12 décembre dernier au sortir d’une rencontre avec les membres de l’industrie de la crevette.

L’élue gaspésienne a promis une décision sur le partage des allocations à court terme ainsi qu’une pêche au sébaste en 2024.

La ministre Lebouthillier n’a toutefois pas précisé quel type de pêche ni son ampleur. Une fois cette décision prise, le MPO s’assoira sans délai avec les membres du Comité consultatif du sébaste afin d’établir les modalités de partage des allocations accordées aux flottilles côtières et semi-hauturières , a toutefois indiqué Diane Lebouthillier.

Des sébastes sur une table.

Le sébaste est de loin la ressource la plus abondante du Saint-Laurent. (Photo d’archives). PHOTO : PHOTO : GRACIEUSETÉ DE CLAUDE NOZERES / PÊCHES ET OCÉANS CANADA

Claudio Bernatchez, directeur de l’ACPG, rapporte qu’une proposition conjointe des flottilles de Terre-neuve, du Nouveau-Brunswick et du Québec de 25 000 tonnes a été déposée à la ministre lors de la rencontre du 12 décembre. C’est moins de 1 % de la biomasse estimée dans l’unité 1, celle qui est fermée depuis les années 90.

Le sébaste, le poisson le plus abondant du golfe, est reconnu comme un prédateur très important de la crevette nordique et il s’avère plus néfaste que la pêche. Le poisson est venu perturber l’écosystème du turbot puisqu’il apprécie des proies similaires et peut même manger du petit turbot.

Le MPO est en mode rattrapage. Il y a des dommages substantiels qui ont été causés dans l’écosystème, estime Claudio Bernatchez.

Un crevettier au quai de Rivière-au-Renard

La déclaration de la ministre est vue comme un premier coup d’envoi vers la réouverture de la pêche. (Photo d’archives). PHOTO : RADIO-CANADA / JOANE BÉRUBÉ

Sur les quais de Rivière-au-Renard, à Gaspé, l’espèce est donc vue comme la ressource de substitution qui permettra la continuité des pêcheries.

Sur les côtes gaspésiennes comme aux Îles, beaucoup espèrent que le partage des allocations se fera à l’avantage des communautés côtières et plus particulièrement à celui des flottilles en difficulté.

La déclaration de la ministre d’une pêche prochaine est vue comme un appel pour la ligne de départ.

C’est encore partiel. On n’a pas le choix d’attendre des précisions par rapport à cette annonce.

Une citation deClaudio Bernatchez, directeur de l’Association des pêcheurs propriétaires des Îles-de-la-Madeleine

Plus tôt la ministre fera ses annonces, plus tôt l’industrie pourra se préparer à la pêche.

On ne peut pas investir des millions sans savoir ce qui va arriver.

Une citation deOlivier Dupuis, directeur général de Pêcheries Gaspésiennes

Ministre

La nomination de Diane Lebouthillier au ministère des Pêches en juillet a suscité bien des espoirs.

Le fait que ce soit une ministre des Pêches qui vient de la région, c’est bon pour nous, c’est sûr. Est-ce qu’elle va avoir le pouvoir de changer les choses? Je me demande si elle va quand même être restreinte dans ses décisions. C’est la politique qui va jouer un grand rôle dans les décisions qui vont être annoncées, commente Samantha Bois Roy.

La proximité de la ministre avec le milieu des Pêches aura sans doute aidé. Dès septembre, les représentants du secteur de la crevette du Québec et de l’Atlantique ont pu s’asseoir avec elle. La ministre a aussi aidé à accélérer la diffusion des rapports scientifiques sur la ressource.

Une rencontre avec son homologue du Québec, André Lamontagne a rapidement été mise à l’horaire, ce qu’avait tardé à faire l’ancienne titulaire du poste, Joyce Murray.

Diane Lebouthillier de profil, portant un imperméable jaune, debout les mains croisées sur un quai, près de l'eau et devant un bollard peint en jaune.

Diane Lebouthillier a dès septembre rencontré des représentants de l’industrie de la crevette du Québec et des provinces de l’Atlantique. (Photo d’archives). PHOTO : LA PRESSE CANADIENNE / NIGEL QUINN

Si les crevettiers ont pu rencontrer la ministre, ce n’est pas le cas des pêcheurs pélagiques, qui espèrent toujours pouvoir discuter avec elle de solutions pour survivre à leur moratoire.

La prolongation du programme du Fonds des pêches reste aussi en suspens. Les entreprises n’ont plus que quelque mois pour déposer leur projet.

La ministre indique qu’elle se rendra disponible début janvier pour parler de son bilan et de ses objectifs pour 2024. Elle entend aussi se rendre au congrès de l’AQIP, prévu en janvier.

Moratoire

Malgré son abondance, la pêche au sébaste est toujours interdite en vertu du moratoire sur les pêches aux poissons de fond imposé au début des années 1990 à la suite du déclin de la morue. Tous attendent la levée officielle du moratoire.

Toutefois, le mot moratoire ne réfère plus qu’à la crise de la morue. Des interdictions de pêche ont aussi touché la flottille des pêcheurs pélagiques gaspésiens en 2022 et celle des pêcheurs d’appâts madelinots en février 2023.

Ces derniers ont d’ailleurs formé en 2023 le premier regroupement de pêcheurs de sébastes. Ils pourront pêcher le sébaste dès l’automne prochain grâce à un petit quota de pêche scientifique d’un peu plus de 300 tonnes.

Des transformateurs madelinots ont déjà levé la main, selon le porte-parole du Regroupement, Jean-Bernard Bourgeois.

Le moratoire sur les pêches à appâts fait aussi mal aux homardiers. Le prix du maquereau est exorbitant, observe Mario Déraspe des Îles-de-la-Madeleine.

Le mot moratoire reflète aussi l’épée de Damoclès qui plane au-dessus des pêcheurs de turbot et de crevette qui souhaiteraient plutôt conserver une toute petite pêche plutôt que de faire face à une fermeture complète.

Solidarité

Pour faire face aux difficultés qu’elle traverse, l’industrie des pêches a fait appel à un mot-clé : solidarité. L’industrie s’est mobilisée pour agir, puis pour se structurer pour l’avenir des pêches.

On n’a jamais vu autant la capture, la transformation, puis les marchés travailler en collaboration aussi étroite.

Une citation deBertin Denis, directeur de Crevette du Nord Atlantique

Dans le Grand Gaspé, la méfiance entre transformateurs et pêcheurs s’est estompée, ajoute M. Denis. Cette mobilisation a servi à préparer la pêche au sébaste.

Des usines comme Pêcheries Gaspésiennes pouvaient déjà s’approvisionner en sébaste grâce à une pêche scientifique et effectuer différents tests pour desservir le marché. D’autres sont aussi prêtes.

Pour vraiment investir, les pêcheurs comme les transformateurs ont besoin de quantité, de prévisibilité, d’encadrement. C’est ce qu’ils attendent maintenant en 2024.

La distribution des volumes de captures autorisés par province reste une inconnue de taille. Est-ce que ça va être selon les quotes-parts historiques ou ça va être considéré comme une nouvelle pêcherie? On est, tout le monde, est dans le néant, commente Bertin Denis.

Même si des programmes d’aide sont en place, l’industrie aura besoin de temps pour se préparer. Bertin Denis et Olivier Dupuis évaluent que leur usine aurait besoin de sept à huit millions de dollars pour s’adapter et acheter les équipements ainsi que de 12 à 18 mois pour se préparer. Dans le cas de M. Denis, il lui faudra obtenir un permis de transformation du sébaste.

Si 2023 a été une année de pertes, 2024 risque de l’être aussi. Il faut opérer à perte l’année prochaine pour regarder nos nouveaux employés, garder notre savoir dans l’entreprise parce qu’on sait qu’on peut bâtir sur des valeurs pour 2025 parce qu’on va investir pour le futur, estime l’homme d’affaires.

Le président du conseil d’administration de Fruits de mer Madeleine, Eudore Aucoin, espère de son côté que l’industrie aura le temps nécessaire pour équiper les usines et les bateaux et développer des marchés. Il faudra que les délais soient raisonnables pour que les choses soient bien faites , dit-il.

Néanmoins, la réouverture d’une pêche commerciale ne viendra pas résoudre tous les problèmes des crevettiers et des turbotiers.

On espère que le Québec pourra maintenir une flottille de pêche capable de répondre aux besoins alimentaires de sa population.

Une citation deClaudio Bernatchez. directeur de l’Association des capitaines-propriétaires de la Gaspésie

Les pêches actuellement, commente Geneviève Myles, que vous soyez dans la capture, dans la transformation, on est en mode restructuration. Il faut redéfinir la pêche, il faut la voir autrement. Le golfe change, nos eaux canadiennes nous apportent de nouvelles ressources, mais il faut se restructurer. Cela dit, il faut nous donner les outils, les moyens et le temps pour être prêt et bien faire les choses.

Demain

Bien faire les choses, ça veut dire moins gaspiller de ressources et être moins dépendant des exportations.

On est l’un des seuls pays au monde à fonctionner en gestion de permis de pêche unique, observe Geneviève Myles. Pouvons-nous penser multipêche, multipermis? Ça permettrait de pêcher raisonnablement les ressources qui vont bien par une même entreprise de pêche ou de ramener les prises accessoires comme ça se fait aux États-Unis, en Europe.

Geneviève Myles et Samantha Bois-Roy de l'Association des capitaines-propriétaires.

Geneviève Myles et Samantha Bois Roy représentent respectivement les crevettiers et les turbotiers à l’Association des capitaines-propriétaires de la Gaspésie. (Photo d’archives). PHOTO : RADIO-CANADA / MARTIN TOULGOAT

Geneviève Myles explique que dans ces pays, il n’y a pas de remise à l’eau. La ressource est ramenée à quai, transformée, comptabilisée.

On veut : on veut pêcher mieux, on veut briser cette vieille mentalité de pêcher en quantité puis de ramener des bateaux pleins. Ce n’est pas ça, la volonté qu’on a autour de la table. La volonté qu’on a dans l’industrie, c’est d’offrir un produit de qualité et de l’offrir à des marchés locaux, à des marchés québécois, résume Geneviève Myles.

Ce grand virage de l’industrie est aussi un appel aux Québécois qui importent la majorité des produits marins qu’ils consomment et exportent des produits d’une qualité supérieure à ce qu’ils mangent.

LA UNE : L’année 2023 fut une année plutôt turbulente pour bien des secteurs de l’industrie des pêches. (Photo d’archives). PHOTO : RADIO-CANADA / ISABELLE LAROSE

PAR vec la collaboration de Stéphanie Rousseau et de l’émission Au coeur du monde.