Arrosage, excavation de lacs artificiels, utilisation de plans d’eau en milieux fragiles : pour pallier l’interdiction fédérale d’utiliser les lagunes, certains pêcheurs de homard des îles de la Madeleine se sont tournés vers des méthodes de trempage de casiers qui suscitent des préoccupations environnementales.
L’an dernier, à la suite de captures accidentelles de harengs, Pêches et Océans Canada a annoncé que les pêcheurs ne pourraient plus faire tremper leurs casiers dans les lagunes.
Cette pratique, jusqu’ici tolérée par le fédéral dans l’archipel madelinot, permettrait, selon de nombreux pêcheurs, de faire couler rapidement les engins de pêche en bois lors de la mise à l’eau officielle.
En mars, plusieurs pêcheurs avaient fait part de leurs craintes, lors des travaux du comité consultatif sur le homard, que l’interdiction fédérale occasionne d’autres problèmes environnementaux, notamment si certains se tournaient vers les lacs d’eau douce, de compétence provinciale, comme sites de trempage.
Leurs craintes se sont avérées. Des milliers de casiers ont été mis à tremper dans des plans d’eau situés dans des milieux dunaires et humides, notamment dans les secteurs du Havre-aux-Basques, de la Dune-du-Nord et de Grosse-Île.

D’autres ont même procédé à des travaux d’excavation sur leur terrain pour créer des bassins artificiels.
Il y en a qui se sont creusé des trous chez eux, avec des pelles mécaniques, autour de leur maison, dans la swamp, et qui ont mis leurs cages à tremper là-dedans
, explique le président de l’Office des pêcheurs de homard des Îles-de-la-Madeleine, Rolland Turbide. D’autres ont mis ça à tremper dans des lacs d’eau douce.

Le Comité ZIP des Îles s’inquiète de ces pratiques alternatives de trempage.
Notre principale interrogation, c’est l’accès aux plans d’eau et aux milieux humides qui les entourent [ainsi que] le déplacement de véhicules sur le terrain
, affirme Karine Rioux, directrice du Comité ZIP. Est-ce qu’il y a destruction des habitats quand vient le temps de tremper les cages?
questionne-t-elle.
Appréhendant ces problèmes, le Comité ZIP a interpellé le ministère québécois de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs dès que Pêches et Océans Canada a indiqué, en 2024, qu’il ne tolérerait plus cette pratique dans les lagunes sous sa responsabilité à partir de 2025.
Mme Rioux indique que les échanges qui ont eu lieu avec le ministère québécois témoignent d’un certain flou réglementaire.
Ça semble assez complexe, parce que c’est une pratique qui est unique au territoire des Îles, donc le règlement est peut-être un peu plus difficile à appliquer dans ce cadre-là
, affirme Mme Rioux.
Karine Rioux déplore que les autorités responsables de la sauvegarde de l’environnement ne se soient pas concertées pour déterminer quelles seraient les solutions de rechange convenables pour les pêcheurs.
Les pêcheurs se sont retrouvés dans une situation, un peu coincés, pour trouver des solutions rapidement à une pratique qu’ils font depuis des années
, indique-t-elle. Ce n’est pas surprenant qu’on observe tout sorte de pratiques alternatives sur le terrain.

Radio-Canada a questionné le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs ainsi que Pêches et Océans Canada à ce sujet mardi mais était toujours en attente de réponses au moment de publier ces lignes.
Le président de l’Office des pêcheurs de homard des Îles-de-la-Madeleine soutient qu’il n’est pas de sa responsabilité de dénoncer ces pratiques puisque le mandat de l’Office concerne la mise en marché du homard.
Le président de la plus importante association de pêcheurs de homard de l’archipel, le Rassemblement des pêcheurs et pêcheuses des côtes des Îles, a refusé de commenter ce dossier.

Inquiétudes pour les oiseaux
La multiplication des cages dans les milieux humides inquiète aussi l’Association des chasseurs et pêcheurs sportifs des Îles, qui craint des impacts sur la nidification des canards.
La sauvagine, elle arrive ici au printemps, il y a pas mal de canards qui viennent nicher ici
, explique l’administrateur Donald Leblanc. Quand il y a 200 cages dans un marécage où la sauvagine va nicher, j’ai peine à croire que ça ne les dérange pas qu’un gars vienne installer ses cages et les enlever. S’il y a une femelle qui couve, elle va lâcher son nid, et si elle quitte pour plusieurs heures, la couvée est nulle.

M. Leblanc croit que le gouvernement fédéral n’a fait que déplacer le problème vers les milieux sous la responsabilité du gouvernement provincial.
Le fédéral a dit aux pêcheurs de ne plus mettre les cages à tremper dans l’eau salée et ils sont tous allés les foutre dans les marécages, là où il y a de la sauvagine. Le problème a juste changé de place.
Donald Leblanc affirme avoir interpellé le Service canadien de la faune pour lui faire part de ce problème.
Radio-Canada attend une réponse d’Environnement et Changement climatique Canada, le ministère fédéral qui gère le Service canadien de la faune.
Arroser ses casiers à homard
La Municipalité des Îles, dont les réserves d’eau potable ont été exceptionnellement basses les 9 et 10 avril, confirme avoir été interpellée concernant un pêcheur qui aurait arrosé ses casiers à homard avec des arroseurs à gazon durant plusieurs jours.
Notre équipe s’est rendue sur place à la suite d’un signalement par un citoyen, mais il n’y avait personne
, indique par courriel la responsable des communications Isabelle Cummings. Si une telle situation se reproduit, un avertissement pourra certainement être donné.

La Municipalité des Îles-de-la-Madeleine a adopté en 2003 un règlement concernant l’utilisation de l’eau potable qui interdit à tout usager de se servir ou de permettre qu’on se serve de l’eau douce du réseau d’aqueduc de façon abusive ou de la gaspiller.
Notre règlement balise ou interdit certaines pratiques, mais celle-là n’est pas au nombre puisqu’elle est certainement directement en lien avec la nouvelle interdiction de trempage de Pêches et Océans Canada
, indique Isabelle Cummings.
La Municipalité a refusé la demande d’entrevue de Radio-Canada, mais elle indique qu’elle fera prochainement de la sensibilisation au sujet des pratiques à éviter en matière d’eau potable.
Il est important de noter que la Communauté maritime des Îles-de-la-Madeleine est gestionnaire des terres publiques de l’archipel depuis 2014 en vertu d’une entente de délégation de gestion avec le gouvernement du Québec.
Le conseil régional de l’environnement des Îles-de-la-Madeleine, Attention Frag’Îles, a aussi refusé de commenter ce dossier, nous dirigeant plutôt vers les instances gouvernementales qui peuvent être directement concernées selon les lois et règlements en vigueur.
LA UNE : Des centaines de casiers de homard ont été placés dans un milieu humide en bordure de la route à Grosse-Île. Photo : Courtoisie
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