Le conseil municipal, nouveau tremplin vers l’Assemblée nationale?

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Les élus municipaux garnissent de plus en plus les banquettes de l’Assemblée nationale. Après le scrutin du 3 octobre, plus de 20 % du caucus de la Coalition avenir Québec possède une expérience à l’hôtel de ville. Cette tendance annonce-t-elle une plus grande sensibilité à l’égard des dossiers municipaux ou la politisation partisane de l’ordre municipal ?

Au cours de la dernière campagne, 13 élus municipaux étaient en lice pour obtenir un siège à l’Assemblée nationale. Seulement 3 ont réussi à faire leur entrée au Salon bleu : Yves Montigny, maire de Baie-Comeau, Daniel Bernard, conseiller de Rouyn-Noranda, et Isabelle Poulet, conseillère de Sainte-Julie. Le Devoir a sollicité une entrevue avec M. Montigny dans le cadre de ce reportage. La CAQ dit préférer attendre son assermentation avant de le rendre disponible aux médias.

Le caucus caquiste, aujourd’hui composé de 90 députés, en compte au moins 19 qui ont, à un point de leur carrière, occupé des fonctions électives au sein d’une municipalité. Plusieurs étaient conseillers, certains étaient maires, deux ont même présidé l’Union des municipalités du Québec (UMQ). Leur nombre au sein de l’équipe de François Legault est inédit dans l’histoire récente : le gouvernement de Philippe Couillard ne comptait que 5 anciens élus municipaux. Les libéraux, pendant les neuf années de l’ère Charest, en ont cumulé 17.

« Pour le Québec, c’est un phénomène relativement nouveau, observe Caroline Patsias, professeure au Département de science politique de l’UQAM. Dans des pays comme la France, c’est habituel puisque le municipal sert de marchepied vers les échelons supérieurs. »

Dans l’Hexagone, la mairie est souvent le premier ressort d’un tremplin qui peut propulser jusqu’au sommet de l’État. Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande ont tous fait un passage par l’hôtel de ville dans leur ascension vers l’Élysée. Au Québec, ce parcours relève plutôt de l’exception : il faut remonter au tournant du XXe siècle et à Simon-Napoléon Parent pour trouver un maire devenu premier ministre. Dans ce cas particulier, l’élu de Québec portait même les deux chapeaux simultanément.

Candidatures prisées

Les partis politiques voient dans les élus municipaux des candidats tout désignés pour briguer les circonscriptions. « Les maires, ce sont des élus de proximité, souligne Caroline Patsias. Ils sont sur le terrain, ils ont déjà un réseau et ils jouissent d’une certaine notoriété. »

L’appétit des partis à attirer dans leur rang des candidats issus du monde municipal peut s’avérer féroce. Jonathan Lapierre, l’ancien maire des Îles-de-la-Madeleine, explique avoir reçu des offres du Parti libéral du Québec (PLQ) et du Parti québécois (PQ) en 2018. Le premier ministre François Legault l’a sollicité cette année, et c’est finalement à lui que Jonathan Lapierre a décidé de se rallier. Il a toutefois mordu la poussière le 3 octobre, défait par le député péquiste Joël Arseneau — lui-même un ancien maire des Îles-de-la-Madeleine.

« Ç’a été un deuil, souligne M. Lapierre au téléphone. J’ai 43 ans, et les 18 dernières années de ma vie, je les ai consacrées à 100 % au service public. La plupart des gens, ici, savaient mon numéro de cellulaire, savaient où j’habitais, pouvaient me joindre sur les réseaux sociaux, où je répondais à toute heure du jour ou de la nuit. »

Les Madelinots devraient donc se rendre aux urnes pour la quatrième fois en moins de trois ans, cette fois-ci afin de pourvoir le poste de maire, désormais vacant.

« J’avais annoncé à la population que, si jamais je perdais les élections, je ne reviendrais pas à la mairie, explique Jonathan Lapierre, qui était à la tête de la municipalité pour un troisième mandat. La circonscription des Îles a ceci de particulier que ce sont les mêmes électeurs qui vont élire le député et le maire. Ma défaite affaiblissait de beaucoup le pouvoir politique de la mairie, et un retour devenait très compliqué politiquement. »

D’autres maires ont plutôt décidé de revenir à l’hôtel de ville, même s’ils ont connu la défaite le 3 octobre. C’est le cas d’Olivier Dumais, maire de Saint-Lambert-de-Lauzon et candidat défait du Parti conservateur dans Beauce-Nord. « La poutine municipale, j’en fais, mais à part les projets de développement, c’est moins ma tasse de thé », explique-t-il. « Ce qui m’allume, c’est davantage le big picture. »

M. Dumais ne croit pas que l’électorat lui tiendra rigueur de revenir dans les pantoufles de la mairie après avoir trempé l’orteil dans le bassin provincial. Son bilan, croit-il, suffira à rallier les sceptiques. « On fait vraiment une bonne job, affirme-t-il. Je suis convaincu qu’il y a des gens qui ont voté contre moi [au provincial], mais qui veulent quand même me garder comme maire. » Son retour, plaide-t-il, permettra à Saint-Lambert-de-Lauzon d’épargner 45 000 $ en évitant l’organisation d’une partielle.

« C’est légal et, d’autre part, ce n’est pas amoral non plus qu’un élu tente de faire le saut dans un autre siège et, si ça ne fonctionne pas, qu’il revienne dans sa première fonction, estime Daniel Côté, président de l’UMQ. Au final, ce sont les électeurs de la ville en question qui vont lui signifier s’ils désapprouvent ses affinités au niveau provincial. »

Baie-Comeau, Sainte-Julie et Rouyn-Noranda, de leur côté, devront organiser des élections pour remplacer leur maire et leurs conseillers partis siéger à l’Assemblée nationale, moins d’un an après avoir sollicité et obtenu un mandat à l’hôtel de ville.

« Éthiquement et financièrement, il y a peut-être une réflexion à y avoir, croit Caroline Patsias. Si tout le monde se met à faire ça, c’est sûr qu’il y aura un problème au municipal, et ça va finir par coûter cher. En même temps, la démocratie a un coût, et c’est normal de payer. »

Du national au local

Le pont tendu entre les ordres provincial et municipal permet une circulation dans les deux sens. Plusieurs députés boudés par leur électorat se recyclent à l’hôtel de ville, à l’instar de l’ancien ministre Pierre Corbeil, devenu maire de Val-d’Or, de Mireille Jean, élue conseillère de Chicoutimi, ou de Sylvain Légaré, qui a siégé à la Ville de Québec après sa défaite en 2008.

Denis Coderre est l’exemple le plus notoire de ce va-et-vient : député démissionnaire à la Chambre des communes, il a poursuivi sa carrière politique en accédant à la mairie de Montréal.

C’est aussi le parcours qu’a emprunté Catherine Fournier, ancienne députée aujourd’hui mairesse de Longueuil. Elle estime que son expérience dans les officines de l’Assemblée nationale lui sert à gouverner sa ville.

« À l’Assemblée nationale, j’ai toujours été dans l’opposition. Comme mairesse, c’est moi qui ai le pouvoir », souligne l’élue de 30 ans. « Je sens que j’ai beaucoup plus d’influence sur les enjeux de Longueuil qu’à l’époque où j’étais députée. »

Elle croit que l’arrivée d’une cohorte d’élus municipaux au Parlement permettra une plus grande sensibilité à l’égard des réalités locales. « Quand on connaît les défis, quand on a été soi-même là [à siéger dans une municipalité], je pense que, oui, ça procure une plus grande connaissance des enjeux municipaux, indique la mairesse. En même temps, le monde municipal peut aussi avoir de grandes attentes envers vous. Je pense que c’est une bonne chose pour le monde municipal, mais pour les élus, ça vient sans doute avec une plus grande pression de répondre aux attentes. »

Caroline Patsias croit, elle aussi, que les élus municipaux enrichissent la vie politique en permettant de mieux comprendre la réalité des villes et des villages. « En même temps, nuance-t-elle, il y a un risque de politique politicienne, d’une stratégie purement électorale, c’est-à-dire le risque que le mandat municipal serve uniquement de tremplin. Ce n’est pas tout noir ni tout blanc : il faut évaluer chaque cas, chaque contexte. »

LA UNE : Photo: Dave Noël Archives Le Devoir Les partis politiques voient dans les élus municipaux des candidats tout désignés pour briguer les circonscriptions et accéder à l’Assemblée nationale.
PAR Sébastien Tanguay