De nouvelles technologies pour chasser les engins de pêche fantômes

Publicité

Articles similaires

Le cul pointu, une chanson au refrain obsédant pour le bateau madelinot

Toc-o-toc, pic-é-pac, pic-é-pac, et toc-o-toc... Un refrain qui évoque...

L’intelligence artificielle au secours des poissons

LE TÉLÉJOURNAL ACADIE L'entreprise néo-écossaise Innovasea annonce avoir mis au...

Le récit d’une infirmière auxiliaire des Îles-de-la-Madeleine

Au Québec, 30 000 personnes ont choisi cette profession....

Des chercheurs réunissent leurs efforts pour développer des techniques de récupération des casiers et des cordages perdus.

Les engins de pêche perdus ou abandonnés en mer, communément appelés engins fantômes, sont considérés comme une menace importante pour les mammifères marins. Ils sont en outre un facteur reconnu de mortalité des baleines noires de l’Atlantique Nord, en danger critique d’extinction depuis 2019.

Capture d’écran, le 2023-04-21 à 08.22.38

Or, trouver un engin de pêche dans le golfe du Saint-Laurent, de la taille d’un continent, revient à rechercher une aiguille dans une botte de foin. Comment retrouver de tels objets? Trois groupes de recherche s’attellent depuis quatre ans à développer des outils pour accomplir cette tâche titanesque.

Des engins fantômes par milliers dans le golfe
D’emblée, Lyne Morissette, directrice générale chez M-Exprertise marine, résume l’ampleur du défi. D’année en année, des milliers de gréements et appâts de toutes sortes viennent joncher les fonds marins. Chaque année, dans le monde, 8 millions de tonnes de déchets sont jetés en mer, dont 640 000 à 800 000 t sont constituées d’engins fantômes. Tout ce qui a été perdu ou abandonné en mer, c’est encore là, déplore-t-elle.

 

Capture d’écran, le 2023-04-21 à 08.22.18

Bon an mal an, selon le Centre de recherche sur les milieux insulaires et maritimes (CERMIM), entre 2 et 8 % des casiers de pêche au crabe sont perdus, la plupart du temps pour des raisons hors du contrôle des pêcheurs.

Depuis 2018, le ministère des Pêches et Océans (MPO) oblige tous les pêcheurs du golfe du Saint-Laurent à déclarer leurs engins de pêche perdus.

De 2020 à mars 2023 pour les régions du golfe et du Québec, 9300 rapports sur les engins perdus ont été soumis, faisant état de 33 384 unités d’engins perdus (à l’exclusion des cordes et des filets), de 9 km de filets, et de 260 km de cordes perdues.

 

Capture d’écran, le 2023-04-21 à 08.20.48

Ce système de déclaration obligatoire aide au dénombrement et à la localisation des engins perdus, mais souffre d’imprécision, selon certains chercheurs. Pour réduire la taille de cette véritable botte de foin, le Centre Interdisciplinaire de Développement en Cartographie des Océans (CIDCO) a eu recours à de puissants outils d’analyse informatique, incluant le recours à l’intelligence artificielle.

Capture d’écran, le 2023-04-21 à 08.21.02
Guillaume Labbé-Morissette est directeur de la recherche et du développement au CIDCO. PHOTO : RADIO-CANADA / ALEXANDRE COURTEMANCHE
Capture d’écran, le 2023-04-21 à 08.21.15
Un submersible automatisé a été utilisé par les chercheurs pour effectuer un balayage des fonds marins par résonnance acoustique.Photo : Radio-Canada / Alexandre Courtemanche
Capture d’écran, le 2023-04-21 à 08.21.26
Un exemple d’image obtenue par résonance acoustique analysée par les chercheurs du CIDCO. Les deux formes ovales sont des casiers de pêche au crabe, et la ligne qui les relie sont leurs cordages emmêlés. Les données seront intégrées dans l’algorithme pour permettre leur repérage par le programme.Photo : Centre Interdisciplinaire de Développement en Cartographie des Océans
Capture d’écran, le 2023-04-21 à 08.21.37
Les chercheurs du CIDCO à l’œuvre.Photo : Radio-Canada / Alexandre Courtemanche

On a fusionné des couches de données qui viennent d’un peu partout, des données qui viennent du MPO, des données qui viennent d’organismes d’observation des mammifères marins, explique Guillaume Labbé-Morissette, directeur de la recherche et du développement au CIDCO.

Cette première génération d’algorithmes a permis de développer des modèles de risques et de concentrer les efforts de récupération dans des zones névralgiques.

Capture d’écran, le 2023-04-21 à 08.22.05

Le deuxième projet développé par le CIDCO consiste à automatiser l’analyse des images de résonance acoustique des fonds marins, des images haute résolution captées à l’aide de sonars.

En tablant entre autres sur l’intelligence artificielle et le géoréférencement de précision, des cartes indiquant précisément l’endroit où gisent les engins fantômes sont mises à disposition des pêcheurs.

Ces cartes font sauver un temps précieux pour la localisation des engins de pêche : si une personne analysait manuellement les images acoustiques des fonds marins, quelque 300 années de travail continu seraient nécessaires pour passer en revue la superficie du golfe du Saint-Laurent.

Passer de la carte au grappin
Une fois des données de localisation précises en main, il reste maintenant à extirper l’engin du fond des eaux, ce qui n’est pas une mince affaire. Deux équipes de recherche ont passé des années à développer des outils capables d’accomplir la tâche, tout en étant le moins invasives possible.

Merinov a misé sur un type de grappin qui peut être opéré de la même manière que les gréements habituels de pêche au crabe. Les pêcheurs peuvent ainsi être mis à contribution pour participer aux opérations de récupération des engins fantômes.

Capture d’écran, le 2023-04-21 à 08.43.31
Les pêcheurs ont été des partenaires de premier plan dans le développement des systèmes de récupération des engins fantômes.Photo : Merinov
Capture d’écran, le 2023-04-21 à 08.43.22
Certains casiers remontés des eaux avaient plus de 30 ans.Photo : Merinov
Capture d’écran, le 2023-04-21 à 08.43.11
Un des grappins développés par Merinov pour récupérer les cordages d’engins fantômes.Photo : Merinov

L’idée, qui sous-tendait ce travail de conception, c’est d’avoir un engin qui couvre une assez grande surface, pour plus d’efficacité, mais avec un impact sur le fond qui soit le plus faible possible, expose Jérôme Laurent, chercheur industriel chez Merinov.

Les principaux avantages de cette approche sont leur coût et leur accessibilité. C’est un engin qui coute quelques milliers de dollars à construire, donc très économique […] ça fait partie des solutions qui sont utilisables, surtout pour les pêcheurs, résume Jérôme Laurent.

 

Capture d’écran, le 2023-04-21 à 08.19.42

Le grappin développé par les chercheurs de Merinov est conçu pour se situer à une courte distance du fond marin, minimisant l’impact de dragage.

Capture d’écran, le 2023-04-21 à 08.19.18
L’équipe de recherche souligne que le développement des systèmes de grappins s’est fait en collaboration étroite avec les pêcheurs, autant pour la maniabilité de l’objet lui-même que pour les mesures de sécurité à mettre en place pour minimiser les risques liés à la manipulation.

Au bout de 21 sorties en mer, quelque 1641 t d’engins fantômes ont été récupérées. La plupart étaient des casiers de homard et de crabe et leurs cordages et bouées.

Plonger jusqu’aux casiers
Le Centre de recherche sur les milieux insulaires et maritimes a développé une approche différente, faisant appel aux services d’un véhicule sous-marin téléguidé (communément appelé ROV, pour Remotely Operated underwater Vehicle) pour retirer les casiers du fond de façon quasi chirurgicale.

 

Capture d’écran, le 2023-04-21 à 08.19.04

En premier lieu, l’équipe du CERMIM importe les données de localisation du MPO, construites à partir des déclarations d’engin de pêche perdu. Chaque cage est identifiée de façon individuelle à l’aide d’une étiquette numérotée.

Un sonar à balayage latéral permet d’abord de localiser l’engin. Le ROV est ensuite plongé, lui-même équipé d’une caméra et un système de crochet adapté, pour ensuite accrocher une ligne de remontée directement sur la cage qui repose au fonds. Le robot peut opérer à grande profondeur.

À l’automne 2022, 120 sorties ont été réalisées, pour une récolte de 50 casiers et plusieurs kilomètres de cordages.

L’équipe de recherche travaille actuellement au développement de techniques pour un déploiement à plus grande échelle. Le ROV pourrait éventuellement accrocher des bouées à une série d’engins qui seraient récupérés au passage d’un navire. On arrive à une dynamique […] pour 2023, pour améliorer encore plus notre façon de récupérer, espère Marc-Olivier Massé.

Un enjeu écologique et économique

Réduire le nombre d’engins fantômes dans les eaux canadiennes est salvateur pour les animaux, mais pas seulement. L’économie y gagne aussi. En vertu de la Loi américaine sur la protection des mammifères marins, les produits de la mer importés doivent être pêchés dans le cadre de régimes offrant des protections comparables à celles des États-Unis.

Plus les mesures en place réduiront les risques de mort des baleines noires, meilleures sont les chances que le marché américain demeure ouvert aux produits canadiens. Ce marché représentait plus de 2,5 milliards de dollars en  2020.

Il y a trois ans, le MPO a mis en place le Programme pour les engins fantômes. L’initiative a financé jusqu’à présent 91 projets à hauteur de 26,7 millions de dollars pour s’attaquer au problème des engins de pêche abandonnés, perdus ou rejetés. Une enveloppe additionnelle de 30 millions a été dégagée à la suite des dégâts causés par l’ouragan Fiona.

Selon le MPO, pour les régions du golfe et du Québec, les efforts de récupération entre 2020 et 2023 ont permis de ramener à terre 669 t d’engins de pêche, comprenant 59 km de cordes récupérées.

Le Programme pour les engins fantômes doit développer une stratégie nationale sur le sujet, pour éventuellement moderniser le régime réglementaire du Canada.

En ce moment, un pêcheur ne peut avoir sur son bateau que les engins de pêche pour les espèces visées par les permis qu’il détient. Cette règle limite sa capacité à remonter à bord des engins qui ne lui appartiennent pas.

LA UNE : Pour récupérer les engins de pêche perdus en mer, trois groupes de recherche ont développé des outils passant de l’intelligence artificielle aux robots sous-marins. PHOTO : CENTRE DE RECHERCHE SUR LES MILIEUX INSULAIRES ET MARITIMES