Chasse aux phoques et OMC : Quand les «préoccupations morales» l’emportent sur les considérations économiques

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Motivée par des raisons économiques et culturelles, la chasse aux phoques est pratiquée depuis plus de 300 ans au Labrador, à Terre-Neuve et dans le golfe du Saint-Laurent. Aujourd’hui, la population de phoques du Groenland estimée à 5,5 millions au Canada est en augmentation.

L’histoire de la chasse aux phoques est marquée par la controverse. L’industrie a d’abord été gravement affectée quand la Communauté économique européenne a interdit en 1983 l’importation de peaux de blanchons — ces très jeunes phoques âgés de quelques jours. Puis, une campagne d’envergure mondiale contre la chasse aux blanchons, de la part d’ONG et de personnalités publiques, en a forcé l’interdiction au Canada.

Les techniques de chasse, jugées cruelles par les opposants, varient en fonction des conditions et des zones de chasse, mais comprennent généralement l’utilisation de fusils et de hakapiks — instruments en forme de marteau à pointe — pour achever les phoques au besoin.

Le Canada se plaint à l’OMC

En 2009, le Canada dépose une plainte à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) contre l’Union européenne (UE) concernant un nouveau régime prohibant l’importation et la mise sur le marché de produits dérivés du phoque. L’Europe est suspectée de favoriser l’industrie danoise au Groenland, au détriment des chasseurs canadiens. Pour leur défense, les Européens prétendent que cette politique répond aux préoccupations morales de la population quant au bien-être des phoques, notamment en raison des méthodes de chasse induisant des souffrances et une détresse aux animaux.

Le 22 mai dernier, en réponse à la demande d’appel du Canada, l’OMC rend sa décision définitive. Celle-ci statue sur deux principaux éléments : d’une part, l’interdiction d’importation et de mise en marché des produits issus de la chasse aux phoques et, d’autre part, certaines exceptions, dont les chasses pratiquées par les communautés inuites (exception CI) et à des fins de gestion des ressources marines (exception GRM).

L’OMC conclut que les exceptions du régime européen discriminent les produits canadiens et sont contraires aux principes libre- échangistes. En effet, la plupart des chasses au Canada sont considérées comme commerciales, donc touchées par l’interdiction de leur production, tandis que les chasses au Groenland sont, elles, associées à l’exception CI et donc leur production est commercialisable.

Toutefois, l’OMC prend une position étonnante en reconnaissant que le régime répond à des « préoccupations morales » sur le bien-être des phoques et en confirme la légitimité. Cependant, l’UE sera appelée à modifier son régime pour se conformer à ses obligations, probablement en supprimant ses exceptions. L’interdiction générale pourra être maintenue.

Coup dur pour l’industrie

Le Canada est le premier exportateur mondial de produits du phoque, plus de 70 millions USD ont été générés de 2006 à 2011. Les marchés européens représentaient la principale destination pour les peaux de phoques brutes, les graisses et les huiles. Avant l’interdiction, l’UE recevait 50 % des exportations.

La chasse se concentre dans certaines régions économiquement plus vulnérables du Québec, notamment aux îles de la Madeleine, où le chômage est particulièrement élevé. L’activité étant de nature saisonnière, les chasseurs ne peuvent complètement en vivre, mais elle constitue un revenu d’appoint non négligeable, en moyenne 25 % à 35 % de leurs revenus annuels.

Dans ce contexte, la fermeture définitive du marché de l’UE aura des conséquences néfastes pour l’industrie de la chasse au Québec. D’abord, en fermant ses frontières, l’UE maintiendra la pression à la baisse sur la demande et conséquemment sur les prix des produits du phoque.

Ensuite, il existe un risque d’entraînement lié à la fermeture d’autres marchés si les gouvernements plient face aux nouveaux arguments juridiques des militants anti-chasse. L’incertitude grandissante concernant les marchés d’exportation favorise également le découragement et le retrait d’acteurs de l’industrie, déstabilisant davantage la filière des produits du phoque.

Enfin, l’augmentation de la population de phoques dans les eaux canadiens pourrait avoir une incidence sur les stocks de poissons. Avec la surpêche et les changements climatiques, la population croissante de phoques constitue un facteur négatif sur la conservation de la morue.

 

 
Photo : La Presse canadienne (photo) Andrew Vaughan La chasse aux phoques se concentre dans certaines régions économiquement plus vulnérables du Québec, notamment aux îles de la Madeleine, où le chômage est particulièrement élevé.