L’épouvantail commode du «politiquement correct»

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Par : Bruno Cornellier et Rachel Zellars – Respectivement professeur adjoint à l’Université de Winnipeg et avocate et candidate au doctorat à l’Université McGill

Chantal Naud s’offusque du retrait du mot « nègre » de la toponymie des lieux au Québec (« Il est plus facile d’effacer l’histoire que d’en supporter le poids… », Le Devoir, 26 février 2016). Pour être plus précis, elle recycle l’argument facile et prévisible faisant de ce qui est prétendument « politiquement correct » le tortionnaire s’attaquant à l’histoire et à l’héritage des Madelinots, eux qui demeureraient attachés à un folklore local à l’origine de la dénomination du Buttereau-du-Nègre, aux Îles de la Madeleine. Ce faisant, insiste-t-elle, c’est l’histoire des lieux et de la communauté qui s’en trouverait effacée, perdue, censurée, volée, aseptisée.

Ici encore, cette notion usée à la corde du « politiquement correct » a le dos large. Lorsque des membres des communautés noires du Québec s’insurgent contre Denise Filiatrault, Louis Morissette et leurs apologies du blackface, on dresse l’épouvantail du « politiquement correct » et de la censure. Quand un front commun d’artistes, cinéastes, étudiants et intellectuels autochtones et inuits exprime sa rage et refuse de garder le silence devant l’arrogance et l’ignorance avouée et assumée du cinéaste Dominic Gagnon, réalisateur du controversé of the North, on dresse à nouveau le même épouvantail. Et quand, enfin, des membres des communautés noires (et leurs alliés) décident de prendre en charge la commémoration de leur histoire au Québec et cherchent à s’affranchir des termes esclavagistes « nègres » et « nigger », qui les condamnent à l’anonymat, on redéploie la même rhétorique. Méfiez-vous, qu’ils disaient, le « politiquement correct » va « nous » prendre d’assaut et « nous » dérober de « nos » privilèges !

En somme, le désir des membres du groupe blanc majoritaire de dire et représenter comme ils l’entendent les autochtones, les Inuits et les personnes de couleur aurait donc pour condition que ces derniers se taisent et ferment les yeux. L’argument lâche et fallacieux du « politiquement correct », encore une fois, se déploie au service du statu quo et sert à protéger un privilège blanc qui ne saurait être nommé.

Réécrire l’histoire

Contrairement à ce que prétend Mme Naud, la pétition (forte de plus de 2000 signataires) lancée l’été dernier pour exiger le retrait de cette terminologie esclavagiste de la toponymie est bien claire : il ne s’agit pas d’effacer l’histoire des lieux, mais de la réécrire afin de réellement marquer les lieux en fonction d’une connaissance de l’histoire des Noirs qui ne soit pas contrôlée par l’hégémonie blanche et par un vocabulaire esclavagiste. Il s’agit de réaffirmer en connaissance de cause l’histoire des Noirs sur ces lieux, plutôt que de perpétuer leur effacement derrière un langage raciste privilégiant d’abord et avant tout la parole des Blancs. En somme, comme l’indique clairement le texte de la pétition, « nous voulons connaître leurs noms, tout comme nous connaissons les noms de Champlain, Cartier et les autres, en tant que traces mémorielles de véritables êtres humains ayant vécu et s’étant éteints au Québec, et par opposition à l’injure raciale ou ethnique servant toujours aujourd’hui à marquer leur présence ».

S’il devait y avoir du « politiquement correct » autour de cette démarche, il ne se trouvera pas du côté de celles et ceux qui refusent de garder le silence devant les abus et l’arrogance d’une histoire et d’une toponymie écrites par et pour les Blancs. Le « politiquement correct » reposerait plutôt du côté d’une Commission de toponymie qui, faisant fi de ce qui lui a été demandé à de multiples reprises, ne mettrait pas les intellectuels, historiens et autres membres des communautés noires du Québec au centre de cet exercice de changements de nom. Il est du devoir de la Commission qu’elle fasse la preuve de sa bonne foi devant les griefs justifiés de celles et ceux refusant de plier l’échine devant une histoire et une toponymie empreinte de suprématie blanche.

Il est grand temps, donc, pour celles et ceux trouvant toujours confort dans leur appartenance au groupe majoritaire, d’arrêter d’exploiter la fallacieuse et paresseuse excuse du « politiquement correct » afin de commettre au silence la révolte des autochtones, des Inuits et des personnes de couleur qui en ont soupé de n’être « tolérées » qu’à la condition qu’elles n’indisposent pas la volonté, la sensibilité et le sens de la propriété du groupe dominant.

 

Photo: iStock / Paysage des îles de la Madeleine