Yoanis Menge, un photographe à la mer

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Barbe hirsute, cheveux en bataille, calme olympien, le photographe Yoanis Menge présente ses photos à la galerie Occurence, jusqu’au 23 avril. Il arrive tout droit des îles de la Madeleine, où il a construit sa maison et sa vie. Entretien.

Vous êtes parti pendant quatre ans sur la trace des chasseurs de phoques, ceux des îles de la Madeleine, de Terre-Neuve, et chez les Inuits aussi. Quelle était la nature de ce projet ?

Le contraire de la propagande ! Mon approche est documentaire, plastique. Je ne tombe pas dans le piège des belles images à la Salgado. Ni dans celui des militants anti-chasse. Je sentais le besoin de témoigner de cette activité humaine. Une activité importante pour des communautés éloignées.

Quelques-uns des meilleurs photographes d’ici vous ont épaulé, dont Benoit Aquin, Serge Clément et Michel Campeau. Le livre est coiffé par un entretien avec l’universitaire Serge Allaire. Difficile d’espérer mieux !

Quand j’étais à Paris avec Josef [Koudelka], je voyais qu’il consultait beaucoup. Il demandait des avis. Bien sûr, il était le seul à prendre la décision finale. Mais il aimait être bien conseillé. Je pense qu’un bon photographe ne doit pas avoir peur de prendre conseil sur son travail.

Il n’y avait rien déjà sur ce sujet ?

Il existe quelques photos de Ronald Labelle. Des photos, ici et là, dans les livres consacrés à la chasse aux phoques, mais jamais avec cette volonté de faire un travail de fond. J’ai fait des milliers de photos sur la chasse. Bruno Barbey [photographe de l’agence Magnum] a suivi le projet depuis le début. On a sélectionné 84 photos, puis environ 25, pour en arriver finalement au matériel de l’expo et du livre. Sans être pro-chasse, je voulais autre chose que ce qu’on a photographié, toujours de très loin, au téléobjectif. Je n’ai pas la volonté de ridiculiser les chasseurs, mais de montrer ce qu’ils sont. La qualité de mon travail, les cadrages, les impressions, le papier utilisé pour le livre, tout cela témoigne de mon intention de produire quelque chose d’honnête, de juste.

Quand je travaillais pour Magnum à Paris, j’ai vu dans le métro des affiches de la Fondation Brigitte Bardot consacrées à la chasse aux phoques. J’étais furieux. On comparait le bébé humain au phoque. Les mots ont pourtant un sens. Un jeune phoque n’est pas un bébé, mais un blanchon ! Tout comme la vache a un veau, pas un bébé ! Cet anthropomorphisme dans un contexte de grande culture me désespère. On mange de tout en Europe. Des huîtres, des grenouilles, du foie gras… Mais on ne se questionne pas sur la façon dont la chasse aux phoques est vraiment faite par rapport à la façon dont on élève d’autres animaux. C’est une des chasses au monde les plus encadrées. […] Je me suis dit qu’il était temps de revenir m’établir aux îles. Il y a là une joie de vivre, une innocence. Les îles sont un havre de paix. Et on nous présente ce monde-là comme s’il était peuplé de barbares !

Une partie des photos sont réalisées à l’argentique, à l’ancienne donc, avec un grand format panoramique, un peu comme votre maître Koudelka. Pourquoi ?

Le panoramique est un type de composition très particulier. J’ai appris avec Josef [Koudelka]. Pour mon travail au Mali, j’utilisais beaucoup le panoramique. Mais j’essayais de le réserver pour des scènes précises. La mer s’y prête. Mais je ne voulais pas faire des photos de la mer, des paysages marins. Je fais des humains mes paysages. L’homme devient son paysage. Mon sujet, c’est leur rituel. Ce qui englobe le lien, le contexte, les gestes, les objets. Le panoramique exige un cadrage serré. Il y a un jeu, un équilibre à créer, qui permet de raconter une histoire plus complexe. Dans mes photos, un sujet s’ouvre sur un autre. Si on ne fait pas attention, on pense qu’il y a deux photos alors qu’il n’y en a qu’une seule. J’utilise le format standard, le 24×36, plus pour des objets qui deviennent des natures mortes. Ce format permet une action dans l’abstraction. L’importance du noir et blanc est aussi majeure. Au début, j’ai commencé en couleur. Les photographes s’imaginent toujours qu’il est plus facile de diffuser leur travail en couleur. Mais le sang, le rouge, sur la neige, c’est répétitif. J’avais l’impression de toujours faire la même chose. Sur du blanc, l’effet du sang est puissant. Au point où ça devient un logo plus que de la photo.

Comment on arrive à partir au large pour la chasse aux phoques ?

J’ai d’abord aidé pour la pêche aux homards. Tu te promènes sur le bateau, à danser entre les câbles… C’est dangereux. Les hommes qui font ça m’ont rappelé ensuite pour m’offrir de les accompagner pour les phoques. Pour eux, le travail se mesure au temps consenti et à l’effort physique. Photographier pour eux n’est pas un travail. Personne ne prendrait sur ces bateaux quelqu’un qui mange et qui prend de la place mais qui ne produit en apparence rien. Ils m’ont accepté comme photographe à condition que je puisse être efficace physiquement. J’ai suivi ma formation de Pêches et Océans Canada. Un jour, je suis tombé à l’eau. J’essayais de remonter, mais tout était trempé et graisseux. Je glissais. Je suis resté sur un bout de glace, le temps que le bateau se rende compte que je n’étais plus là. On ne voit pas bien dans l’instant tout cela. En photo, oui.

 

Photo: Jean-François Nadeau Le Devoir