Mes Îles de mer, de sable, de brume et de vent

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Par Donald Longuépée
Extrait 1 de 10


Mes origines

Je m’appelle Donald Longuépée. Donald à Donat, à Nelson, à Emmanuel, à Lazarre, à Louis-Toussaint, à Pierre, à Louis à Vincent Longuépée. Vincent, marin puis cultivateur, s’est marié à Madeleine Rimbault en 1691 à Port-Royal. Ils y sont demeurés près de deux ans. Ils allèrent, par la suite, vivre aux Mines et à Grand-Pré, avant de s’établir à Cobequid où une terre leur fut concédée face à un endroit appelé Glenholme sur la rive est de la rivière Debert, par le premier seigneur Mathieu Martin qui avait obtenu cette concession du gouverneur de la Nouvelle-France, Louis de Buade comte de Frontenac. Cobequid porte aujourd’hui le nom de Truro en Nouvelle-Écosse. J’y suis allé au début des années 80, marcher dans les pas de mes aïeux, pour épouser du regard mes racines en terre d’Amérique. Lazarre arriva aux Îles de la Madeleine avec ses deux frères, Louis-Alexis et Joseph, vers 1835[i]. Donald à Donat à Clémé. Clémé Noël à Jean et Félicitée Décoste. Jean, le frère d’Élie qui s’est marié à Félicitée après le décès de son épouse et celui de son frère Jean. Oui, beau-frère et belle-sœur devenus mari et femme avec leurs enfants réunis dans une seule famille.

Je suis un pêcheur. Je suis fils, frère, beau-frère, neveu, cousin et oncle de pêcheurs. J’ai le mal de mer, mais comme tout Madelinot et comme toute Madeleinienne[ii], je suis un pêcheur. Ce fut de naissance, mon premier métier. Pas pour naviguer sur la mer, mais dans l’âme. Je suis un fils de la mer, du sable, de la brume et du vent. Avec du sel dans les veines et dans le ventre… avec une odeur de hareng boucané, de morue fraîche et d’air salin du large dans les narines. Un rêveur de liberté à la dérive, dont le regard sur l’horizon valse avec le mouvement ondulatoire, répété et jamais le même, de cette mer nourrice que sont les eaux du Golfe et de l’Océan. Ce tango dansé sans fin, au rythme séducteur des systoles et diastoles océanes qui frétille dans les entrailles du moussaillon sur le pont des mers. Un fils des courants généreux et des marées changeantes, des labours aquatiques en friche et en jachère. Un fils de l’Acadie, de la Nouvelle-Écosse et de l’Île-du-Prince-Édouard. Un fils des Îles de la Madeleine.

Mes Îles de mer, de sable, de brume et de vent, ce sont les îles de mon enfance, de mes souvenances, d’hier et d’aujourd’hui. Ce ne sont pas seulement que des falaises de grès « rouge et gris », ni que des « buttereaux » de sable fin et de buttes en verts pâturages, ni qu’un vent qui rumine sans cesse et qui excite chaque pore de la peau, ni que des couchers et levers de soleil qui appellent au silence, ni que des vagues tantôt arrogantes, tantôt apaisantes qui échouent de murmures en murmures comme un chapelet de litanies et de prières sur nos plages et nos falaises pour mieux renaître à leur ressac. Mes Îles de mer, de sable, de brume et de vent, c’est le sel de nos vies et de nos mots, de notre parlure et de nos accents. C’est notre manière de dire, d’être et de faire. Mes Îles de mer, de sable, de brume et de vent, ce sont des chansons transportées de port en port, d’Île en Île, de déportations aux grands dérangements comme un câlin fraternel dans l’agitation des naufrages, des vies retirées à ces hommes de mer et de la nourriture en abondance sur la table mise… L’insularité, c’est le lien indomptable avec cette mer qui nous donne tout et qui peut aussi tout nous retirer… Mes Îles de mer, de sable, de brume et de vent, c’est cette résilience acadienne et madeleinienne, cette vaillance inscrite dans nos gènes et transposée de si belle façon par l’archet d’Aurélien à Rosimond Jomphe, de notre Petit Félix national à Léger à Raymond Leblanc et de Bertrand à Arnold à Célestin Déraspe. Ce sont les guitares, les cuillères, l’ivoire et l’ébène de nos pianos qui « fortillent » à l’ancre de nos salons pour égayer nos soirées festives et de retrouvailles qui n’en finissent plus… comme autant de repères qui radoubent nos barques intérieures et nous ramènent à l’essentiel…

Mes Îles de mer, de sable, de brume et de vent… invitent à la fête mais aussi au repos, au silence enivrant et salvateur comme le décrit si justement cette méditation poétique de Lamartine :

Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,
Dans la nuit éternelle emportée sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l’océan des âges
Jeter l’ancre un seul jour ?
[…]
Ô temps ! Suspends ton vol, et vous, heures propices !
Suspendez votre cours :
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours !

Alphonse de Lamartine, Le lac (extrait)

Que c’est beau ! Que c’est vrai ! Détente sublime…

À bétôt

Donald à Donat à Clémé


1 Ce texte, avec quelques modifications, fut publié, pour la première fois, dans un ouvrage collectif, aux Éditions Création Bell’Arte, 2016, ISBN : 978-2-923033-66-2.

[i] Publication que j’ai réalisée en 1984 avec Jean Sauvageau intitulée : La famille Longuépée en Acadie, en France, en Louisiane, à l’Île-du-Prince-Édouard, aux Îles de la Madeleine. Recherche coordonnée par Jean Sauvageau, et déposée aux archives d’Ottawa et de Québec. Publication épuisée.

[ii] L’Office de la langue française du Québec indique que la graphie de ce gentilé est « Madelinienne », mais je préfère la graphie « Madeleinienne ». Ce sera mon choix tout au long du texte.


Donald Longuépée est né aux Îles de la Madeleine. Il a étudié en littérature à l’Université Laval et en administration à l’École des Hautes Études Commerciales de Montréal. Il est actuellement conseiller aux dossiers métropolitains à la direction générale de la Ville de Repentigny, et ce depuis 2006. En dehors de ses champs d’intérêt et d’expertise liés à son travail, la littérature, la spiritualité, l’histoire, la philosophie, les sciences, la psychologie et tout spécialement l’âme humaine exercent chez lui un attrait particulier.

 

Photo : Joël Landry