À la pêche aux oursins

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En hiver, les oursins sont la principale raison d’aller sur nos rivages rendus hostiles par le froid, les embruns et les coups de vent. Des rochers recouverts d’algues sombres, bordés d’une croûte de glace diaphane, l’océan et le ciel tous les deux le plus souvent gris « manche de pelle »… Au cœur de ce paysage monochrome se cache un trésor couleur de braise : le corail généreux des oursins, à son apogée en hiver.

Une tradition qui se porte bien !

Il faisait beau, froid, ensoleillé et sans (trop de) vent. Une belle journée d’hiver. Un de ces après-midis où la neige crisse sous les pas, avertissant avec des « cric-crics » qu’on doit être en dessous des – 10°. Avec un coefficient de marée élevé, la mer avait suffisamment perdu pour inviter à une pêche aux oursins.

Comme la plupart des traditions maritimes de Saint-Pierre et Miquelon, nos différentes pêches à pied traversent les époques et restent très pratiquées toute l’année. Certainement aussi anciennes que notre peuplement : la pêche aux oursins, qu’on effectue d’octobre à avril (les mois en -R) a encore de beaux jours devant elle. Il suffit de jeter un coup d’œil sur les pages Facebook des Saint-Pierrais et Miquelonnais pour voir qu’en hiver, ils sont nombreux à aller au plain avec leur pince et leur seau ! Ici, les oursins ont des centaines d’adeptes !

Une pêche pratiquée dans une eau glaciale, on n’y va pas le nez au vent, ça demande un minimum d’équipement et de connaissances.

La pêche aux oursins : mode d’emploi

A Saint-Pierre et Miquelon, la pêche aux oursins se pratique à pieds, sur le littoral.

Le pêcheur va s’avancer dans la mer au moins jusqu’à mi-cuisse ou aussi loin que sa tenue le lui permet. Les conditions hivernales imposent un équipement adapté, vous vous en doutez. On a accompagné Bernard dans sa partie de pêche.

la pêche aux oursins saint-Pierre et Miquelon
La tenue du pêcheur d’oursins. Crédit photo HDE

 

– Des cuissardes, qu’on appelle ici, des » bottes montantes »
– Des gants-manches en caoutchouc doublés de néoprène : l’ennemi n°1 du pêcheur d’oursins est bien sûr le froid. Le néoprène aide bien
– Une pince très longue (genre maxi pince à épiler)
– Un seau.

Ça, c’est le minimum.

Les oursins sont sous l’eau quand on les cueille, impossible de les prendre à la main, d’où la nécessité de la pince qui permet de les atteindre.

Bernard, tient sa pince à oursins de Françis Delizarraga, une figure locale, un de nos derniers petits pêcheurs et son ancien voisin. Un modèle système D, à l’ancienne : deux manches de bâtons de hockey rabotés aux extrémités et « tépés » (collés ensemble avec du tape, de l’adhésif) en haut sur une cale pour permettre de pincer. Très simple et très efficace.

L’autre outil bien utile pour la pêche aux oursins est le fish-loupe. Une sorte de caisson à fond transparent, toujours de fabrication maison.

    • Une plaque de plexiglass,
    • quatre côtés en bois,
    • un bon joint de silicone
    • un manche,

et voilà le pêcheur-cueilleur prêt à voir le fond quand il s’avancera dans la mer. Une pince dans une main, le fish-loupe dans l’autre. C’est aussi dans cette boite qu’il recueillera les oursins.

L’ébéniste Saint-Pierrais Yannick Autin, a porté la sophistication un cran au dessus. Il a conçu un dispositif unique extrêmement bien conçu : le kit pêche aux oursins.

oursins

Un tout- en-un conçu par un amateur d’oursin ingénieux ! On me souffle dans l’oreillette que ce sont ses origines miquelonnaises qui lui confèrent ce trait de génie. Je ne me prononce pas sur ce point !…

 

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Le kit pêche aux oursins et son créateur, Yannick Autin – Au Fil du Bois.  crédit photo HDE

En faisant des recherches sur la pêche aux oursins dans la région, je n’ai trouvé que des exemples de pêche en plongée ou bien au moyen d’une drague. Serions-nous les seuls à Saint-Pierre et Miquelon à pêcher les oursins à pied ? Si vous avez des informations à ce sujet, partagez-les avec nous !

Vous saurez tout sur les oursins

pêche aux oursins saint-pierre et miquelon
Un oursin, posé sur « le dos » pour la photo. La Lanterne d’Aristote et ses cinq dents est bien visible au centre. Crédit photo : HDE
      •  L’oursin est un broutard, il se délecte d’algues avec une préférence pour les « queues de vaches » (les laminaires). Ces végétaux marins jouent le rôle de nurserie pour plusieurs espèces de poisson. Trop d’oursins, ça veut dire moins d’algues et un habitat réduit pour d’autres populations aquatiques. Donc, allez-y, ramassez des oursins, les poissons apprécieront.

 

      • Si vous vous demandez pourquoi le corail d’oursins varie de couleurs d’un spécimen à l’autre (et c’est très visible quand vous en avez ouvert une vingtaine) la réponse est dans son alimentation et le type d’algues qu’il aura mangé, tout simplement

 

      • Gravé dans ma mémoire depuis ma plus tendre enfance: la bouche des oursins porte un bien joli nom. Ma mère me l’avait appris et répété au cas où, un jour, quelqu’un me pose la question : « Mais au fait, Patricia, comment appelle-t-on la bouche des oursins ? ». Triomphante, j’aurais alors pu lâcher : « C’est la lanterne d’Aristote« . Hélas, de toute ma vie, on ne m’a jamais interrogée sur les oursins…. Je n’ai pas eu mon moment de gloire. Eh non.

Mais c’est une tradition familiale de passer le message alors retenez bien ce nom ! La lanterne d’Aristote c’est 5 dents en action, et un « sourire » aux allures préhistoriques quand on le regarde de très près.

      • Les oursins ne vieillissent pas. Hé oui Madame ! Ils naissent, grandissent et meurent sans connaitre cette lente dégradation qui nous pend au bout du nez ( et moins de 10 ans d’espérance de vie pour nos oursins verts). C’est à ce point phénoménal qu’ils font l’objet de plusieurs études scientifiques qui espèrent percer le mystère de leur éternelle jeunesse. Un masque aux oursins ? des gélules d’oursins ? on fait quoi ? Dites-nous vite qu’on s’y mette !
      • Les oursins ont du caractère ! De nombreuses tentatives d’élevage d’oursins ont été réalisées, notamment à Terre-Neuve. Jusqu’à présent, rien à faire, les oursins élevés en captivité sont immangeables. Conclusion : ils veulent vivre libres ! Ils sont indépendants et SAUVAGES !

Un mets de choix pour les Français … et les Japonais

sushi d'oursin Saint-Pierre et Miquelon
Un sushi de « uni », le nom japonais de l’oursin

Pour ce que j’en sais, la pêche aux oursins, si elle est très populaire dans l’archipel, ne l’est pas autant dans la région. À Terre-Neuve, les oursins sont cueillis, traités et expédiés directement au Japon avec, semble-t-il la même moue dégoûtée, que celle qu’on affiche devant un bac de concombres de mer (qui sont vraiment répugnants).

On les appelle même « whore’s egg« , c’est dire s’ils sont mal considérés. Eh bien, voilà un point commun entre la gastronomie de Saint-Pierre et Miquelon et les usages nippons : les oursins, appelés « uni » au Japon sont consommés en sushi. Et sont vendus une fortune, comme vous pouvez l’imaginer (pas pour ceux qui ont des oursins dans les poches. Hummm hummm … pas pu m’en empêcher !)

Ici, pas de sushi, on les mange comme ça : en plateau et tellement frais que les piquants bougent encore. C’est délicieux avec un peu de vinaigrette aux échalotes, du « pain de beurre » et pour les puristes, un bol de thé au lait.

Un plateau d'oursins Saint-Pierre et Miquelon
Un beau plateau d’oursins. A peine sortis de l’eau ils seront consommés avec « du pain de beurre ». Crédit photo : Anne Salomon

 

Entre la pêche et la dégustation il y aura la phase découpe et nettoyage. C’est plutôt une corvée il faut bien le reconnaître…. la preuve en images :

 

 

Pourtant on trouve toujours des gens que rien n’arrête ! Ce sont ces mêmes personnes qui sont capables de rester des heures devant l’évier de la cuisine pour ouvrir et nettoyer des seaux entiers d’oursins… Leur peine est bien récompensée : ils auront assez de gonades pour fabriquer du pâté d’oursins.

Mais avant de vous livrer la recette, faisons petit retour en arrière…. Rendons-nous en 1933.

Une usine de traitement des oursins

usine de traitement des oursins Saint-Pierre et Miquelon
la chaîne de production du traitement des oursins. Crédit : grandcolombier.com

La belle époque de la Prohibition – dont nous fêtons le centenaire cette année – arrive à son terme au tout début des années 30. On recherche un nouveau souffle économique pour l’archipel après une période dorée mais bien courte. C’est dans ces années là qu’un vétérinaire de métropole, Albert Le Bolloch s’installe dans l’archipel pour mettre sur pieds une usine de traitement des oursins.

L’objectif : produire du suprême d’oursin.

Il y parvient de façon remarquable et quelques années plus tard le suprême d’oursins est vendu dans les plus grandes épiceries fines de Paris telles que Fauchon ou Hédiard.

Les meilleures tables de la capitale le servent : La Coupole, le Colisée et même le légendaire Maxim’s mettent au menu le suprême d’oursins de Saint-Pierre et Miquelon.

Pour faire face à la demande croissante Albert Le Bollocq quitte Saint-Pierre et Miquelon et s’installe à Montréal. Hélas la guerre éclate, les commandent ne sont plus là et l’entreprise périclite. Il décède tragiquement en 1944.

J’ai trouvé ces informations que je résume ici dans un article passionnant et très bien illustré, dont je vous recommande la lecture sur le site grandcolombier.com

suprême d'oursins publicité
Publicité pour le suprême d’oursins. Crédit : grandcolombier.com