Comment se débarrasser d’une fausse nouvelle

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C’était dans les années 70, un reportage commandé par un groupe animaliste a crucifié les chasseurs de phoques. 

On les a dépeints comme des barbares.

Que le gars qui a produit le reportage ait plus tard admis qu’on lui avait demandé de trafiquer la réalité n’y a rien changé, l’image de tueurs cruels et sanguinaires a collé aux Madelinots — et aux Terre-Neuviens entre autres —, à tel point qu’ils sont devenus des parias.

Aucun gouvernement, pas plus à Québec qu’à Ottawa, ne voulait les entendre. «Dès que tu prononçais le mot phoque, la porte se refermait.» Ghyslain Cyr en sait quelque chose, il était aux premières loges de cette mise au ban, personne ne l’écoutait quand il disait que les phoques gris, un jour, allaient être trop nombreux.

Nous y sommes.

«Et on ne s’est pas beaucoup trompés dans nos projections.»

Cette volte-face du gouvernement canadien était d’autant plus spectaculaire considérant que jusqu’en 1983, on offrait une «prime à la mâchoire» pour diminuer le nombre de phoques. «Il fallait ramener la mâchoire du bas et il fallait qu’elle soit assez grosse pour qu’ils puissent la différencier.»

En 1983, dans la tourmente des opposants à la chasse, Ottawa a mis fin à la prime.

Moins de 10 ans plus tard, il a imposé un moratoire sur la morue.

Les pêcheurs le savaient bien, eux, que le phoque gourmand était en grande partie responsable de la chute des stocks de morue, mais Ottawa a préféré détourner le regard en espérant que la morue revienne. Elle n’est pas revenue. Le ministère des Pêches et Océans estime qu’il y avait 424 000 phoques gris en 2016 dans l’Atlantique.

Chacun mange entre une et deux tonnes de poisson par année.

En fait, la morue est revenue un peu autour de Terre-Neuve où, ce n’est pas un hasard, on a augmenté les quotas de chasse aux phoques.

Aux Îles pendant longtemps, on voulu contrer la désinformation en s’engageant dans la guerre de l’image, répliquant «nous ne sommes pas des sauvages» au «ils sont des sauvages» des animalistes. Ces groupes avaient des millions que les Madelinots n’avaient pas et une image-choc, le blanchon ensanglanté sur la banquise.

Même si on ne le chassait déjà plus.

Directeur de l’Association des chasseurs de phoques Intra-­Québec, Gil Thériault a bien compris que les chasseurs des Îles, à armes inégales, n’allaient pas gagner. «C’est certain que sur ce terrain-là, on n’avait aucune chance.»

Il fallait livrer la guerre autrement.

Depuis une bonne décennie, les Madelinots ont ouvert un autre front, en passant par l’estomac. Au lieu de miser sur l’image, ils ont détourné la guerre dans l’assiette, en vantant les vertus de cette viande sauvage, bourrée de fer et d’oméga 3, qui s’apprête aussi bien en tataki qu’en filet.

Et ça vient du Québec.

De plus en plus de jeunes y mettent leur grain de sel, de plus en plus de chefs cuisinent cette viande un peu partout au Québec.

On en fait un produit recherché.

Hier en fin de journée, le Rendez-­vous loup-marin — auquel j’assiste — présentait une conférence de Pierre-Yves Daoust, pathologiste de la faune qui se spécialise depuis plusieurs années dans l’analyse de la viande de loup marin. On lui a demandé d’évaluer si l’animal était l’hôte d’agents infectieux.

En clair, on lui a demandé de scruter si la viande était saine.

Et on fait ça pour aller au-­devant des coups. «Le but de faire ces études-là, c’est de favoriser la commercialisation des produits du phoque et c’est aussi pour prévenir les critiques. Je suis bien conscient que les groupes animalistes sont toujours à la surface et que, tôt ou tard, ils vont réagir. Et on saura quoi répondre.»

Ils ont appris.

Sans faire de vague, l’industrie du loup-marin reprend tranquillement du poil de la bête. Une nouvelle entreprise vient de voir le jour, SeaDNA, qui vise entre autres à commercialiser l’huile de loup-marin, dont les effets protecteurs sur la santé sont documentés.

Selon les données de 2016 du ministère fédéral des Pêches et Océans, la valeur des exportations de produits du loup-marin — toutes espèces confondues — a plus que doublé en une seule année, bondissant de 366 millions $ en 2015 à 858 millions $.

Ça a probablement augmenté depuis.

D’où l’importance capitale de s’assurer de la qualité de la matière première, la chair de l’animal, sachant que la viande sauvage peut contenir d’indésirables infections et contaminants. D’entrée de jeu, M. Daoust nous a dit que, de 1940 à 2004, on a répertorié 335 nouvelles maladies infectieuses.

Dont le SRAS, en 2003, par des chauves-souris frugivores.

Probablement pareil pour COVID-19.

Nous avons eu un cours d’agents infectieux en accéléré, avons appris l’existence de la bactérie erysipelothrix, qu’on retrouve «partout dans le monde», souvent chez les poissons, qui peut s’installer dans une petite plaie, notamment sur les mains. «Ça peut devenir une maladie généralisée si ce n’est pas traité».

Ça touche d’ailleurs les pêcheurs.

Pierre-Yves Daoust n’a rien trouvé d’inquiétant dans le loup-marin. «Les conclusions sont positives. On a trouvé des pathogènes, mais qui ne présentent pas de risques en appliquant des mesures sanitaires standard qui sont déjà appliquées. […] Pour la toxoplasmose par exemple, il suffit d’une congélation de trois jours à -10 degrés ou moins.»

On fait pareil pour le poisson à sushi.

Encore aujourd’hui, plus de 40 années après cette spectaculaire campagne de désinformation, les Européens maintiennent leur moratoire sur les produits du phoque, avec une mince lézarde pour quelques exceptions autochtones, cela même si les techniques de chasse — puisqu’il faut en parler — ont été jugées pas plus ni moins cruelles que l’abattage de n’importe quel animal.

On utilise aussi la carabine, comme pour un ours.

Et personne ne boycotte l’ours.

* Ce séjour aux Îles-de-la-Madeleine est une invitation du Rendez-vous loup-marin, qui fournit le transport, l’hébergement et les repas. J’en profite d’ailleurs pour souligner la qualité de l’accueil des gens de l’Auberge la Salicorne, où je loge.

 

Par Mylène Moisan