Fausses nouvelles et COVID-19 : «un tsunami de désinformation»

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La Voix acadienne sengage dans la lutte contre les fausses nouvelles. Un site internet à été mis en ligne, contenant des ressources pour vous aider à y voir plus clair, et un jeu sérieux pour vous apprendre à démasquer les fausses nouvelles. Dans le cadre de ce projet, une série d’articles seront publiés.


Le premier fait le point sur le problème de la désinformation, qui est devenu une véritable épidémie.

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Selon Jean-Hugues Roy, professeur à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal, on assiste à un tsunami de désinformation. (Photo : Gracieuseté)

Quelle est la différence entre : le coronavirus a été créé par l’homme, il se soigne avec une tisane à l’ail et est lié à la technologie 5G? Réponse : aucune. Ces trois affirmations, qui ont toutes circulé sur les médias sociaux, sont fausses. Car la pandémie de COVID-19 s’accompagne d’une autre épidémie, celle des fausses nouvelles. «On assiste à un tsunami de désinformation», s’inquiète Jean-Hugues Roy, professeur à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal. Il exagère à peine : rien qu’en avril, Facebook a affiché des avertissements sur 50 millions de publications problématiques dans le monde.

Les chercheurs interrogés sont unanimes : la désinformation ne date pas d’hier. Mais avec internet, les fausses nouvelles se diffusent beaucoup plus rapidement et efficacement. Les plateformes numériques, Facebook en tête avec ses 1,8 millard d’utilisateurs, jouent un rôle clé dans cette propagation massive. «Des théories du complot qui mettaient des années à s’installer pour d’autres virus, comme Ebola ou le VIH, se répandent désormais en quelques semaines», constate Marie-Ève Carignan, professeure au département de communication de l’Université de Sherbrooke.

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Marie-Ève Carignan, professeure au département de communication de l’Université de Sherbrooke.

Les jeunes, premières victimes   

Si les fausses nouvelles se répandent si vite, c’est à cause des «bulles filtres» créées par les médias sociaux. Leur fonctionnement pousse les citoyens à s’enfermer dans leur propre sphère d’opinion. Car sur Facebook, ce n’est pas vous qui choisissez l’information que vous voyez, mais un programme qui vous propose ce que vous aimez uniquement pour vous garder devant l’écran. «L’algorithme emmène les internautes qui passent des heures en ligne dans un monde parallèle», assure Marie-Ève Carignan.

Peut-on dresser un portrait robot du consommateur de fausses nouvelles? D’après la chercheuse québécoise, qui étudie le phénomène avec une équipe de chercheurs internationaux, les premières victimes sont les plus jeunes, notamment les 18-34 ans. «Et après 55 ans, l’adhésion descend beaucoup», rapporte-t-elle. Autre point intéressant selon la spécialiste, le niveau de scolarité joue un rôle. «Des gens qui n’ont pas fait d’études supérieures ont plus tendance à adhérer à des idées complotistes, observe-t-elle. Avoir été à l’université peut agir comme une barrière de protection».

Si la désinformation rencontre un tel succès, c’est qu’elle exprime une défiance à l’égard des élites politiques, médiatiques et intellectuelles. «Plus les gens sont méfiants envers les autorités, les experts, plus ils tendent à adhérer à une vision complotiste des choses», confirme Marie-Ève Carignan.

«Développer l’esprit critique»

Derrière la crise sanitaire se cache donc une crise de confiance qui n’épargne pas le monde scientifique. Alors que les chercheurs sont plus que jamais mobilisés, une part importante de l’opinion publique rejette leurs conclusions et les théories du complot prospèrent.

Une raison est à chercher du côté du choc émotionnel lié à la pandémie. «Quand on est en détresse on a du mal à se dire que c’est lié à une cause naturelle inexplicable, observe Marie-Ève Carignan. On cherche des réponses rassurantes et on préfère se dire qu’il y a des gens qui sont derrière tout ça.» «Le public doit accepter l’absence de réponse rapide et simple, les erreurs, les retours en arrière», complète Normand Landry, professeur à l’Université Téluq et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en éducation aux médias.

Comment lutter contre la désinformation? Les experts insistent sur l’éducation à l’information et la nécessité d’améliorer les compétences numériques de la population. «Il faut développer l’esprit critique des citoyens, souligne Normand Landry. Leur donner les outils pour détecter les fausses nouvelles, tout en favorisant une plus grande compréhension scientifique.» Le chercheur rappelle par ailleurs l’importance du travail de vérification des faits des journalistes.

Réglementation insuffisante 

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Normand Landry, professeur à l’Université Téluq et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en éducation aux médias, souligne qu’il faut développer l’esprit critique des citoyens pour lutter contre la désinformation. (Photo : Gracieuseté)

L’autre arme, c’est la réglementation des plate-formes numériques, Facebook, Twitter ou Google. Sous la pression de l’opinion, elles ont fini par engager des actions comme le système d’alerte chez Facebook. Mais Florian Sauvageau ne croit pas à cette autorégulation. «Facebook qui décide quelles sont les nouvelles vraies ou fausses, ça peut conduire à la censure», avertit le journaliste et professeur au Département d’information et de communication de l’Université Laval.

«Les contrôles mis en place jusqu’à présent sont peu satisfaisants. Les autorités doivent imposer des mesures», abonde Normand Landry. On touche au cœur du problème : les géants de l’Internet peuvent-ils indéfiniment, en refusant de se considérer comme des médias, échapper à leurs responsabilisés alors que 41 % des Canadiens s’informent sur Facebook?

Qui se cache derrière les fausses nouvelles?

Tout le monde n’écrit pas des mensonges pour les mêmes raisons. Il y a ceux qui veulent se remplir les poches grâce au filon des «pièges à clic». Ils écrivent des articles sensationnalistes, mécaniquement favorisés par les médias sociaux. Car plus c’est extrême, plus on partage, parfois sans même lire ou savoir d’où ça vient. Et plus on partage, plus le site génère du trafic, donc de l’argent. «Chaque clic augmente la valeur marchande des fausses informations et génère des revenus publicitaires. C’est un véritable modèle économique», explique Normand Landry.

Il y aussi aussi ceux qui cherchent à intoxiquer à des fins de propagande politique. «Certains leaders, à l’image de Donald Trump, voient la désinformation comme une arme politique. Ils instrumentalisent la défiance des gens à l’égard des médias pour effriter la confiance dans ce contre-pouvoir essentiel», analyse le chercheur. On ajoutera à ces deux catégories, ceux qui font des blagues et ceux qui mentent sans en avoir grand-chose à faire.

PAR Marine Ernoult