Érosion : un homme d’affaires madelinot au bord du gouffre

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L’entreprise de Patrick Chevarie est littéralement au bord du gouffre. Vendredi, il est devenu le premier homme d’affaires des Îles-de-la-Madeleine à obtenir les autorisations gouvernementales requises pour effectuer des travaux d’urgence visant à freiner l’érosion, un phénomène qui menace la survie de son commerce.

Lorsqu’on regarde la façade du bâtiment commercial de Patrick Chevarie, difficile de voir que le sol qui le supporte menace de céder. Le commerce qui abrite deux restaurants, un cinéma, les bureaux de Service Canada, des appartements de tourisme, un coiffeur et une entreprise de communication est l’un des plus imposants de Cap-aux-Meules.

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L’édifice Cyrco abrite de nombreux commerces. PHOTO : RADIO-CANADA / ISABELLE LAROSE

Mais, vu de la mer, on comprend pourquoi Québec considère depuis octobre 2019 le bâtiment en danger imminent d’effondrement en raison de l’érosion.

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L’érosion a créé des grottes au pied de la falaise, contribuant ainsi à l’instabilité de la falaise (archives). PHOTO : RADIO-CANADA / ISABELLE LAROSE

Le passage de la tempête Dorian en septembre 2019 a eu l’effet d’une douche froide pour Patrick Chevarie. L’érosion gagnait du terrain depuis déjà plusieurs années, mais c’est à partir de là que tout a chamboulé  se rappelle l’entrepreneur.

«Après la tempête, quand j’ai été obligé de déménager mes conteneurs de poubelle parce que le stationnement tombait dans la falaise, j’ai réalisé que j’avais un gros problème.» – Patrick Chevarie, propriétaire de Gestion P. Chevarie

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L’érosion a grugé la falaise à quelques mètres à peine du bâtiment commercial de Patrick Chevarie. PHOTO : RADIO-CANADA / ISABELLE LAROSE

Il sait alors qu’il doit passer à l’action pour assurer la survie de son entreprise qui génère un chiffre d’affaires dans les sept chiffres, mais la marche à suivre lui est totalement inconnue.

Moi, je suis un entrepreneur, je ne connais rien dans les falaises, lance Patrick Chevarie. Quand une affaire comme ça arrive, tu es dépourvu, tu ne sais pas quoi faire. On se tourne vers qui? On fait quoi? Tu n’oses plus dépenser d’argent dans ton commerce, parce que tu ne sais pas ce qui va se passer.

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Patrick Chevarie voit la falaise s’approcher rapidement de son commerce. Chaque tempête provoque un énorme stress pour l’hommes d’affaires. PHOTO : RADIO-CANADA / ISABELLE LAROSE
Après quelques coups de téléphone, il réalise qu’il n’y a pas d’assurances pour ce genre d’événement-là. Le constat est choquant : l’érosion pourrait lui faire perdre le travail d’une vie.

Si je perds le bâtiment, je perds tous mes commerces qui sont dedans, mais je perds aussi ma maison qui est rattachée à la caisse, mentionne M. Chevarie.

«Tu te dis que tu vas peut-être perdre toute ta vie en raison de l’érosion. La vie n’est pas censée être faite comme ça.» – Patrick Chevarie, propriétaire de Gestion P. Chevarie

Heureusement, le Programme général d’indemnisation et d’aide financière lors de sinistres réels ou imminents administré par le ministère de la Sécurité publique est mis en œuvre à la suite de la tempête post-tropicale Dorian.

Le propriétaire devient admissible à une aide financière maximale de 330 000 $ qui peut servir à stabiliser la falaise, car il est impossible de déplacer l’énorme bâtiment, mais les démarches pour ce faire doivent être menées par Patrick Chevarie.

Un accompagnement municipal

Le choc passé, M. Chevarie s’est retroussé les manches et a entrepris des discussions avec la Municipalité des Îles-de-la-Madeleine. L’administration municipale a pris en charge la conception de l’ouvrage et la demande de certificat d’autorisation pour les travaux d’urgence au nom de M. Chevarie.

Il faut accompagner ces gens-là parce qu’il y a effectivement de quoi s’y perdre, souligne le directeur de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme des Îles-de-la-Madeleine, Serge Bourgeois.

«Les simples citoyens ou les gens d’affaires ne sont pas habitués à travailler dans ce genre de dossier-là, avec toutes les demandes à faire au niveau environnemental, administratif et d’aide financière.» –  Serge Bourgeois, directeur de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme

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Serge Bourgeois est directeur de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme à la Municipalité des Îles-de-la-Madeleine. PHOTO : RADIO-CANADA / ISABELLE LAROSE

La participation municipale est aussi vitale, car les travaux d’urgence de nature privée doivent tout de même s’harmoniser avec le futur chantier de protection des falaises du centre-ville de Cap-aux-Meules, un vaste projet de huit millions de dollars visant à protéger 820 mètres de côte d’ici mars 2022.

On ne voulait pas laisser un promoteur avancer là-dedans sans tenir compte du projet qui s’en vient, souligne Serge Bourgeois. On ne peut pas faire deux projets en contradiction et d’avoir à défaire des choses. On avait tout intérêt à l’accompagner et inclure ça dans le projet global de stabilisation de la falaise de Cap-aux-Meules.

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La valeur des actifs qui seront protégés par l’ouvrage global de protection de 820 mètres se chiffre à plus de 46,7 M$ selon le ministère de la Sécurité publique. PHOTO : RADIO-CANADA / ISABELLE LAROSE

Depuis quelques mois, la Municipalité des Îles-de-la-Madeleine a même embauché une ressource dédiée uniquement aux dossiers liés à l’érosion et à l’adaptation aux changements climatiques.

On est peut-être la première municipalité à le faire au Québec, avance Serge Bourgeois. C’est rendu suffisamment important aux Îles pour qu’on ait une personne spécifiquement dédiée à cette tâche-là. L’accompagnement des propriétaires qui font face à l’érosion, c’est un travail qu’on va devoir faire de plus en plus.

Help!","text":"Help!"}}">Help!

Malgré l’accompagnement municipal, c’est à Patrick Chevarie que revient le rôle de trouver un entrepreneur capable d’effectuer les travaux d’urgence.

Help!","text":"On m’a dit que j’étais le maître de chantier. Help!"}}">On m’a dit que j’étais le maître de chantier. Help!, lance-t-il en riant. Je ne connaissais rien là-dedans. Quelles sont les compagnies qui peuvent faire ça et qu’est-ce que je dois leur dire? J’appelle et je dis que j’ai une falaise qui va tomber? C’est quoi les termes que j’utilise?

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Bien malgré lui, Patrick Chevarie a dû se familiariser avec les dédales administratifs pour obtenir les autorisations nécessaires en vue d’effectuer des travaux d’urgence. PHOTO : RADIO-CANADA / ISABELLE LAROSE

Après plusieurs mois de démarches, l’autorisation finale du ministère de l’Environnement est finalement arrivée vendredi, laissant croire que les travaux d’urgence qui seront effectués par une entreprise madelinienne pourraient commencer au début du mois d’avril.

Malgré le lancement imminent du chantier, Patrick Chevarie refuse de crier victoire. Ce n’est pas fait encore, mais ça bouge super bien, admet-il.

Quand la pépine va arriver, là, ajoute-t-il, ça va être un soupir de soulagement, mais d’ici là il peut encore y avoir une tempête qui va me faire perdre mon bâtiment et faire en sorte que toutes mes craintes deviennent réalité.

L’aventure n’a pas fait perdre la passion à M. Chevarie. Au contraire, il sent maintenant qu’il a les coudées franches pour continuer à développer son entreprise. Il cherche même un adjoint à la direction pour l’épauler dans ses multiples projets.

«Je veux aller de l’avant comme si on était là encore pour le reste de la vie. Après les travaux, la page sera tournée.» – Patrick Chevarie, propriétaire de Gestion P. Chevarie

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Patrick Chevarie a bien hâte que les travaux d’urgence et le vaste chantier de stabilisation des falaises soient complétés pour tourner la page. PHOTO : RADIO-CANADA / ISABELLE LAROSE

Les derniers mois ont aussi été une grande leçon de lâcher-prise pour l’homme d’affaires.

Il faut avoir confiance aux gens qui connaissent ces dossiers-là et continuer d’avancer, parce que sinon, c’est lourd sur la tête. J’ai appris à laisser aller les choses qui ne m’appartiennent pas, conclut Patrick Chevarie.

LA UNE : Depuis octobre 2019, le bâtiment commercial de Patrick Chevarie est considéré en «danger imminent d’effondrement» par le ministère de la Sécurité publique. PHOTO : RADIO-CANADA / ISABELLE LAROSE