Faire les foins aux Îles-de-la-Madeleine : le parcours du combattant

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Les agriculteurs madelinots sont confrontés à de nombreux défis, dont la sauvegarde des terres cultivables.

Alors que le mois d’août est déjà bien entamé, l’agriculteur madelinot Dominique Arseneau n’a pas encore terminé sa première coupe de foin. La plupart des terres où il récolte ses fourrages ne lui appartiennent pas, elles sont disséminées sur trois îles et, surtout, leur vocation agricole n’est pas garantie.

C’est un gros défi de faire les foins sur un archipel, lance d’emblée M. Arseneau, copropriétaire de la ferme Pointe-Basse et de la fromagerie Pied-de-Vent.

Pour nourrir son troupeau de 135 vaches laitières de race canadienne, il doit engranger 1500 balles de foin. Comme ses propres terres ne suffisent pas à assurer cette récolte, le producteur laitier compte sur une trentaine de propriétaires terriens qui acceptent de prêter ou louer leur parcelle pour la culture des fourrages.

«On couvre trois îles, on se déplace des fois à 140 kilomètres aller-retour pour aller chercher quelques rouleaux dans un champ, quelques rouleaux dans un autre petit champ.» – Une citation de :Dominique Arseneau, producteur laitier

À la fin du processus de la première coupe, souvent il s’est passé un mois et demi. C’est un long parcours du combattant.

 

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«La majorité des terres à foin nous sont prêtées ou louées, donc on a une multitude d’ententes avec les propriétaires terriens», explique l’agriculteur madelinot Dominique Arseneau. PHOTO : RADIO-CANADA / ISABELLE LAROSE

Sur certains lots, il se déplace pour une maigre récolte de trois balles. Les plus grandes parcelles lui permettent d’obtenir quelques 130 ballots de foin, signe que les terres cultivables madeliniennes sont petites et morcelées, héritage d’une agriculture de subsistance dont le modèle est aujourd’hui dépassé.

Mais, il y a pire qu’avoir à déambuler en tracteur dans le trafic estival des Îles-de-la-Madeleine : ne pas savoir si la terre agricole qu’on entretient depuis plusieurs années sera bientôt le théâtre d’une construction résidentielle.

Ça nous est déjà arrivé de travailler des terres, les labourer, les ensemencer, puis, pouf! Le propriétaire vend son terrain et il y a une maison qui pousse dessus avec un champ d’épuration et là, c’est fini, raconte Dominique Arseneau. Il faut trouver un autre champ ailleurs.

«On voit la pression qui se passe sur l’acquisition de terres pour la construction, c’est une grande menace qui plane sur l’avenir des terres agricoles maintenant.» – Une citation de :Dominique Arseneau, copropriétaire de la ferme Pointe-Basse

 

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Quelque 1500 ballots de foin sont nécessaires pour nourrir le troupeau de la ferme Pointe-Basse. Ils sont récoltés dans plus de 30 champs différents. PHOTO : RADIO-CANADA / ISABELLE LAROSE

Des terres agricoles non protégées

Contrairement au reste du territoire québécois, la vaste majorité des terres agricoles des îles de la Madeleine ne sont pas assujetties à la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles adoptée en 1978.

Quand le gouvernement du Québec a instauré le zonage agricole, il y a eu un refus aux Îles-de-la-Madeleine de faire partie de la zone agricole québécoise, explique le directeur de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme de la Municipalité des Îles-de-la-Madeleine, Serge Bourgeois. À ce moment-là, l’agriculture était à son plus bas niveau. Les Madelinots ne voyaient pas l’utilité de se doter de cette contrainte-là de protection. L’agriculture était vue comme un moyen de subsistance du passé.

 

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La construction de nouvelles maisons morcelle encore davantage le territoire agricole madelinot (archives). PHOTO : RADIO-CANADA / ISABELLE LAROSE

Les agriculteurs avaient tout de même la possibilité d’entreprendre eux-mêmes les démarches pour faire reconnaître le zonage agricole de leurs terres auprès de la Commission de protection des terres agricoles du Québec, mais seulement 85 hectares de terre ont ainsi été protégés.

La Municipalité s’est parallèlement dotée de certains règlements concernant les zones agricoles, mais les constructions résidentielles y sont toujours possibles en respectant certaines conditions.

Ça n’assure pas du tout la même protection que le zonage agricole québécois, admet Serge Bourgeois.


La culture fourragère aux Îles-de-la-Madeleine

  • Une quinzaine de producteurs madelinots cultivent ou utilisent du foin.
  • Au moins 475 hectares de terres sont utilisés pour la culture de plantes fourragères.
  • 76 % des superficies cultivées sont louées et n’appartiennent pas à des agriculteurs.
  • Seulement 50 % des parcelles fourragères cultivées sont situées en zone agricole.Source : Le Bon goût frais des Îles (étude menée en 2019)

Ma plus grande crainte, c’est que les gens avec qui on a des ententes ne seront pas toujours là, ils vont vendre un jour ou léguer leur terrain, explique Dominique Arseneau. Il va falloir renouveler les ententes et c’est là que ça devient dangereux, on peut perdre ces morceaux-là.

 

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À l’heure actuelle, rien ne garantit aux agriculteurs madelinots que les terres où ils cultivent le foin conserveront leur vocation agricole à long terme (archives). PHOTO : RADIO-CANADA / PHILIPPE GRENIER

L’achat des terrains pour assurer leur vocation agricole à long terme n’est pas envisageable à l’ère de la surenchère.

Les affiches « À vendre » plantées sur les terrains qui restent là une semaine seulement prouvent que cette pression-là est devenue insoutenable, croit l’agriculteur. Tout se vend à n’importe quel prix. C’était déjà difficile d’acquérir des terres agricoles. Aujourd’hui, ça n’a plus de bout, c’est totalement exagéré. On ne peut plus se permettre d’acheter des terres.

Et pourquoi ne pas acheter du foin à l’extérieur de l’archipel? $ faire venir une remorque de foin de l'Île-du-Prince-Édouard qui va nourrir mes vaches durant dix jours. On essaie d’éviter ça le plus possible, sinon on ne payera pas les factures","text":"Ça coûte 4000$ faire venir une remorque de foin de l'Île-du-Prince-Édouard qui va nourrir mes vaches durant dix jours. On essaie d’éviter ça le plus possible, sinon on ne payera pas les factures"}}">Ça coûte 4000 $ faire venir une remorque de foin de l’Île-du-Prince-Édouard qui va nourrir mes vaches durant dix jours. On essaie d’éviter ça le plus possible, sinon on ne payera pas les factures, lance M. Arseneau.

 

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Seulement 85 hectares de terres agricoles madeliniennes sont assujettis à la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles. PHOTO : RADIO-CANADA / ISABELLE LAROSE

L’initiative Terrafoin et l’espoir d’un nouveau schéma d’aménagement

Pour aider la quinzaine de producteurs agricoles madelinots qui comptent sur des récoltes de foin, l’organisme Le Bon goût frais des Îles a mis sur pied l’initiative Terrafoin en 2019.

Le projet vise à augmenter les rendements de foin en trouvant des façons innovantes d’améliorer la productivité des parcelles en culture, mais aussi à sécuriser l’accès aux terres agricoles à travers des campagnes de sensibilisation, notamment auprès des propriétaires terriens qui pourraient mettre leurs terres à disposition des agriculteurs.

 

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Le fait d’avoir une trentaine de champs dispersés sur trois îles contribue à diminuer la qualité du foin, car il est impossible de tous les faucher en temps opportun. Les plantes fourragères fauchées en dernier ont souvent un stade de vieillissement qui dégrade la qualité de la récolte. PHOTO : RADIO-CANADA / ISABELLE LAROSE

On travaille aussi de concert avec la Municipalité des Îles-de-la-Madeleine pour améliorer le cadre réglementaire entourant les activités agricoles et les terres, ajoute la chargée de projet Andréanne Cyr Wright.

Cette dernière estime qu’il y a actuellement un momentum  à saisir, puisque la Communauté maritime des Îles a enclenché en avril la procédure pour réviser son schéma d’aménagement et de développement. Cet outil établit les lignes directrices de l’organisation physique du territoire et ses différents usages.

On espère que l’apport du projet Terrafoin va permettre de mieux prendre en compte les intérêts agricoles qui sont avantageux pour toute la communauté quand on pense à l’alimentation locale, l’autonomie alimentaire, l’entretien des paysages et les transferts du patrimoine et des traditions agricoles des Îles, affirme Mme Cyr Wright.

 

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Andréanne Cyr Wright espère que les préoccupations des agriculteurs seront prises en compte lors de la révision du schéma d’aménagement de développement. PHOTO : RADIO-CANADA / ISABELLE LAROSE

Le directeur à l’aménagement du territoire et à l’urbanisme, Serge Bourgeois, en convient : l’accès aux terres agricoles est un enjeu important dans le cadre de la révision du schéma d’aménagement .

La problématique est connue, documentée, mais les solutions ne sont pas simples parce que les agriculteurs ne sont pas propriétaires des terres qu’ils cultivent, explique M. Bourgeois. C’est le principal problème.

«On peut bien interdire à quelqu’un de faire ce qu’il veut sur son terrain, mais on ne peut pas l’obliger à vendre ou à louer son terrain à des agriculteurs.» – Une citation de :Serge Bourgeois, directeur à l’aménagement du territoire et à l’urbanisme

Selon M. Bourgeois, le dossier doit être traité avec doigté, car réglementer l’usage des terres en culture pourrait aussi avoir comme effet de dissuader les propriétaires terriens de prêter leur lot aux agriculteurs, par peur de perdre certaines libertés d’usage.

Il va y avoir des questions très importantes qui vont devoir se poser et les solutions qui devront être mises en place vont demander du courage et de l’imagination, résume M. Bourgeois. Les attentes sont grandes, mais la révision du schéma d’aménagement, ce n’est pas une baguette magique non plus. Il faut trouver des consensus et des compromis. Il y a beaucoup de travail à faire.

LA UNE : Une quinzaine d’agriculteurs madelinots cultivent du foin sur des terres dont ils ne sont pas propriétaires et dont la vocation agricole n’est pas garantie à long terme.PHOTO : RADIO-CANADA / ISABELLE LAROSE