À Fatima, le propriétaire de la ferme Aucoin des sangliers, Jeannot Aucoin, peine à croire qu’il devra percer les oreilles de ses quelque 130 sangliers pour se conformer au resserrement des normes provinciales.
De nouvelles dispositions entrées en vigueur en 2018 prévoient, entre autres, que les sangliers gardés en captivité doivent dorénavant être identifiés par une étiquette d’oreille numérotée, au plus tard 6 mois après leur naissance. Une période transitoire laisse jusqu’au 31 décembre 2022 aux éleveurs pour se conformer.
Le ministère québécois de la Forêt, des Faunes et des Parcs (MFFP) veut ainsi améliorer la traçabilité des animaux, puisque des dizaines de sangliers d’élevage sont déjà parvenues à s’évader de leur enclos et à se reproduire dans la nature, notamment dans le Centre-du-Québec. En 2016, le Ministère a entrepris des opérations ayant pour but de les éradiquer.
Le seul éleveur de sangliers de l’archipel, Jeannot Aucoin, considère toutefois que la naturalisation de sangliers serait impossible aux Îles-de-la-Madeleine.
miles de long par 5 ou 6miles de large, c’est tout petit, il n’y a pas assez de bois, les sangliers ne peuvent pas s’enfuir loin et tout défaire les Îles-de-la-Madeleine","text":"L’archipel est 90miles de long par 5 ou 6miles de large, c’est tout petit, il n’y a pas assez de bois, les sangliers ne peuvent pas s’enfuir loin et tout défaire les Îles-de-la-Madeleine"}}">L’archipel est 90 miles de long par 5 ou 6 miles de large, c’est tout petit, il n’y a pas assez de bois, les sangliers ne peuvent pas s’enfuir loin et tout défaire les Îles-de-la-Madeleine
, croit Jeannot Aucoin.
Boy [NDLRUn restaurant de Fatima], ils vont m’appeler et je vais aller le chercher,","text":"Si je perds un sanglier, les gens n’iront pas le porter à l’hôpital ou au DeckerBoy [NDLRUn restaurant de Fatima], ils vont m’appeler et je vais aller le chercher,"}}">Si je perds un sanglier, les gens n’iront pas le porter à l’hôpital ou au Decker Boy [NDLR Un restaurant de Fatima], ils vont m’appeler et je vais aller le chercher,
poursuit-il. Je suis le seul éleveur aux Îles et tout le monde me connaît. Même si les sangliers n’ont pas de numéro, ils ne peuvent pas aller loin.
«Ce sont des normes qui n’ont pas d’allure pour moi. Ça ne m’intéresse pas de me conformer, qu’ils me donnent une permission spéciale pour ne pas avoir à mettre des étiquettes dans les oreilles.» – Une citation de :Jeannot Aucoin, éleveur de sangliers
L’éleveur madelinot déplore que les fonctionnaires ignorent souvent la réalité madelinienne.
Quand ils font les règlements, il n’y a pas de soin pour savoir d’où tu viens
, dénonce-t-il. Tu rentres dans le système et t’es obligé de faire ce qu’ils disent. Mais nous autres aux Îles, ils pourraient nous donner une autre façon de faire. Je ne vois pas du tout pourquoi ils me classent dans la même catégorie que les autres.
Une espèce envahissante destructrice
Le ministère québécois de la Faune considère le sanglier comme l’une des espèces exotiques envahissantes les plus néfastes au monde
, en raison de sa capacité à détruire les récoltes en creusant le sol.
Au Canada, l’Alberta, la Saskatchewan et le Manitoba sont actuellement aux prises avec des populations établies de sangliers. Des sangliers ont également été observés en Ontario.
Aux États-Unis, les sangliers sauvages sont répandus dans 38 États, dont le New Hampshire. Ils entraînent des coûts de plus d’un milliard et demi de dollars annuellement en dommages et en mesures de contrôle.
Source: Ministère de la Forêt, de la Faune et des Parcs
15 000 $ d’investissement et 2 semaines de travail
Pour procéder à l’étiquetage de son troupeau, Jeannot Aucoin doit faire l’acquisition d’une cage de contention qui permet d’immobiliser l’animal le temps de percer son oreille avec l’étiquette de plastique.
La difficulté, c’est d’avoir le matériel
, déplore l’éleveur de Fatima. an et demi que je l’attends. Je n’ai aucune idée d’où elle est rendue.","text":"J’ai commandé une cage de contention à Québec et ça fait 1an et demi que je l’attends. Je n’ai aucune idée d’où elle est rendue."}}">J’ai commandé une cage de contention à Québec et ça fait 1 an et demi que je l’attends. Je n’ai aucune idée d’où elle est rendue.
Une barrière supplémentaire a déjà été installée dans la ferme afin de guider les sangliers vers la future cage.
Jeannot Aucoin estime que l’étiquetage de ces bêtes coûtera quelque 15 000 $, sans parler des deux semaines de travail qui seront nécessaires pour parvenir à manipuler un à un les 130 sangliers.
Il faut que j’arrive à les attraper, ce ne sont pas des Barbies ni des vaches qui sont habituées à se faire toucher
, explique Jeannot Aucoin. Je ne sais pas comment je vais arriver à faire ça tout seul.
Et le décret d’insularité dans tout ça?
Le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs répond qu’il n’est pas envisagé de prévoir des exceptions
, même en considérant le statut particulier des Îles-de-la-Madeleine, tel que reconnu par Québec en 2016.
En mai 2016, le gouvernement de Philippe Couillard a reconnu dans un décret administratif le statut particulier lié au caractère insulaire
des Îles-de-la-Madeleine.
Le décret exigeait que chaque ministère […] module ses interventions afin de tenir compte des enjeux et des contraintes particulières de l’agglomération des Îles-de-la-Madeleine ainsi que de son caractère unique en raison de son insularité et de son isolement lié à sa position géographique au centre du golfe du Saint-Laurent
.
Selon le relationniste de presse du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, Daniel Labonté, il est essentiel que les sangliers soient identifiés afin d’être en mesure de relier un animal évadé au lieu de garde d’origine, notamment pour l’application de certaines dispositions de la réglementation
.
M. Labonté ajoute que le ministère ne peut présumer qu’aucune autre personne ne garde des sangliers sur les îles de la Madeleine, car il est toujours possible qu’un autre citoyen garde illégalement un sanglier sur une fermette sans avoir enregistré son exploitation ou demandé un permis
.
Le relationniste précise également qu’il est toujours possible qu’un deuxième éleveur s’établisse dans l’archipel.
Une ferme à vendre
Depuis le début du mois d’octobre, une affiche À vendre
est apparue sur la ferme de Jeannot Aucoin. Le bâtiment qui abrite les animaux a été construit il y a à peine deux ans, à la suite d’un incendie qui avait ravagé l’ancienne grange.
Le resserrement des normes provinciales fait partie des raisons qui poussent l’agriculteur de 62 ans à vouloir se départir de son élevage, après 35 ans d’activités.
«À chaque fois qu’ils ajoutent des normes, c’est de plus en plus pesant.» – Une citation de :Jeannot Aucoin, éleveur de sangliers
Le manque de main-d’œuvre pèse aussi dans la balance, après un été éreintant.
Durant la saison estivale, Jeannot Aucoin et sa femme ont dû gérer seuls la ferme, leur boucherie et le casse-croûte qu’ils exploitent à l’Anse-aux-Baleiniers, faute d’employés pour les aider. On est brûlés
, admet l’éleveur.
ans avec moi pour faire la transition","text":"Je voudrais que quelqu’un prenne la relève de tout ça, des jeunes des Îles viendraient travailler un ou deuxans avec moi pour faire la transition"}}">Je voudrais que quelqu’un prenne la relève de tout ça, des jeunes des Îles viendraient travailler un ou deux ans avec moi pour faire la transition
, explique Jeannot Aucoin.
Ça serait mon plus grand rêve que l’entreprise reste debout
, lance-t-il avec émotions. Ça m’arracherait le cœur de vendre les bâtiments et les terres, mais d’avoir à abattre tous les animaux. Ce n’est pas vraiment ça que j’avais pensé.
LA UNE : Jeannot Aucoin dénonce la mise en place d’une réglementation provinciale qui impose l’étiquette aux oreilles des sangliers. Selon lui, ces nouvelles normes n’ont pas lieu d’être aux Îles. PHOTO : RADIO-CANADA / ISABELLE LAROSE