Regard sur 20 ans de fusion municipale aux Îles-de-la-Madeleine

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Il y a 20 ans, en janvier 2002, la Municipalité fusionnée des Îles-de-la-Madeleine était officiellement constituée. Bien que salué par plusieurs aujourd’hui, le processus de regroupement municipal ne s’est pas fait sans heurts chez les Madelinots.

Ça a été un débat extrêmement houleux, lance d’emblée l’ex-député péquiste des Îles-de-la-Madeleine, Maxime Arseneau. Élu de 1998 à 2008, l’homme politique madelinot a été aux premières loges de la réforme de l’organisation municipale québécoise pilotée par le Parti québécois.

Avant la fusion municipale, l’archipel comptait sept municipalités distinctes, soit Grande-Entrée, Fatima, L’Étang-du-Nord, Havre-aux-Maisons, Cap-aux- Meules, l’Île-de-Havre-Aubert (incluant l’île d’Entrée dont l’annexion s’est faite en 2000) et Grosse-Île.

«Pour une population de 14 000 personnes à l’époque, 40-50 personnes prenaient l’avion quand il y avait des rencontres à Québec, les maires et les conseillers de chaque municipalité,» rappelle M. Arseneau. «Il y avait une problématique du nombre, de perte d’énergie qui existait certainement. Il n’y avait pas vision globale pour une région.»

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M. Arseneau se rappelle avoir convaincu Franklin Delaney, un Madelinot d’origine qui n’était pas réputé pour être un membre du Parti québécois, d’agir comme médiateur en vue de réduire le nombre de municipalités dans l’archipel.

Il a été engagé par le gouvernement pour venir aux Îles, pour essayer de voir ce qui pouvait être fait comme tentative de regroupement, explique l’ex-député péquiste.

Le mandat donné de Franklin Delaney se limitait à «examiner l’opportunité de procéder au regroupement des Municipalités de Grande-Entrée, de Fatima, de L’Étang-du-Nord, de Havre-aux- Maisons et de Cap-aux-Meules ou de tout autre regroupement souhaitable sur le territoire des Îles-de-la-Madeleine

Après deux mois de travaux et de consultations avec les maires madelinots, Franklin Delaney réussit pourtant à convaincre cinq des sept municipalités madeliniennes des bienfaits d’une fusion municipale. Seules Grosse-Île et Cap-aux-Meules s’opposent au regroupement.

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Comme les municipalités favorables à la fusion représentent 84 % de la population de l’archipel, Franklin Delaney recommande un regroupement de l’ensemble des municipalités du territoire madelinot, dans un rapport remis en avril 2001 à la ministre des Affaires municipales de l’époque, Louise Harel.

Il a été plus efficace qu’il ne pensait, s’étonne encore aujourd’hui Maxime Arseneau. J’étais moi-même surpris du travail de Franklin Delaney qui a été excellent pour amener les citoyens et les municipalités des Îles à accepter ce projet de fusion.

L’ex-député admet même qu’il s’attendait plutôt à une fusion plus graduelle en réduisant à trois ou quatre le nombre de municipalités dans l’archipel, et non à la création d’une seule entité d’un seul coup.

Claude Vigneau, premier maire des Îles-de-la-Madeleine

Bien que deux municipalités souhaitent conserver leur indépendance, le gouvernement de Bernard Landry met de l’avant les recommandations de Franklin Delaney et impose la fusion pour l’ensemble des Îles en juin 2001.

La création de la Municipalité des Îles-de-la-Madeleine deviendra officielle 1er janvier 2002.

Entre-temps, le 25 novembre 2001, le premier maire de la Municipalité des Îles-de-la-Madeleine est élu. Claude Vigneau remporte la course électorale et devient le maire de tous les Madelinots.

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Cap-aux-Meules et Grosse-Île n’ayant pas approuvé la fusion, la nouvelle entité n’est pas saluée de tous.

Les gens se disaient un peu pénalisés de perdre des acquis, durement gagnés depuis plusieurs années. Il fallait comprendre un peu le sentiment de ces gens-là, se remémore l’ex-maire Claude Vigneau.

Malgré tout, M. Vigneau se souvient qu’il avait l’assurance de réussir en grande partie le regroupement municipal .

« La raison pour laquelle j’ai embarqué et j’étais d’accord à représenter les Îles au sein d’une nouvelle municipalité, c’est qu’on sentait quand même l’unité et la complicité des Madelinots. » — Une citation de  Claude Vigneau, premier maire des Îles-de-la-Madeleine

Même si 20 ans sont passés depuis, Claude Vigneau énumère aisément les trois raisons qui l’ont poussé à croire au bien-fondé d’une nouvelle grande municipalité à l’époque.

D’abord c’était le partage de la richesse pour créer un nouvel équilibre entre les villages, commence-t-il.

L’autre élément, c’est la force de frappe qui est plus grande lorsque vient le temps de présenter des projets d’envergure aux différents ministères, ajoute l’ex-maire. Puis, la complicité et la mise en commun de l’ensemble des organismes du milieu, je pense que le travail ensemble a été profitable pour l’ensemble de la communauté.

La valse des référendums de défusion à Grosse-Île et Cap-aux-Meules

En 2003, le gouvernement libéral prend le pouvoir. La troupe de Jean Charest met en doute le processus démocratique des fusions forcées à travers le Québec. Il permet aux villes fusionnées qui voudraient se reconstituer de tenir un référendum sur la question.

Au moment où les Îles ont été fusionnées en 2002, je croyais que le travail était fait, terminé, et qu’on avait bien travaillé, affirme l’ex-député Maxime Arseneau. Mais avec l’arrivé des libéraux, avec la loi qui permettait les référendums sur les défusions, c’était évident qu’il y avait de problèmes qui s’en venaient.

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À l’été 2004, 89 référendums sont organisés dans la province.

Aux Îles-de-la-Madeleine, deux référendums ont lieu : l’un à Cap-aux-Meules, l’autre à Grosse-Île.

Les résidents de Cap-aux-Meules votent à 62,8 % en faveur d’une défusion et ceux de Grosse-Île à 81,7 %

Pourquoi Cap-aux-Meules et Grosse-Île souhaitaient-elles se défusionner?

Concernant Cap-aux-Meules, voici les explications de l’ex-député péquiste Maxime Arseneau:

Cap-aux-Meules était en excellente santé financière parce que c’est là que se trouvait l’ensemble des centres de services gouvernementaux et commerciaux. Cap-aux-Meules était une municipalité riche, mais ça ne représentait pas ce qu’aurait dû être la représentation territoriale des taxes payées par les structures gouvernementales, mais la Municipalité ne voulait pas perdre ce pouvoir-là.

Concernant Grosse-Île, voici les explications de l’ex-mairesse Rose Elmonde Clarke:

Il y avait une certaine fierté de garder notre village anglophone. Les gens ne veulent pas perdre leur langue et leur culture, c’est surtout ça qui les a incités à garder leur propre municipalité.

Si le référendum de 2004 a mené à la reconstitution officielle de Grosse-Île en 2006, le sort de Cap-aux-Meules n’était pas encore scellé.

Après le premier vote populaire remporté par les fervents de la défusion, les partisans du projet de regroupement municipal contre-attaquent et un deuxième référendum est organisé à Cap-aux-Meules en 2005.

Ce second scrutin démontre qu’une majorité de la population de Cap-aux-Meules est finalement prête à demeurer dans la municipalité fusionnée.

Ça a été un gros débat entre les citoyens, les mandataires du gouvernent du Québec le maire de l’époque, se remémore l’actuel maire des Îles-de-la-Madeleine, Jonathan Lapierre, élu pour la première fois au conseil municipal en tant que conseiller en 2005. Tous ces acteurs-là ont fait un travail ensemble pour convaincre une majorité de gens de rester dans le giron municipal et que cela serait bénéfique pour l’ensemble de la communauté des Îles.

Pas de regret à Grosse-Île

Aujourd’hui, le budget municipal des Îles-de-la-Madeleine s’élève à plus de 27 millions de dollars, alors qu’il est à peine d’un million de dollars à Grosse-Île.

La mairesse de Grosse-Île de 2009 à 2021, Rose Elmonde Clarke, affirme que ses concitoyens n’ont jamais remis en question leur séparation de la Municipalité des Îles-de-la-Madeleine.

«Ils peuvent communiquer directement avec la Municipalité de Grosse-Île en anglais, alors que lorsqu’ils étaient avec la Municipalité des Îles, ils avaient parfois de la difficulté à se faire comprendre en anglais, Mme Clarke. On a aussi pu garder nos acquis, comme nos bâtiments municipaux. Actuellement, ce qu’on a, on le garde en bon état.»

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L’ex-mairesse indique également que Grosse-Île travaille de concert avec la Municipalité des Îles-de-la-Madeleine sur dossiers régionaux par la Communauté maritime des Îles, l’équivalent d’une Municipalité régionale de comté.

«Il faut toujours s’assurer qu’on a le même service au niveau régional que le reste des Îles, il faut être là pour dire notre point de vue et obtenir notre part du gâteau,» affirme Mme Clarke. «Ce n’est pas toujours évident, mais ça se fait et la communication est bonne avec autres élus des Îles-de-la-Madeleine.»

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Le constat du maire des Îles-de-la-Madeleine en 2022

Aujourd’hui loin de ces débats, le maire Jonathan Lapierre se réjouit du chemin parcouru depuis 20 ans par une municipalité qui, selon lui, suscite aujourd’hui une très forte adhésion.

Vingt ans plus tard, je pense que la Municipalité des Îles est devenue une municipalité importante au Québec, une municipalité qui a pris sa place en politique municipale, qui est connue et reconnue à travers le Québec, estime M. Lapierre.

Sur le plan plus local, on a été en mesure de réaliser de grands projets, parce qu’on avait une force politique, parce qu’on avait une structure, des employés, des services, enchaîne-t-il.

Il cite en exemple la création du centre multisports comme une fierté du regroupement municipal, après des années de discussions sur le regroupement des arénas du territoire.

« Il y a une multitude de dossiers qui se sont concrétisés en raison de la force du nombre. Si on était toutes des municipalités isolées, ça serait beaucoup plus difficile. » — Une citation de  Jonathan Lapierre, maire des Îles-de-la-Madeleine

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Le maire se réjouit également d’une cohérence au sein du conseil municipal, bien que celle-ci n’a pas toujours été facile à préserver depuis 20 ans.

Il y a toujours un intérêt de garder un dynamisme dans chacun de villages, précise M. Lapierre. Tous les conseillers veulent avoir leur part du gâteau et que leur secteur conserve une couleur qui leur est propre, et ça, c’est tout à fait souhaitable, mais au-delà de ça, il y a le bien de l’ensemble de la collectivité, de la majorité, et ça, malgré tous les défis.

«Je pense que 20 ans plus tard, poursuit-il, on a réussi collectivement à avoir une municipalité qui soit forte, qui soit prospère, qui soit fière de ce qu’elle est devenue au cours des décennies. On peut collectivement lever notre chapeau bien haut.»

LA UNE : Sept municipalités distinctes se trouvaient sur le territoire madelinot avant la fusion de 2002 (archives). PHOTO : RADIO-CANADA / LUC PARADIS_RAD